Le dernier round

Entre Bangoura, l’homme fort du régime, et Sylla, l’homme le plus riche du pays, la course à la succession du chef de l’État tourne à la guerre ouverte.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Après les escarmouches, place à l’artillerie lourde dans la guerre qui oppose l’homme fort du régime guinéen, Fodé Bangoura, ministre d’État chargé des Affaires présidentielles, à l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla, proche parmi les proches du chef de l’État. La vendetta entre les deux ex-alliés s’envenime à mesure que la maladie éloigne Lansana Conté des leviers de commande de l’État.
Dernier épisode en date de cette lutte de succession à peine larvée : les incidents survenus le 27 novembre, à la suite de la parution six jours plus tôt d’un rapport d’audit pourtant censé faire le point définitif des transactions financières entre le Trésor public et Futurelec, le groupe du businessman. Bangoura a fait interdire une conférence de presse des avocats de ce dernier, prévue dans un grand hôtel de la capitale, obligeant l’homme d’affaires à l’accueillir dans la cour de son immense propriété de Dixinn-Bora, dans la proche banlieue de Conakry.
Deux cars de policiers, garés de part et d’autre de la rue qui jouxte la demeure, n’ont pas réussi à dissuader Sylla d’y organiser le face-à-face de ses défenseurs avec la presse. Il ne pouvait renoncer à donner sa « version des faits », sous peine de perdre la guerre des communiqués suscitée par le « rapport définitif sur les transactions financières entre l’État et Futurelec » des cabinets FFA Ernest & Young et PKF-Audit Guinée.
Dès le lendemain de la parution, Bangoura instruit le ministre chargé du Contrôle économique et financier d’occuper la radio et la télévision publiques pour expliquer que l’étude a conclu à une dette de Futurelec vis-à-vis du Trésor public. « Le cumul des opérations donne le solde suivant en faveur de l’État : 48 017 746 656 de francs guinéens [environ 5,6 millions d’euros], et 284 447 dollars [214 584 euros] », martèlent en boucle les médias publics. Chiffres réfutés par les avocats de Sylla qui exhibent des copies du rapport et précisent que c’est l’État qui doit 22,6 millions de dollars (dont il faut déduire une dette de 4,04 millions de dollars de Futurelec) et 12 millions de dollars de titres émis sur le Trésor public.
Alors que la polémique enfle, Sylla et Bangoura mènent, chacun de son côté, une offensive à l’endroit de Lansana Conté. Dès la matinée du 22 novembre, le premier rend visite au chef de l’État, dans sa retraite de Wawa, à une centaine de kilomètres de la capitale. Il trouve le président en compagnie du ministre de la Santé, Amara Cissé, et du directeur de la Loterie nationale de Guinée (Lonagui), Adnan Abou Kalil. Lui tendant un exemplaire du document, il attaque : « Le rapport d’audit est disponible depuis hier. » « Qui doit de l’argent à qui ? » interroge Conté. « C’est l’État qui m’en doit », répond-il. « Dans ce cas, il n’a qu’à payer, poursuit le président. Je vais regarder le rapport. Le gouvernement ne m’en a pas donné copie. Nous allons en reparler à Conakry. »
Informé, Bangoura se rend à son tour à Wawa. Et présente à son patron un « mémo » préparé par le ministre du Contrôle économique et financier, évidemment conforme à la thèse qu’il a toujours défendue.
Le 16 novembre déjà, un « coup d’État » orchestré par l’homme fort du régime a éjecté l’homme le plus riche du pays de son fauteuil de président du patronat guinéen. À la tête de cinq autres dissidents du Conseil national du patronat guinéen (CNPG), Elhadj Youssouf Diallo, transitaire, qui dirige la société Transmar Guinée S.A., s’est autoproclamé patron des patrons. Avec la bénédiction du gouvernement. Et de justifier ainsi son geste : « Dans le but exclusif de ne pas laisser entretenir un amalgame entre le président du patronat et l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla, nous avons estimé utile et responsable de l’inviter à prendre un congé jusqu’à ce qu’il soit à nouveau considéré comme un citoyen libre jouissant pleinement de tous ses droits. »
Ces bonnes intentions paraissent suspectes à l’entourage de Sylla, qui suppute que Diallo est victime d’un chantage de Bangoura. Ce dernier le tiendrait par l’Agence judiciaire de l’État interposée, qui réclame depuis plusieurs mois à Diallo la bagatelle de 6 milliards de francs guinéens qui lui avaient été prêtés par l’État sur le Fonds d’aide japonais.
Tous les moyens sont bons pour régler son compte à Sylla, qui a commis l’erreur fatale de lorgner le fauteuil présidentiel. Prétendant à la succession, détenteur de ce qui reste du pouvoir, Bangoura s’attelle à isoler peu à peu son adversaire pour mieux l’abattre. Il s’emploie depuis plusieurs mois à faire tomber un à un tous ses alliés. Ou tout au moins à les neutraliser. Ainsi de l’ex-ministre des Finances, Cheick Ahmadou Camara, empêché de voyager pour prendre part à la Conférence économique internationale à laquelle il était convié, au Canada, les 28 et 29 novembre. Camara risque des poursuites pour complicité de transactions financières illégales passées entre le Trésor public et Sylla alors qu’il était le grand argentier du pays.
Après avoir réussi à faire limoger le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Fodé Soumah – accusé, alors qu’il était vice-gouverneur de la Banque centrale, d’avoir frauduleusement décaissé 16 milliards de francs guinéens au profit du patron de Futurelec -, Bangoura a obtenu que la justice ouvre une instruction autour de ce chef d’inculpation. Mais aussi et surtout que Sylla, entendu à trois reprises par le juge d’instruction du tribunal de première instance de Conakry, soit placé sous contrôle judiciaire.
Loin de se confiner dans une position de victime, l’homme d’affaires se défend. Avec les armes qui sont les siennes, dont l’argent et tous les atouts qu’il confère. Il a réussi à créer une sorte de « cinquième colonne » à l’intérieur du gouvernement, des ministres qui travaillent activement contre Bangoura, le Premier ministre de fait. Mais également à se faire des alliés dans les hautes sphères de l’État. Outre le fait qu’il continue à fréquenter Conté, il est parvenu à s’entendre avec le président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, et le chef d’état-major des forces armées, Kerfalla Camara, contre le « gardien du palais » chargé de la gestion des affaires présidentielles.
Mieux, Sylla attaque pour porter la pression sur son ennemi intime. Le 2 novembre, Futurelec a adressé à Bangoura une lettre lui demandant le règlement de factures estimées à 3,38 milliards de francs guinéens (520 000 dollars). « Nos livres comptables font ressortir que vous n’avez pas régularisé nos différentes livraisons », lit-on dans la correspondance qui dresse les spécifications de véhicules livrés aux membres de la proche famille du ministre d’État aux Affaires présidentielles. Non sans ajouter : « Nous vous demandons de procéder au règlement de ce montant sous huitaine. À défaut, nous serons dans l’obligation de recourir à d’autres voies pour faire prévaloir notre droit de paiement. »
Propos comminatoires qui sonnent comme une déclaration de guerre alors que l’arbitrage de Conté tarde à tomber.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires