Fin de l’école buissonnière

Interrompus depuis septembre 2002, les cours ont repris au Nord, à la dernière rentrée scolaire. Grâce à l’appui d’enseignants bénévoles et d’ONG.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Octobre 2006 : les enfants de Bouaké reprennent enfin le chemin de l’école. Une date de rentrée scolaire unique pour toutes les régions de Côte d’Ivoire, après quatre ans de chaos. Depuis le 19 septembre 2002, quatre directions régionales de l’Éducation nationale sont sous occupation des Forces nouvelles : Bouaké, Korhogo, Man et Odienné. Et depuis cette date, plus de la moitié des 700 000 enfants en âge d’être scolarisés ont été forcés d’abandonner leurs études. De nombreuses écoles ont été endommagées, pillées ou brûlées pendant les combats et, à Bouaké, certaines en portent encore les stigmates : impacts de balles dans les murs, portes défoncées, salles vides de tout mobilier. « L’État s’est fortement désengagé. Le gouvernement a le devoir de construire des écoles et de les entretenir, mais, depuis 2002, il n’y a plus de budget ici. La gestion de la crise s’installe dans la durée. Or l’école ne peut se gérer dans l’urgence : il faut financer des activités durables », explique Sékou Touré, président de l’association École pour tous (EPT), créée en 2003 et qui rassemble les ONG du secteur éducatif de la région de Bouaké. Les chiffres recueillis par EPT sont alarmants : de 589 000 élèves de primaire en 2001-2002, il n’en reste que 229 000 en 2005-2006. Dans le secondaire, on est passé de 119 000 à 68 000 élèves en 2004-2005.
La fuite des fonctionnaires au Sud se retrouve aussi dans les statistiques : le nombre d’enseignants a chuté de 11 000 à 3 980 pour le primaire et de 3 359 à 919 pour le secondaire. En sachant que les effectifs relevés en 2004-2005 sont constitués pour moitié de volontaires… Et le recours à ces derniers présente des inconvénients : « Officiellement, l’école primaire est gratuite. Mais pour les enseignants non fonctionnaires, on a fait appel aux parents, qui versent une contribution pour les payer. Cela pose de gros problèmes en ville. En milieu rural, les communautés s’organisent pour donner à manger à l’enseignant en échange de son travail. »
En août dernier, EPT a effectué des tournées dans différentes régions pour identifier les écoles encore fermées. « Les villageois ont des besoins, mais ne savent pas à qui s’adresser. Nous avons recensé 1 798 écoles primaires ouvertes en 2005-2006 qui rencontrent toutes sortes de problèmes. Celles qui se trouvaient dans des localités de point de passage, surtout. Certains établissements secondaires ont servi de camps militaires, comme le Lycée moderne II de Bouaké, réhabilité récemment, mais pas complètement. » Aux destructions d’écoles et à la fuite des fonctionnaires s’ajoute une forte déscolarisation des enfants. Certains ont été enrôlés dans les rangs des Forces nouvelles (ils étaient 3 000 en 2005, selon les chiffres de l’Unicef, qui tente actuellement d’en réintégrer 1 600), d’autres se retrouvent dans la rue, orphelins de guerre ou du sida.
D’un autre côté, les parents, qui s’appauvrissent d’année en année, sont réticents à envoyer leurs enfants à l’école, surtout les filles. Dans ce cadre, EPT mène des actions concrètes. Avec l’Unicef, elle a distribué en 2003 pour 56 000 dollars de kits scolaires, les parents ne pouvant plus payer les fournitures. Elle a formé 200 jeunes filles de moins de 18 ans déscolarisées depuis la crise et organise des rencontres pour amener les chefs de communauté à envoyer les filles à l’école.
Reste la question des examens. Que ce soit au collège, pour le baccalauréat ou à l’université, ils n’ont pas été organisés pendant trois ans. « Le dernier examen du bac remontait à 2003, en pleine crise. En août 2005, le ministère de l’Éducation a refusé d’organiser l’examen pour raisons de sécurité », se souvient un jeune bachelier. « On n’a pas eu de cours d’août à octobre 2005 : on a été obligés de redoubler. En mars 2006, on a été prévenus une semaine avant de la tenue de l’examen, c’était trop court pour se préparer. Finalement, les saisons 2003-2004 et 2004-2005 ont été combinées et on a passé le bac 2006 fin août. Je l’ai eu, mais si je veux continuer mes études, je vais devoir aller à Abidjan, tous les profs sont là-bas ! Et, ce n’est pas beaucoup mieux : ils sont sans arrêt en grève… La meilleure solution est de s’inscrire dans une grande école à Abidjan, privée ou semi-privée, mais ça coûte très cher. »
Certains bacheliers et anciens étudiants ont pourtant fait le choix de rester à Bouaké et d’y étudier coûte que coûte. Moussa Konaté, 27 ans, est président du comité des étudiants de Bouaké et vient de se réinscrire en deuxième année de sciences économiques. « Lorsque la crise a éclaté, je suis resté avec un ami, Idriss Konaté, sur le campus I de Bouaké, sur lequel on habitait. Après les affrontements du 7 octobre 2002, on s’est retirés, mais on est vite revenus, car on avait peur qu’on nous vole nos affaires. D’ailleurs, le campus a été largement pillé. À deux, on avait peur, bien sûr, mais on était motivés ! La situation a été très dure de 2002 à mai 2003, après ça s’est calmé. D’autres étudiants sont venus nous rejoindre, certains occupaient les lieux dans la journée pour nous soutenir et rentraient dormir chez eux. Après le 4 juillet 2003 et le cessez-le-feu, on a décidé de formaliser notre comité et d’uvrer pour la réouverture du site. »
L’université a été délocalisée à Abidjan, mais peu d’étudiants ont suivi le mouvement : difficile de traverser le pays et de se payer un logement dans la capitale économique. Le comité des étudiants a réussi à « établir un contact avec le ministère de tutelle, qui est venu en mission à Bouaké » et « a été soutenu par la force Licorne » : « Les militaires nous ont donné un coup de main pour la réhabilitation de l’université », indique Moussa. « À partir de 2005, les choses sont allées plus vite. Il y a eu une réhabilitation grâce aux Nations unies et les FN ont accepté de financer l’inscription de 1 000 étudiants, 6 000 F CFA pour les anciens, comme moi, et 7 000 F CFA pour les nouveaux. Le problème : seuls deux professeurs d’université résidaient alors à Bouaké. Certains ont eu des appréhensions pour revenir, mais, à partir de mars 2005, les premières inscriptions ont commencé. »
En 2006, la visite du Premier ministre Charles Konan Banny accélère le processus, et l’université rouvre officiellement le 28 mars. Le premier cours a lieu le 6 avril. Pour le moment, aucune date d’examen n’a été fixée, mais les professeurs organisent des partiels anticipés. Tous les cours ont repris, mais les deux campus d’origine (campus I pour le droit et les sciences économiques, campus II pour les lettres et les sciences humaines) ont été regroupés sur le même site. À ce jour, les dégradations sont encore largement visibles sur les bâtiments qui ont essuyé des tirs d’obus et de balles. Le bâtiment de la bibliothèque en garde encore des traces. Ce qui n’empêche pas Moussa, comme ses camarades, d’être optimiste : « La réouverture de l’université, c’est ce qu’on voulait depuis le début de la crise. On a confiance. Si nous n’y avions pas cru, la réouverture n’aurait jamais eu lieu. »

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