Conciliabules gaziers

Lors d’un grand raout à Oran, les autorités ont tenté de rassurer leurs partenaires européens, inquiets pour la sécurité de leurs approvisionnements.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

La troisième Semaine de l’énergie, qui s’est tenue à Oran du 25 au 30 novembre, ne pouvait mieux tomber. « Une belle occasion de lever les équivoques et de balayer les inquiétudes géostratégiques du marché », commente un consultant international. La manifestation a réuni plus de 1 600 participants et les représentants de près de 180 sociétés du monde entier.
En matière d’hydrocarbures, l’Algérie a lancé des projets d’investissements publics faramineux : 100 milliards de dollars d’ici à 2009. Après avoir apuré l’essentiel de sa dette extérieure, elle espère bien financer son développement par ses recettes pétrolières et gazières.
Le marché européen reste quant à lui traumatisé par la crise russo-ukrainienne du mois de janvier, qui lui a fait craindre pour la sécurité de ses approvisionnements en gaz. Au mois d’avril, le rapprochement entre Sonatrach, le groupe public algérien, et le géant russe Gazprom a renforcé ces inquiétudes. La Russie et l’Algérie étant, derrière la Norvège, ses principaux fournisseurs de gaz, l’Union européenne redoute l’apparition, sur le modèle de l’Opep, d’un cartel capable de lui imposer ses volontés. Et ce n’est certes pas l’échec, début novembre à Helsinki, des négociations entre Bruxelles et Moscou concernant un éventuel accord énergétique qui risque d’assainir le climat.
Enfin, la récente modification de la loi sur les hydrocarbures a quelque peu compliqué les rapports entre le gouvernement d’Abdelaziz Belkhadem et les groupes pétroliers opérant en Algérie (voir encadré p. 40). Pour toutes ces raisons, le rendez-vous oranais valait le détour. Et les participants ne l’ont pas regretté.
Chakib Khelil, ministre de l’Énergie et des Mines, a annoncé l’intention de son pays de fournir 40 % de la consommation européenne en 2015. Ce qui suppose naturellement une très sensible augmentation de ses capacités d’exportation : de 62 milliards de m3 par an aujourd’hui à 85 milliards en 2010. À partir de 2009, un nouveau gazoduc (« Medgaz ») d’une capacité de 8 milliards de m3 par an reliera le port de Béni Saf, à l’ouest d’Oran, à la ville espagnole d’Almería, distante de 200 km. La construction entre l’Algérie et l’Europe d’une ligne de communication en fibre optique est également prévue, de même que l’installation de câbles électriques par lesquels transitera la production d’une mégacentrale dont la réalisation est prévue, à Adrar, dans le Sud, à l’horizon 2009. Le coût du projet est estimé à 650 millions de dollars, mais les groupes européens se bousculent au portillon pour participer au tour de table. Même le Russe Gazprom s’est mis de la partie, au nom de la coopération stratégique qui le lie à Sonatrach.
Autre chantier d’envergure : le Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie (Galsi). Avant même la réalisation de ce pipeline, cinq accords commerciaux ont été signés entre Sonatrach et les groupes italiens Enel, Edison, Hera, Ascopiav et World Energy, en vue de la fourniture de 8 milliards de m3 par an, pendant vingt ans. Pourtant, Medgaz et Galsi (20 milliards de m3 par an à eux deux, après quelques années d’exploitation) sont encore insuffisants pour atteindre l’objectif affiché par Khelil. Mais le ministre algérien a une botte secrète. Elle tient en quatre lettres : TSGP.
Le Trans Saharian Gaz Pipeline est un gazoduc de 4 300 km reliant les immenses gisements du Delta du Niger, au Nigeria, aux terminaux gaziers européens, via le territoire algérien. Capacité prévue : 30 milliards de m3 par an. Les études de faisabilité sont terminées depuis le mois de septembre. La construction démarrera prochainement et devrait s’achever en 2015. Le projet sera complété par la réalisation des derniers tronçons de la route transsaharienne Alger-Lagos et par la pose d’une ligne de communication en fibre optique. Son coût global est estimé à 10 milliards de dollars.
Mais la Semaine oranaise a aussi permis au Letton Andris Piebalgs, le commissaire européen à l’Énergie, de mieux connaître ses interlocuteurs algériens, alors que les deux parties travaillent à la mise au point d’un accord stratégique dans le domaine énergétique. Même au plus fort de la guerre civile des années 1990, l’Algérie a toujours assuré normalement ses fournitures d’hydrocarbures à l’Europe. Pour l’UE, elle est un partenaire « sérieux et crédible » (Piebalgs dixit). Alors, à quoi bon un accord stratégique contraignant (la durée moyenne des contrats gaziers est de vingt ans) ? Pour les Algériens, son intérêt essentiel est qu’il devrait permettre à Sonatrach de vendre son gaz directement en Europe. À cet effet, le groupe algérien a créé, cette année, trois filiales pour la commercialisation de ses produits en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. « Cela fait partie de notre stratégie de développement international », commente Mohamed Meziane, le PDG du groupe. Par ailleurs, l’accord comportera un volet concernant les transferts de technologies en matière d’énergie renouvelable, dont le développement intéresse au plus haut point l’UE. Un grand projet éolien devrait ainsi voir le jour, dans quelques mois, dans la région de Tindouf, dans le sud-ouest du pays.
La coopération va donc bon train avec l’UE, l’Espagne, l’Italie, mais aussi le Royaume-Uni : un contrat de 6 millions d’euros a été signé entre Sonatrach et Shell pour la mise à niveau des structures algériennes de transport d’hydrocarbures. Et la France ? Quatrième client de l’Algérie, celle-ci était naturellement représentée à Oran. Partenaire traditionnel de Sonatrach, Gaz de France (GDF) a même, pour l’occasion, organisé un petit événement médiatique dans le port de Bethioua : le chargement de 155 000 m3 de gaz algérien à bord du Provalys, le plus grand méthanier du monde. Au cours d’une conférence de presse, Didier Holleaux, le vice-président de l’entreprise française, a évoqué l’existence de possibles synergies. GDF pourrait ainsi mettre ses installations de regazéification à la disposition de Sonatrach pour ses nouveaux marchés, notamment nord-américains.
Bref, la Semaine oranaise aura au moins permis d’apaiser les doutes des uns et des autres, de réconforter le marché et de confirmer le sérieux d’un partenaire nommé Sonatrach.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires