Dans un fauteuil ?

Face à une opposition affaiblie et fort d’un bilan économique satisfaisant, le chef de l’État sortant s’est lancé dans la présidentielle du 3 décembre, persuadé de se succéder à lui-même.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Marc Ravalomanana, armé de son bilan de cinq ans à la tête du pays, arrivera-t-il à convaincre ses concitoyens de lui accorder un nouveau mandat présidentiel le 3 décembre ? S’il n’a pas pu jouer une deuxième fois sur l’attrait de l’inédit qui l’a porté au pouvoir à l’issue de l’élection de 2001, il a su revendiquer le changement d’image qu’il a imposé à Madagascar. Au-delà des apparences, le pays a réellement changé sous la présidence de cet homme d’affaires égaré en politique.
Tout commence au lendemain du scrutin présidentiel, lorsque, dénonçant une manipulation des résultats, Ravalomanana revendique la victoire dès le premier tour. S’ensuit un contentieux, qui, six mois durant, va l’opposer au chef de l’État sortant.
Un bras de fer dans lequel Ravalomanana incarne le renouveau face à celui qui hante les sphères politiques malgaches depuis plus de trois décennies. Après avoir passé vingt-trois ans à la tête d’un État enlisé dans une pauvreté grandissante, l’amiral Didier Ratsiraka fait figure d’homme usé. Son régime, longtemps séduit par le marxisme tropical, s’est progressivement disqualifié en tentant d’appliquer laborieusement les réformes structurelles prescrites par les institutions financières internationales. Bref, rien de très séduisant pour les électeurs, victimes d’une érosion continue de leur pouvoir d’achat.
« Si Ravalomanana a réussi à prendre la Grande Île, c’est que les Malgaches le voulaient bien », résume un diplomate en poste à Antananarivo durant la crise de succession. Héritière du parti unique avec tous les défauts que cela suppose, l’Action pour la renaissance de Madagascar (Arema) pouvait difficilement rester cinq ans de plus à la tête du pays. Quant à l’opposition parlementaire, minée par les querelles intestines, elle a laissé le souvenir d’une gestion cahoteuse et d’une incapacité pathologique à s’unir.
Lassés par l’immobilisme des uns et par l’incurie des autres, les électeurs ont donc vu en Ravalomanana l’incarnation d’une troisième voie séduisante. Cette intrusion inopinée d’un jeune loup dans l’enclos du pouvoir occupé depuis plusieurs décennies par les mêmes caïmans a donné lieu à un certain renouvellement du personnel politique à partir du second semestre 2002. Une petite révolution plutôt bien accueillie par l’opinion publique en général, et par les partenaires extérieurs du pays en particulier.
De fait, dès le 26 juillet, quelques jours après la reconnaissance officielle du régime par les États-Unis et la France, les « Amis de Madagascar », réunis à Paris sous la houlette du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et de la Banque mondiale, promettent de mobiliser 2,4 milliards de dollars pour la reconstruction de la Grande Île sur la période 2002-2006. Emmenés par le Premier ministre Jacques Sylla, les négociateurs ont réussi à gagner la confiance des institutions de Bretton Woods. Quatre ans plus tard, malgré les critiques des responsables du dossier malgache au Fonds monétaire international (FMI), ils la conservent toujours.
Simultanément, le pays a déployé une intense activité diplomatique. Le chef de l’État n’a pas manqué de visiter les grandes capitales, de Washington à Pékin en passant par Tokyo et Berlin. Avec Paris, pourtant suspecté d’avoir voulu soutenir son adversaire Ratsiraka lors de la crise de succession qui dura de janvier à juillet 2002, il a même instauré un dialogue plus qu’aimable. Ainsi, moins d’un an après son investiture, Ravalomanana a effectué une visite officielle dans l’Hexagone, avant de rendre la politesse à Jacques Chirac en le recevant à domicile en juillet 2005, à la veille du sommet de la Commission de l’océan Indien. La spontanéité du président malgache et la chaleur de son homologue français ont sans doute contribué à détendre l’atmosphère entre les deux pays et même à initier des rapports d’un nouveau genre. Lors de son voyage en terre malgache, Chirac a dénoncé « le caractère inacceptable des répressions engendrées par le système colonial » et rendu hommage aux victimes de l’insurrection nationaliste de 1947. Une révolution dans les relations franco-malgaches
Du Sommet du développement durable à Johannesburg en septembre 2002 au troisième Forum Chine-Afrique qui s’est tenu à Pékin en novembre 2006, en passant par les Assemblées générales de l’ONU ou les grand-messes dédiées à la Francophonie, Ravalomanana n’a manqué aucun des rendez-vous internationaux. Et encore moins africains. Sommets de l’Union africaine (UA), visites bilatérales : le président n’a cessé d’arpenter le continent, se liant même d’amitié avec certains de ses pairs. À commencer par le Sénégalais Abdoulaye Wade, qui fut médiateur dans la crise de 2002 et contribua à la normalisation des relations entre Antananarivo et l’UA. L’organisation panafricaine exigeait des gages de bonne conduite démocratique de la nouvelle équipe, et celle-ci ne s’est pas fait prier pour lui en fournir.
Surfant sur sa popularité, le tout frais émoulu président a organisé des législatives – remportées haut la main – et donné à son régime l’onction populaire que certains lui contestaient. Nouveau venu sur la scène politique, le Tiako’i Madagasikara (TIM) a ainsi pu rapidement s’organiser pour se transformer en véritable force politique. Encore hétérogène, lesté de quelques-uns de ses alliés de 2002, le mouvement ravalomananiste a conservé aujourd’hui une audience très large. En particulier sur les hauts plateaux, les régions centrales du pays, qui concentrent les ethnies merina et betsileo. Le bras de fer consécutif à la présidentielle de 2001 qui opposa clairement les partisans de Ratsiraka, concentrés dans les villes du littoral, à ceux de Ravalomanana n’a pas complètement disparu, même s’il est partiellement atténué. Et la guerre tribale annoncée par les barons de l’Arema, à commencer par Pierrot Rajaonarivelo, n’a pas eu lieu.
Ancien vice-Premier ministre de Ratsiraka, secrétaire national de l’Arema et opposant exilé à Paris depuis 2002, « Pierrot » reste l’un des adversaires les plus virulents du pouvoir (voir encadré p. 74). Sa tenue à l’écart par les autorités qui l’ont empêché de regagner la Grande Île en octobre dernier montre a contrario sa capacité de nuisance
Au-delà des exilés, l’opposition tout entière peine à se faire entendre. Minée par les querelles internes, elle ne parvient pas à faire front commun face au rouleau compresseur du TIM. Lequel avance le bilan économique du gouvernement pour convaincre les électeurs de lui apporter leurs suffrages. Si la coloration du parti reste très « merina », son état-major insiste sur le fait que le chef de l’État travaille pour tous les Malgaches, ce que ses adversaires contestent. Depuis l’indépendance, les élites côtières ont toujours fait alliance pour barrer la route aux tendances hégémoniques des dirigeants originaires des hautes terres, et ce réflexe identitaire persiste. Ravalomanana est le premier représentant merina à avoir conquis la présidence, non sans le soutien de certaines populations littorales, ce qui constituait en soi une performance. Il est sur le point d’en réaliser une seconde : se faire réélire, alors que, depuis la fin du monopartisme, aucun de ses prédécesseurs n’était parvenu à se maintenir à la tête du pays à l’issue de son mandat, quand il parvenait jusqu’à son terme. L’actuel homme fort du pays a certes commis des erreurs au cours de son premier quinquennat. Mais sans doute pas suffisamment pour être contraint de céder son fauteuil au camp adverse.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires