Melting-potes sur Seine

Parrainés par Jamel Debbouze, de jeunes humoristes de toutes origines percent sur la scène parisienne… sans éviter certains clichés communautaires.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Amelle, Yacine, Claudia, Wahid, Noum, Mamane, Thomas… Jamais émission de télé n’avait réuni un tel concentré de minorités jusqu’alors quasi invisibles sur le petit écran si l’on exclut les reportages consacrés aux banlieues. Et c’est peut-être là le plus grand mérite du Jamel Comedy Club, émission à succès présentée par Jamel Debbouze et programmée tous les samedis soirs de l’été dernier en prime time et en clair sur la chaîne cryptée française Canal+.
Le principe du Jamel Comedy Club ? « Un micro, quatre artistes par émission qui viennent faire cinq minutes de discours, sans accessoires, en s’adressant directement au public dans une sorte de prise de parole politique », résume Kader Aoun, le bras droit de l’humoriste le mieux payé de France et producteur exécutif de l’émission. Entre chaque passage, Jamel se charge de chauffer une salle comble, aussi métissée que le plateau, sans tarir d’éloges sur ses jeunes poulains, qu’il présente volontiers comme les stars de demain.
Chaque samedi et pendant huit semaines, sur les planches du Réservoir, où ont été enregistrés les huit épisodes de l’émission, trente-deux comédiens se sont essayés au stand-up, un genre importé des États-Unis dont Gad Elmaleh et Jamel Debbouze restent indéniablement les plus éminents représentants en France. Faire rire de tout et de rien, y compris de soi, avec intelligence et pertinence tout en sachant interpeller le spectateur qui arrive en retard, qui a le malheur d’oublier d’éteindre son portable, qui a quelques kilos en trop ou un look qui ne revient pas à l’animateur… tels sont les ingrédients du stand-up, exercice accessible à tous, mais paradoxalement difficile à pratiquer.
Ces dernières années, ce type de one-man show a fait florès en France surtout parmi des jeunes désireux de prendre la parole. Du Comic Street Show, premier spectacle d’humour urbain initié en 2005 par l’auteur et metteur en scène Tonje Bakang T, en passant par Barres de rires, Comic Hall Stars ou Joke Session, les collectifs d’humoristes adeptes du stand-up se sont multipliés. De nombreux membres du Jamel Comedy Club ont d’ailleurs été « débauchés » du Comic Street Show et de Barres de rires.
Sur les trente-deux candidats qui ont défilé sur les planches du Réservoir, une dizaine se produit jusqu’en décembre au Théâtre de Dix-Heures. Dès janvier, ces heureux élus devraient remplir le Casino de Paris. Tout va donc pour le mieux chez les membres du Jamel Comedy Club… sauf que tous, à de rares exceptions près, ne parviennent pas vraiment à décrisper nos zygomatiques.
Car, pour faire rire, il faut savoir surprendre. En reprenant des blagues éculées sur les fratries nombreuses et les pères qui traînent leur accent du bled, les humoristes en herbe, dont la majorité vient de banlieue, peinent à susciter des rires. Les comédiens schématisant le pater familias sévère, voire violent, et les mères soumises ne font que renforcer des stéréotypes de la famille maghrébine et contribuent malgré eux au maintien des clichés. Idem pour ceux qui se veulent caustiques en épinglant la propension des « Africains à partir avec la caisse » ou en affirmant que l’avantage d’un Superman noir est de « ne pas avoir honte de voler ».
Les caractéristiques supposées de telle ou telle communauté dans lesquelles puisent trop souvent les jeunes humoristes du Jamel Comedy Club révèlent comme une impossibilité de s’extraire de l’image à laquelle les réduit la société française. Il n’y a aucun mal à pratiquer la dérision vis-à-vis de soi ou de sa propre communauté, encore faut-il le faire avec humour et une pointe de tendresse au risque d’entériner des préjugés déjà trop bien ancrés.
Le plus folklorique est peut-être Patson, artiste d’origine ivoirienne âgé de 32 ans, qui a choisi de faire rire en imitant l’accent de l’Africain fraîchement débarqué. S’il utilise un filon plus qu’usé, sa « tchatche » et son sens de la gestuelle le sauvent du « déjà-vu ». L’humoriste remporte d’ailleurs un franc succès auprès du public et fait partie, avec Fabrice Eboué et Thomas Ngijol (qui, lui, intervient deux fois par semaine au Grand Journal de Canal+), des trois membres du Jamel Comedy Club ayant déjà leur propre one-man show.
Sans être totalement dénués de charisme, la plupart des jeunes humoristes programmés au Théâtre de Dix Heures sont tout de même bien loin de déclencher l’hilarité que peuvent provoquer habituellement les maîtres du stand-up. Le succès de Jamel Debbouze a indéniablement suscité des vocations, mais l’inspiration fait parfois défaut à ceux que le « Rebeu » le plus drôle de France a choisi de faire sortir de l’ombre dans le cadre de son émission. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs arrivés au stand-up parce qu’on ne leur proposait que des rôles limités au cinéma ou au théâtre. Bien que l’exercice ne convienne pas à tout le monde, le one-man show s’est alors imposé comme le seul espace où il est possible de s’exprimer.
Les plus humbles, comme Claudia Tagbo, française d’origine ivoirienne que l’on a vue notamment dans La Valse des gros derrières, film du Béninois Jean Odoutan, reconnaissent avoir encore beaucoup à apprendre avant de monter leur propre spectacle. Même son de cloche chez Frédéric Chau, le premier humoriste d’origine chinoise de France, qui avoue pourtant beaucoup écrire. En attendant, grâce au Jamel Comedy Club et à la médiatisation qui a suivi, le jeune humoriste a décroché un rôle dans le prochain long-métrage d’Isabelle Mergault, réalisatrice française de la comédie à succès Je vous trouve très beau. Le passage par la case « Star Academy du rire » aura donné un sacré coup de pouce à ces jeunes pousses, dont un grand nombre rêve en secret d’une belle carrière cinématographique. Le label « Jamel » leur profite déjà incontestablement. Reste à voir ce qu’ils en feront. Par ailleurs, un Jamel Comedy Club version marocaine est déjà en préparation. Il devrait voir le jour au printemps prochain. Nos zygomatiques attendent avec impatience de pouvoir se détendre.

Théâtre de Dix Heures : 36, boulevard de Clichy, 75018 Paris. Tél. : 01 46 06 10 17.
Jamel Comedy Club, le week-end à 18 heures. Alléluia, de Fabrice Eboué, les mardis, mercredis et jeudis à 20 heures. À block, de Thomas Ngijol, les mercredis, jeudis et vendredis à 22 heures. Le Patson Show, de Patson, le mardi à 22 heures et les vendredis, samedis et dimanches à 20 heures.

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