Afrique 2003 le bilan

Elections, droits de l’homme, coups d’Etat… Nos collaborateurs se penchent sur l’évolution du continent.

Publié le 6 janvier 2004 Lecture : 10 minutes.

Sur la bonne voie
Il faut se garder des jugements péremptoires, des raccourcis et des conclusions hâtives. L’Afrique n’est certes pas au meilleur de sa forme, à cause de facteurs qui ne datent pas
d’aujourd’hui, mais pourquoi faire semblant d’ignorer l’évidence ? Notre continent a fait des progrès substantiels ces dernières années. Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir qu’il y a moins de quinze ans le monopartisme était, presque partout, de mise ; la presse officielle, bâillonnée ; les journaux, radios et télévisions privés, inexistants. La liberté syndicale était une fiction ; les manifestations, interdites ou violemment réprimées. Les détenus d’opinion étaient légion ; le recours à la torture, pratique courante ; les coups d’État, permanents. Les portraits de nos « guides éclairés » et autres « timoniers » foisonnaient sur les murs, de l’aéroport jusqu’au fronton des gargotes.
Ce temps est révolu. Les pratiques ubuesques sont passées de mode, les putschs sont plutôt rares et pittoresques. Qu’il y ait des élections frauduleuses ou des velléités de
restauration autoritaire ici et là, personne ne le nie. Que des journalistes soient arrêtés ou tués dans l’exercice de leur métier est, bien évidemment, révoltant, mais, en la matière, l’Afrique n’est plus la seule terre d’élection. Sur les 126 confrères actuellement emprisonnés dans le monde, indique Reporters sans frontières, il n’y a « que » 24 Africains, parmi lesquels la précision a son importance 14 citoyens
d’Érythrée, un pays indépendant depuis dix ans et dont les dirigeants semblent malheureusement ne rien vouloir comprendre à la marche du monde.
De même, sur les 31 journalistes tués en 2003, deux l’Ivoirien Kloueu Gonzreu et le Français Jean Hélène sont tombés en Afrique, dont le score dans ce registre macabre est comparable à celui de l’État d’Israël. Ce sont certes deux morts de trop, mais, après l’assassinat au Japon, le 12 septembre dernier, du journaliste Satoru Someya, il n’est jamais venu à l’idée de quelqu’un d’accuser son pays (encore moins son continent) d’être liberticide. Pourquoi le comportement de quelques brebis galeuses devrait-il écorner l’image du plus grand nombre ?
La thèse des afropessimistes et autres « néonégrologues » ne résiste guère à l’analyse quantitative. Si l’on écarte la pandémie du sida et quelques conflits qui perdurent depuis plusieurs années, on est aujourd’hui beaucoup mieux loti en Afrique que par le passé. Plus libre, et mieux informés des urgences. Et la vox populi ne compte plus, comme auparavant, pour du beurre. Il y a eu cinq scrutins présidentiels en 2003, on en attend une bonne dizaine l’année prochaine. Et, à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie, le jeu de l’alternance et la valse des casquettes ont joué. Pour m’en tenir aux seules régions orientale et australe, la Tanzanie a ainsi changé à deux reprises de « mwalimu » ces dernières années, sans que l’on s’en aperçoive. Le Botswana, le Malawi, l’Afrique du Sud, la Zambie et le Kenya sont également dirigés par des hommes neufs. Mieux, la plupart des pays de ces deux régions auront un nouveau président d’ici à 2005, puisque le Mozambicain Joaquim Alberto Chissano, le Namibien Samuel Daniel Shafiishuna Nujoma, le Tanzanien Benjamin William Mkapa sont sur le départ. Bref, on fait davantage
de vieux os dans la vie politique française que dans beaucoup de pays africains.
Il faut signaler, pour terminer, que dans son dernier rapport Amnesty International « oublie » jusqu’à l’existence d’une quarantaine d’États, dont une dizaine d’Afrique,
désormais considérés comme des pays de « basse priorité ». Et pour cause : ils font mieux, en matière de respect des droits de l’homme, que de « vieilles démocraties » telles
que les États-Unis, la France, le Canada, la Grande-Bretagne ou la Belgique. Ces bonnes nouvelles venues d’Afrique sont (volontairement ?) passées sous silence. Les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent, il est vrai, personne. Et surtout pas ceux qui font l’opinion.

