Dernier avis avant tempête

À peine un mois s’est écoulé depuis l’adoption de la résolution 1721 par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le ton monte à nouveau au sommet de l’État.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Où va le « tandem » qui gouverne la Côte d’Ivoire ? Les rapports entre « le chef de l’État maintenu pour un an à la tête du pays » et « le Premier ministre aux pouvoirs élargis » se sont brutalement tendus après la sortie, le 22 novembre, du rapport d’enquête sur les déchets toxiques déversés début septembre sur Abidjan (voir J.A. n° 2384). Alors que le Premier ministre Charles Konan Banny promet de sanctionner les coupables, le président Laurent Gbagbo décide, le 26 novembre, que Marcel Gossio, Pierre Amondji et Gnamien Konan, respectivement directeur du Port autonome d’Abidjan, gouverneur du district d’Abidjan et patron de la douane, qui avaient été suspendus dans le cadre de l’affaire, vont reprendre leurs fonctions. Réplique de Konan Banny dès le lendemain, 27 novembre, appelant instamment le chef de l’État à revenir sur sa décision et à « mettre un terme à la culture de l’impunité ». Le président lui oppose, le 28, une fin de non-recevoir et limoge le directeur de la Radiotélévision ivoirienne (RTI), pour avoir diffusé la réaction du Premier ministre. Longtemps larvée, la crise latente entre les deux têtes de l’exécutif éclate au grand jour.
Ainsi va la vie au sommet de l’État ivoirien depuis le 1er novembre, date de l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 1721. Fruit d’un compromis entre la première mouture de la France (qui en était l’initiatrice) et les réserves des États-Unis, de la Chine et de la Russie, la 1721 sert aujourd’hui de mode d’emploi aux institutions ivoiriennes. Elle maintient Laurent Gbagbo à la tête de l’État pour un an au plus, mais le dépouille de quasiment toutes les prérogatives attachées à sa fonction pour les confier au Premier ministre du gouvernement de réconciliation nationale, Charles Konan Banny, nommé il y a un an. Ce dernier dispose de tous les pouvoirs, y compris celui de prendre des décisions par ordonnances ou décrets-lois, pour exécuter sa feuille de route : sortir le pays de la crise et mener à bien le processus électoral. Pour y parvenir, Konan Banny jouit également, sur le papier, de « toute l’autorité nécessaire sur les forces de sécurité et de défense de Côte d’Ivoire ».
Mais il y a loin des textes à la réalité. Laurent Gbagbo n’est pas homme à se laisser marginaliser, et deux failles de la résolution 1721 lui permettent de rester dans le jeu. Deux dispositions contenues dans le projet de la France ont été atténuées : l’affirmation de la primauté de la résolution onusienne sur la Constitution ivoirienne et la reconnaissance au Premier ministre du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires. Gbagbo n’a pas tardé à s’engouffrer dans ces brèches pour jouer ses prérogatives constitutionnelles contre les pouvoirs reconnus par l’ONU à Konan Banny. Bien que le document onusien précise qu’on ne saurait se retrancher derrière des textes nationaux pour nuire au processus en cours, le chef de l’État a déclaré, dès le 3 novembre, dans une adresse à la nation : « Le Premier ministre, nommé par le président de la République, par décret, ne peut lui-même nommer par décret. [] Toutes les atteintes contenues çà et là encore dans le texte de la résolution et qui constituent des violations de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire ne seront pas appliquées. »
Réplique de Konan Banny, dans un discours du 8 novembre : « La résolution 1721 a défini des rôles pour tous et pour chacun. Pour ma part, j’entends prendre toutes mes responsabilités et exécuter pleinement la mission qui m’a été confiée. » Il compte donc mettre en uvre le programme de Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR), redéployer l’administration sur l’ensemble du territoire, réunifier l’armée, identifier la population, élaborer les listes électorales et organiser les élections qui ont été reportées deux fois depuis octobre 2005 Vaste chantier, dont la conduite peut se heurter à bien des réticences, qu’elles viennent des Forces nouvelles (FN, l’ex-rébellion, qui occupent plus de la moitié du pays) et de l’opposition non armée, ou du chef de l’État, de son bataillon civil, les « Jeunes patriotes » dirigés par Charles Blé Goudé, et des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci).
Titulaire de l’essentiel des pouvoirs de l’exécutif, Konan Banny n’a ni police, ni gendarmerie, ni armée pour faire exécuter ses décisions. Il n’est pas encore parvenu à mettre en place les éléments de sa garde rapprochée, tirés des différents corps des Fanci. À peine la résolution 1721 était-elle adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU que Gbagbo convoquait déjà Philippe Mangou, chef d’état-major des Fanci, et ses principaux collaborateurs pour qu’ils lui renouvellent leur loyauté. « Les forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire vous apportent leur soutien en votre qualité de président de la République, chef suprême des armées, lui a assuré Mangou. Elles réaffirment leur attachement à la Loi fondamentale de la République et à ses institutions. » Pour parachever le verrouillage sécuritaire du pays, Gbagbo a signé un décret pour habiliter l’armée à prêter main forte à la police dans des opérations de maintien de l’ordre.
La Côte d’Ivoire se trouve donc dans une situation inédite où celui qui a les pouvoirs n’a pas les moyens de les exercer. Le chef du gouvernement cumule sa fonction avec celle de ministre des Finances, mais il peine à avoir la haute main sur les deniers publics. Des hommes nommés par le palais demeurent à la tête des principales régies financières. Et il faut parcourir un véritable chemin de croix pour arriver à en limoger un. Konan Banny en a fait l’expérience ailleurs. Également en charge du ministère de la Communication, il a eu beaucoup de mal à remplacer Honorat Dé Yédagne à la tête du quotidien national Fraternité Matin. Nommé le 30 octobre par le conseil d’administration, son successeur Léon Francis Lébry a été limogé par Gbagbo le 26 novembre. Le jour même où, on l’a vu, il annulait la suspension de Marcel Gossio, Pierre Amondji et Gnamien Konan.
L’expérience depuis l’éclatement de la crise le prouve : le chef de l’État n’entend pas « subir » un processus de paix qui ne lui semble pas conforme à ses intérêts. Il veille, par exemple, à ce que l’identification de la population, clé de la future élection présidentielle, se passe sans bouleverser la donne électorale en sa défaveur. Si les accords de paix préconisent de nouvelles inscriptions pour toute la population, les audiences foraines, censées délivrer les actes d’état civil indispensables aux futurs votants, ont été brutalement stoppées le 19 juillet par les « Jeunes patriotes ». Dans un pays où la seule question qui vaille au sein de la population est de savoir si l’on est ivoirien, ce problème ne peut rester sans solution. Et il n’y aura pas de désarmement tant qu’il ne sera pas résolu. Guillaume Soro, le leader des Forces nouvelles, martèle à tous ceux qui l’invitent à déposer les armes : « Chaque fois que je pose le problème devant mes hommes, ils me répondent : Nous n’avons pas de carte d’identité. Si nous rendons les armes sans qu’on nous en délivre, nous allons devenir apatrides. Où allons-nous vivre ? »
Après avoir mis sur pied deux groupes de travail chargés l’un de l’identification et l’autre des questions militaires, Konan Banny compte donner un coup d’accélérateur au processus de paix. Réussira-t-il ? Réponse, au plus tard, en février prochain, quand le Conseil de sécurité se réunira pour faire un bilan d’étape sur le processus de paix en Côte d’Ivoire et, si nécessaire, renforcer la résolution 1721 pour enfin mener le processus de paix à son terme.

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