Guerre d’Algérie : le Sénat français vote des réparations pour une partie des harkis
Le texte reconnaît « les conditions indignes de l’accueil » réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles, qui ont fui le pays après l’indépendance. Mais quelque 40 000 rapatriés sont exclus de la réparation.
Demander « pardon » et tenter de « réparer » les préjudices subis par les harkis et leurs familles. Après l’Assemblée nationale, c’est un projet de loi allant dans ce sens qu’a voté le Sénat en première lecture, le 25 janvier au soir et au terme d’intenses débats, nombre d’élus martelant qu’il ne pourrait valoir « solde de tout compte ». Le texte a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés (331 voix pour, 13 abstentions).
Près de soixante ans après la Guerre d’Algérie (1954-1962, près de 500 000 morts), le projet de loi se veut la traduction législative d’un discours d’Emmanuel Macron, qui, le 20 septembre dernier, avait demandé « pardon » à ces Algériens ayant combattu aux côtés de l’armée française, mais qui furent « abandonnés » par la France.
50 000 bénéficiaires potentiels
Ce texte est « celui de la reconnaissance par la nation d’une profonde déchirure et d’une tragédie française, d’une page sombre de notre Histoire », a souligné la ministre française chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, Geneviève Darrieussecq.
Le texte reconnaît « les conditions indignes de l’accueil » réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles, qui ont fui l’Algérie après l’indépendance. Près de la moitié d’entre eux ont été relégués dans des camps et des « hameaux de forestage ». « Ces lieux furent des lieux de bannissement, qui ont meurtri, traumatisé et parfois tué », a affirmé la ministre. Pour ceux-ci, le projet de loi prévoit « réparation » du préjudice avec, à la clef, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures.
Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé par le gouvernement à 50 000, pour un coût global de 302 millions d’euros sur environ six ans. Les sénateurs ont précisé le texte pour intégrer « certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés » dans la liste des structures éligibles au mécanisme de réparation.
« Faux espoirs » et « goût d’inachevé »
Pour la rapporteure Marie-Pierre Richer (LR), s’il « comporte des avancées importantes », le projet de loi « a un goût d’inachevé ». Les déceptions se sont cristallisées sur les quelque 40 000 rapatriés qui n’ont pas séjourné dans ces structures, mais dans des « cités urbaines », exclus de la réparation. « Leur seul tort est de ne pas avoir vécu entourés de barbelés », s’est insurgé Philippe Tabarot (LR), fustigeant un mécanisme de réparation « à la fois partiel et partial ».
Le Sénat a adopté successivement deux amendements visant à élargir les prérogatives de la Commission de reconnaissance et de réparation que crée le projet de loi. Celui du gouvernement tend à garantir « à tous les harkis combattants » un accès à cette Commission, qui pourra examiner leurs situations individuelles et leur proposer « toute mesure de reconnaissance appropriée ».
Le temps du silence et de la honte est révolu
Le chef de file des sénateurs (Les Républicains) Bruno Retailleau a souhaité voir plus loin en lui confiant, pour tous les harkis, le soin de « proposer toute mesure de reconnaissance et de réparation ». La ministre a mis en garde contre « les faux espoirs » que pourrait susciter cet ajout, car « la Commission ne pourra pas décider elle-même d’attribuer une indemnisation ».
Députés et sénateurs vont maintenant tenter de s’accorder sur un texte de compromis. En cas d’échec, l’Assemblée aura le dernier mot. « Le temps du silence et de la honte est révolu », a déclaré la sénatrice de Paris Esther Benbassa. « La douleur est toujours vive, les plaies peinent à cicatriser et les mémoires sont encore troublées », a souligné la socialiste Emilienne Poumirol. En témoigne l’accès de fièvre qui a échauffé les esprits sur tous les bancs lors de la discussion d’amendements, qui n’ont pas été adoptés, visant à inscrire dans la loi que les harkis sont des « citoyens français ». « J’ai toujours dit que les harkis étaient Français, ce sont des citoyens français depuis toujours », a affirmé la ministre.
Jusqu’à 200 000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962. Depuis un décret de 2003, une journée d’hommage de la nation leur est consacrée chaque 25 septembre. Symboliquement, les députés ont inscrit cette date dans la loi. « Chaque année la République vous entendra », a lancé la centriste Brigitte Devésa, à l’adresse des représentants d’associations de harkis présents dans les tribunes.
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