Coup d’Etat permanent
« Il faut laisser les chefs d’Etat africains gagner les élections, sinon ils n’en feront plus », dit Jacques Chirac en plaisantant en privé, bien sûr. En 2003, cette comédie du chef d’État « démocratiquement réélu » a été jouée quatre fois. Et plutôt mal. Les acteurs n’ont pas forcé leur talent. Au Togo, un mois avant le scrutin du 1er juin, Gnassingbé Eyadéma a fait mettre hors jeu son principal adversaire, Gilchrist Olympio. Au Rwanda, quelques semaines avant l’élection du 25 août, Paul Kagamé a fait interdire le principal parti d’opposition, le Mouvement démocratique républicain (MDR). En Mauritanie, au lendemain du scrutin du 7 novembre, Maaouiya Ould Taya a fait arrêter son principal adversaire, Mohamed Ould Haïdalla. Enfin, en Guinée, en l’absence de tout rival crédible, Lansana Conté s’est fait réélire sans coup férir ce 21 décembre. Tous quatre sont des militaires. Ils ont ôté le treillis pour revêtir le costume de président démocrate. Mais qui est dupe ?
Comble de l’hypocrisie, les mêmes chefs d’État mettent en place une présidence à vie qui ne dit pas son nom. Après la Tunisie, la Guinée et le Togo en 2002, le Gabon a révisé sa Constitution en 2003. Et le Tchad fera sans doute de même cette année. Plus de limites au
nombre de mandats présidentiels. C’est « le coup d’État permanent » version africaine.
Certains diront que la violence politique a reculé. Et c’est vrai. Aujourd’hui, pour garder le pouvoir, on préfère fausser les listes ou bourrer les urnes. Mais, si c’est nécessaire, on porte encore le fer dans le camp adverse. L’opposant sénégalais Talla Sylla l’a appris à ses dépens. Le 5 octobre dernier, il a été agressé à coups de marteau
à la sortie d’un restaurant de Dakar. L’affaire est en cours d’instruction. Et une autre violence se répand, plus insidieuse. Celle du verbe. Le 21 octobre dernier, en Côte
d’Ivoire, un policier a tué Jean Hélène, le correspondant de Radio France Internationale à Abidjan. Ce n’était ni un fou ni une tête brûlée. Ce sont les médias de la haine qui ont armé son bras.
En 2003, aucune alternance démocratique n’a eu lieu. En 2002, soyons justes, au Mali et au Kenya, le pouvoir a changé de camp. Mais pour quelques vraies expériences démocratiques, combien de régimes ont été confisqués ? Combien d’opposants ont été roulés dans la farine ? En Côte d’Ivoire, le système est tellement bloqué que nombre d’opposants se réjouissent sous cape de la rébellion militaire qui a éclaté le 19 septembre 2002. En Guinée, la vie politique est tellement sclérosée que presque tous les démocrates se prennent à rêver d’un coup d’État militaire ! Le 15 mars dernier en République centrafricaine et le 14 septembre en Guinée-Bissau, la classe politique presque unanime a applaudi au renversement par la force de deux présidents élus, mais incapables. Oubliée, la résolution antiputsch adoptée par l’OUA en 1999. Les organisations régionales, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEMAC), ont même validé ces deux coups d’État.
Depuis, certains ont déchanté. En Centrafrique, l’ancien Premier ministre Abel Goumba reconnaît en privé qu’il a beaucoup de mal à « avaler la couleuvre » de son limogeage du 11 décembre dernier. Sans doute se dit-il que, quand les civils placent leurs espoirs dans les « corps habillés », la démocratie est mal partie. Sans doute ne veut-il pas se réveiller demain sous le joug d’un nouveau Bonaparte. Mais quand tout est bloqué, y a-t-il une autre issue que le bonapartisme ?

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Si le grain ne meurt…
Certes, il manque encore à la pratique démocratique sur le continent cette empreinte patinée du temps sur les urnes. Il lui manque aussi le respect de ce qui en sort, victoire ou défaite. Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou en ont eu, en 1991, 1996 et 2001, au Bénin. Aristides Pereira et Antonio Mascarenhas, en 1991, puis Pedro Pires et Carlos
Veiga, en 2001, au Cap-Vert. Frederick Chiluba et Kenneth Kaunda, en 1991, en Zambie. Sans oublier Abdoulaye Wade et Abdou Diouf, en 2000, au Sénégal. Ou Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré, en 2002, au Mali. John Kufuor et Jerry Rawlings, en 2000, au Ghana.
Mwai Kibaki et Daniel arap Moi, en 2002, au Kenya. Fradique de Menezes et Manuel Pinto da Costa, en 2001, à São Tomé e Príncipe… Tous ont contribué à semer la graine de l’alternance démocratique chez eux. Chapeau bas, même si celle-ci n’épuise pas loin s’en faut la réalité de l’État de droit et de la démocratie !
Durant la dernière décennie, les années se sont succédé sans se ressembler. Pour des raisons différentes, il y a même eu des cuvées électorales « calamiteuses » au Togo (1998, 2003), en Côte d’Ivoire (2000), au Tchad (2001), au Zimbabwe (2002)… Pour des raisons différentes, la compétition électorale ne se passe pas toujours dans des conditions normales de température et de pression. On peut le stigmatiser à juste raison, en redouter les conséquences si, parfois, elles ne s’étaient déjà révélées douloureuses sans que cela soit nécessairement une façon de jeter le bébé avec l’eau du bain. Mais on ne contestera pas à l’Afrique et à la plupart de ses enfants de chercher, depuis fort longtemps, à prendre résolument en main leur destin politique et démocratique.
La CEDEAO a convaincu le président bissau-guinéen Kumba Yala de ne pas insister quand, à la mi-septembre, un coup d’État est venu mettre brutalement un terme à son mandat. Démocratiquement élu, il croyait pouvoir impunément prendre le bulletin de vote de ses concitoyens pour un blanc-seing. La CEMAC n’a pas procédé autrement avec le numéro un centrafricain Ange-Félix Patassé, « remercié » à la mi-mars par un putsch. Dans un cas comme dans l’autre, les choses se sont déroulées comme si les chefs d’État étrennaient dans le domaine politique le mécanisme d’évaluation par les pairs mis en place par le Nepad pour la bonne gouvernance. À la mijuillet à São Tomé e Príncipe, c’est la même CEMAC, avec l’appui du Nigérian Olusegun Obasanjo, qui remit dans son fauteuil présidentiel Fradique de Menezes, qu’une poignée de militaires venaient de débarquer.
De telles démarches, encore inimaginables hier, pourraient, demain, être la règle. Tout comme certaines initiatives de l’Union africaine. Ainsi du mémorandum d’accord sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique, adopté au sommet de Durban en juillet 2002, qui doit entrer en vigueur d’ici à 2005. Un de ses volets prend le processus démocratique en amont pour en prévenir les dysfonctionnements et les
éventuels dérapages. Il prévoit, entre autres, un code de conduite instituant la limitation constitutionnelle des mandats des responsables politiques élus ; la mise en place, là où elles n’existent pas, de commissions nationales électorales indépendantes ; l’adoption de mesures spécifiques pour le financement des campagnes électorales…
Un arsenal qui entend s’attaquer à la racine des conflits liés au mode de dévolution du pouvoir. Et arrimer au wagon de la démocratie et des droits de l’homme ceux des pays du continent encore tentés par des chemins de traverse.
Ils sont de moins en moins nombreux aujourd’hui. Et le seront encore un peu moins demain. Si le grain ne meurt…

A quoi sert l’Union africaine ?
Le propos est de Jennifer Windsor, directrice de Freedom House : « Malgré tout, le monde continue à progresser vers plus de liberté et de démocratie. » Cette phrase résume le rapport annuel de cette organisation américaine des droits de l’homme, publié le 18 décembre 2003. La remarque est-elle valable pour l’Afrique ? Pas la moindre alternance au pouvoir, des élections contestées et, surtout, trois coups d’État : São Tomé e Príncipe, Guinée-Bissau et République centrafricaine. La particularité de la cuvée 2003 des putschs africains tient à la célérité de la réaction régionale et à la gêne ressentie par l’Union africaine (UA).
À São Tomé, l’intervention de la CEMAC a permis le retour rapide à l’ordre constitutionnel. À Bissau, des chefs d’État ouest-africains ont vivement conseillé au président élu Kumba Yala de quitter le pouvoir. Quant au coup de force du général François Bozizé, il a été jugé « compréhensible ».
Ces trois événements ont suscité une réaction immédiate, mais du bout des lèvres, de l’UA, qui s’est référée à la résolution d’Alger, condamnant toute rupture de l’ordre
constitutionnel et prévoyant des sanctions automatiques contre les putschistes. Pourquoi une résolution prise en 1999 ne suffit-elle pas à dissuader les velléités putschistes ?
Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer la « mollesse » verbale de l’UA à l’égard des « meneurs de coups » en 2003 ? L’ explication est simple : de par son organisation et ses
textes de référence, l’UA n’est pas en mesure de prévenir les coups d’État.
L’idée d’élaborer un texte condamnant toute prise de pouvoir par la force est née à Harare, en mai 1997, quand un certain Johnny Paul Koromah, commandant de son état, a chassé Ahmad Tejan Kabbah de son fauteuil présidentiel, à Freetown (Liberia). Volontairement ou non, l’officier félon a choisi la journée mondiale de l’Afrique pour
faire son coup. Furieux, les chefs d’État ont chargé le secrétaire général de l’OUA Salim Ahmed Salim de réfléchir à une forme permanente de condamnation des coups d’État. Le texte mettra deux ans à être présenté. Durant les débats, le colonel Kadhafi émet des réserves : « Il est des coups d’État salvateurs. » La résolution est adoptée, mais la rédaction du texte final est renvoyée au sommet de Lomé, une année plus tard.
En 2000, les chefs d’État africains prennent en considération les réserves de Kadhafi. Le Guide libyen avait raison : rien n’empêche un président démocratiquement élu de bloquer les institutions et de mener son peuple à la ruine. L’UA a donc été inspirée. D’où la relative compréhension à l’égard de François Bozizé.
Cela dit, on ne fera pas la fine bouche. Force est de constater que de moins en moins de coups d’État aboutissent.

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