Droits d’auteur en Afrique : « Nous observons une grande amélioration de la situation »
À l’heure du développement massif de l’art africain, en particulier musical, la question des droits d’auteur devient de plus en plus brûlante. L’avocat Yvon Ngombé a répondu aux questions de JA.
Yvon Ngombé est un avocat spécialisé dans les droits d’auteur, enseignant au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) à Paris et à la PPA Business School, et fondateur et président de l’Association pour la promotion de la propriété intellectuelle en Afrique (qui regroupe des créateurs, inventeurs, avocats, enseignants et étudiants).
Jeune Afrique : Quel état des lieux peut-on dresser du droit d’auteur en Afrique ?
Yvon Ngombé : Il faut d’abord définir ce que l’on entend par droit d’auteur. Si je crée une œuvre, elle ne peut pas être recopiée et partagée, en clair, exploitée sans mon accord, et, le cas échéant, sans que j’en profite financièrement. C’est vrai pour les musiciens, les écrivains, mais aussi les peintres, les sculpteurs, ou encore les créateurs de mode qui inventent des motifs de tissus, des impressions de pagnes, etc. Ces créations sont protégées par le droit d’auteur. S’il n’est pas respecté, on parle de « contrefaçon » ou, dans le langage courant, de piratage.
Souvent, sur le continent, un musicien copié va se sentir flatté que son œuvre soit contrefaite, car c’est pour lui le signe d’un succès. Mais il faut savoir que les pirates africains gagnent plus d’argent que les artistes !
Les dispositifs législatifs sur la question du droit d’auteur existent. Les textes sont souvent plutôt récents et adaptés à l’environnement numérique. C’est du côté de l’application et du respect de ces textes que cela pèche.
Qu’est-ce qui empêche de les appliquer ?
On observe tout d’abord dans plusieurs pays une méconnaissance des droits, de la part des pouvoirs publics comme des artistes. Ensuite, les professionnels du droit qui maîtrisent ces problématiques sont encore trop peu nombreux sur le continent. Le droit d’auteur est enseigné dans très peu d’universités. Ce qui explique que dans certains États, la loi reste lettre morte.
Tout ces éléments donnent une image plutôt mitigée de la gestion des droits d’auteur en Afrique. Pourtant n’existe-t-il pas des raisons de se réjouir ?
En effet, nous observons tout de même une grande amélioration de la situation. De plus en plus de personnes s’intéressent à la problématique du droit d’auteur en Afrique. La preuve : une quarantaine d’étudiants africains préparent en ce moment une thèse sur le sujet. Cela peut paraître peu, mais il faut se rappeler qu’il y a quinze ans, une spécialiste anglaise de cette problématique n’avait décompté sur le continent que neuf professionnels de la propriété intellectuelle, dont deux spécifiquement sur le droit d’auteur. Deux pour toute l’Afrique !
Dans les pays anglophones, le contentieux est devenu fréquent
Il faut souligner le travail très important des organisations régionales – l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle, et sa sœur pour les pays anglophones, l’African Regional Intellectual Property Organization – et internationales – l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle –, qui préparent à ces questions des professionnels du droit, mais aussi des journalistes, des magistrats, des opérateurs économiques .
Quels défis faut-il relever pour continuer à progresser ?
Il faut mettre l’accent sur la formation de professionnels du droit, de magistrats, pour que les textes soient appliqués. Et informer les pouvoirs publics et les artistes eux-mêmes, non seulement en français mais aussi dans les langues vernaculaires. D’ailleurs, les artistes doivent absolument conclure des contrats qui prévoient la rémunération des droits d’auteur. Il faut également qu’ils adhèrent à un organisme de gestion collective de ces droits, ce que fait par exemple la Sacem en France, qui traite à leur place ces questions. Et quand c’est nécessaire, il faut qu’ils agissent en justice.
Dans les pays anglophones, le contentieux est devenu fréquent, alors qu’il reste encore 9 fois plus rare chez les francophones. Un décalage probablement dû à la culture : les pays anglo-saxons sont très habitués à passer par la case « tribunal » et les pays anglophones d’Afrique semblent avoir hérité de cette culture judiciaire.
Le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso disposent de lois plutôt à la page
Mais de plus en plus de jeunes artistes, en particulier les musiciens, ont conscience de leurs droits. Ils sont attentifs à leurs contrats, qu’ils négocient. Et en plus ils assurent une veille à l’égard de leurs créations, ce qui leur permet d’intervenir chaque fois que c’est nécessaire, soit par le biais de leur community manager, soit en choisissant de bons partenaires commerciaux qui feront ce travail à leur place.
Qui sont les bons élèves dans le domaine en Afrique ?
Il y en a plusieurs : le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso disposent de lois plutôt à la page. En Côte d’Ivoire, le texte est bien écrit et correspond aux standards internationaux. Le Burida [Bureau ivoirien du droit d’auteur, organisme de gestion collective du droit d’auteur] reverse leur dû aux artistes, et agit en justice pour défendre leurs intérêts. C’est un exemple à suivre. C’est la même chose au Sénégal avec la société des droits d’auteur et des droits voisins.
Du côté des pays anglophones, les pays d’Afrique australe, ou le Nigeria, ont un corpus législatif concernant le droit d’auteur qui est solide et bien appliqué. D’autant que le volume, en matière financière, est très important.
Les expressions culturelles traditionnelles semblent mieux protégées en Afrique que les œuvres d’art moderne. Comment expliquez-vous cette différence ?
C’est vrai que les États africains ont bien compris les enjeux qui entourent les expressions culturelles traditionnelles. D’ailleurs leur protection est prévue dans la majorité des lois sur le continent. Par exemple, si vous voulez utiliser un chant téké – le peuple téké vit en partie au Gabon, au Congo et en RDC –, vous devrez reverser une partie des revenus d’exploitation de ces chants à chaque pays.
Les États africains essayent désormais de faire mieux reconnaître cette protection à l’international…
Une convention internationale est d’ailleurs en cours d’élaboration – qui permettrait à ces pays de percevoir des revenus en cas d’exploitation d’expressions culturelles traditionnelles – et les pays anglophones ont déjà adopté leur propre convention régionale – le protocole de Swakopmund –, qui vient affirmer cette protection. Pourquoi les États semblent vouloir protéger particulièrement ces expressions culturelles ? C’est peut-être dû au fait que ce sont des richesses communautaires, dont la valeur revient à tous.
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