La relance post-Covid nécessite un nouveau contrat social mondial

La pandémie de Covid-19 a remis en cause certains acquis de l’Afrique. Seules des actions solidaires et coordonnées sur l’ensemble de la planète pourraient permettre d’éviter une catastrophe sociale, environnementale et politique.

Une rue du Cap, en Afrique du Sud, pendant le confinement décrété par le président Cyril Ramaphosa, en avril 2020 © RODGER BOSCH/AFP

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  • Gilbert Houngbo

    Président du Fonds international pour le développement agricole (Fida). Ancien Premier ministre du Togo

Publié le 26 janvier 2022 Lecture : 5 minutes.

La crise du Covid-19 a considérablement accéléré la double fracture qui menaçait déjà de fragiles équilibres sociaux à travers le monde : d’abord au sein des pays où les écarts de revenus entre les plus modestes et les plus favorisés se sont encore creusés, ensuite entre les pays dits « riches » et les pays en développement. Les perturbations sociales qui en découlent pourraient engendrer, si elles ne sont pas abordées à travers un effort multilatéral renouvelé, des conséquences majeures pour l’économie et la société.

Les recherches de l’Organisation internationale du travail (OIT) démontrent que les populations les plus vulnérables ont été touchées de manière disproportionnée en matière de pertes d’emploi ou de baisse des revenus, tandis que celles à revenus élevés ont continué de prospérer. Ce que l’on remarque moins, c’est que la pandémie a également annihilé certains des acquis antérieurs.

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Bond en arrière de quinze ans

Le processus de rattrapage des pays en développement, en particulier, semble s’être arrêté. Les dernières perspectives économiques du FMI montrent que, pour la première fois depuis le début du siècle, le revenu moyen par habitant des pays en développement, pris dans leur ensemble, a diminué plus vite que celui des économies avancées au cours de la période 2020-2021. Selon cette étude, l’Afrique et une grande partie de l’Asie en développement, à l’exception de la Chine, ont fait un bond en arrière de quinze ans, l’Amérique latine de dix-sept ans et le monde arabe de quasiment deux décennies.

L’accès inégal aux vaccins et aux traitements médicaux contre le virus représente bien évidemment un frein majeur. Mais ce n’est pas tout. Le fait que les pays à faibles revenus ne disposent pas de l’espace fiscal nécessaire pour mettre en place le type de programmes de protection sociale et d’emploi qui, ailleurs, ont permis d’amortir les effets de la crise sur les niveaux de vie, est tout aussi important. Il en résulte non seulement des niveaux de pauvreté plus élevés et une précarité croissante de l’emploi, mais également une vulnérabilité macroéconomique majeure pour le monde.

La tendance montrant que les nouvelles générations mèneront une vie plus difficile que leurs parents s’est accentuée

Notons également que, lorsqu’elles existent, les enquêtes révèlent que les nouvelles générations mèneront une vie plus difficile que leurs parents. Et la tendance s’est accentuée par rapport à l’ère pré-Covid. Ce sentiment d’insécurité s’est répandu en raison de la situation sanitaire. C’est ainsi que, selon une enquête Gallup, la proportion de travailleurs se préoccupant de leur avenir a augmenté de manière quasi ininterrompue au cours de la dernière décennie pour atteindre 40 % en 2020.

Bien entendu, des tendances structurelles sont également à l’œuvre. Les vagues successives de Covid-19 imposant des confinements et des restrictions à la libre circulation des personnes ont fortement affecté les possibilités de formation des groupes à faibles revenus. Le fait que les jeunes soient entrés sur le marché du travail en cette période difficile est une autre préoccupation majeure.

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Enfin, les perspectives d’élimination des multiples obstacles qui entravent le rôle des femmes dans l’économie sont davantage retardées. Rappelons qu’aujourd’hui, les femmes ne reçoivent qu’un peu plus d’un tiers du revenu total du travail, le reste revenant à leurs homologues masculins, selon la dernière enquête menée par World Inequality Lab.

Nationalisme étroit

Ce grand fossé est d’autant plus dangereux pour le contrat social qu’il complique la tâche des décideurs politiques qui cherchent à relever les défis de long terme, et en premier lieu les problèmes environnementaux. En effet, la transition vers une économie plus verte comporte des coûts sociaux qu’il convient d’examiner frontalement, lucidement. L’indemnisation des « perdants » de la transition ne peut représenter la seule solution, compte tenu de la redistribution massive que cela impliquerait. La pré-distribution est également primordiale, d’où le rôle de politiques de travail décent bien conçues, qui apportent la stabilité aux travailleurs et ouvrent la voie à des entreprises durables.

Le risque est la prolifération de solutions contre-productives, comme l’égoïsme vaccinal

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Une autre conséquence probable de cette grande fracture risque d’être la prolifération de solutions contre-productives (repli sur soi, unilatéralisme…). Cela s’observe déjà à l’émergence d’un nationalisme étroit teinté de xénophobie et à l’érection de multiples barrières au commerce et aux investissements internationaux. L’égoïsme vaccinal en est un autre exemple, malgré les efforts des Nations unies pour convaincre le monde que « personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne le sera pas ».

En fin de compte, si l’on n’y remédie pas, les déséquilibres sociaux risquent de porter atteinte à la croissance économique, de compromettre les progrès accomplis en matière de réalisation des objectifs environnementaux et d’exacerber les tensions géopolitiques. N’oublions pas que la justice sociale, condition préalable à des relations pacifiques, constitue un bien public mondial.

Conférence mondiale

Pour sortir de ce grand fossé par le haut, il faut mettre la mondialisation au service de tous. Tout comme pour l’environnement, l’action isolée des pays ne peut guère, à elle seule, contrecarrer les forces polarisantes de marchés mondiaux livrés à eux-mêmes. L’économie numérique, qui se développe rapidement, comporte un risque de dumping social.

Une mondialisation raisonnée devrait garantir un travail décent pour l’ensemble des femmes et des hommes.

L’expérience montre également que des politiques tripartites isolées visant à promouvoir des emplois de qualité peuvent être inopérantes si la concurrence propose de bas salaires et de mauvaises conditions de travail. Enfin, la compétition fiscale internationale érode la base de financement des systèmes de protection sociale. En d’autres termes, une mondialisation raisonnée devrait placer au centre de ses préoccupations le travail décent pour l’ensemble des femmes et des hommes. Il va sans dire que les employeurs et les travailleurs, en tant qu’acteurs de l’économie réelle, doivent être impliqués dans un tel processus. Les gouvernements peuvent galvaniser cette énergie s’ils s’engagent dans une action coordonnée visant à renforcer le système normatif de l’OIT afin, premièrement, de mettre en place un seuil de conditions sociales et de travail et, deuxièmement, de renforcer la cohérence avec les autres parties du système multilatéral.

Il est possible d’atteindre ce résultat en convoquant une conférence sociale mondiale à laquelle participeraient tous les principaux acteurs mondiaux et les partenaires sociaux. Un contrat social mondial est le meilleur moyen pour l’humanité de retrouver sa dignité et d’échapper aux démons qui la guettent en cette période de trouble.

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