« Ce pays va repartir »

Rigueur, optimisme et prudence : les maîtres mots de Charles Diby Koffi, ministre délégué chargé de l’Économie et des Finances.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Installé au dix-neuvième étage de la tour Sciam, à Abidjan, Charles Diby Koffi fait les cent pas dans son bureau, le téléphone portable vissé à l’oreille. « Vous allez être payé, Monsieur. Ne vous inquiétez pas ! » Il raccroche, agacé. « Vous vous rendez compte. Un haut fonctionnaire qui m’appelle pour me réclamer son salaire. Si nous étions dans un pays normal, je comprendrais qu’il s’étonne de n’avoir rien reçu le 6 du mois. Mais nous sommes dans un pays anormal ! Et pourtant nous sommes arrivés à toujours payer les fonctionnaires. » Après cet épisode, le ministre s’assied et explique pourquoi la situation financière de son pays est moins catastrophique que ce qu’on aurait pu craindre.

Jeune Afrique : Comment expliquez-vous que l’économie ivoirienne ne se soit pas effondrée ?
Charles Diby Koffi : Il faut reconnaître que la Côte d’Ivoire a des atouts naturels considérables. C’est un pays où il suffit de planter pour récolter. Pendant quarante ans, la Côte d’Ivoire a profité des périodes d’embellie pour garantir un niveau d’infrastructures routières et portuaires important. Beaucoup d’entreprises nous ont fait confiance et se sont installées ici. Une grande partie d’entre elles se sont aujourd’hui délocalisées, mais, malgré la crise, certaines sont restées. Elles continuent de maintenir un investissement, non pas de croissance, mais de fonctionnement. Et nous avons une administration forte d’hommes bien formés.
Vous annoncez une croissance de 1,8 % pour 2006. C’est mieux que rien, mais c’est loin du potentiel ivoirien
C’est très loin de ce que la Côte d’Ivoire peut faire. Pour retrouver le chemin de la croissance, il faut d’abord assainir les dépenses publiques. Des efforts ont été faits au niveau des régies financières pour améliorer le recouvrement des recettes de l’État. Mais si, de l’autre côté, nous ne rendons pas la dépense efficace, l’effort s’annule. Nous voulons que chaque dépense ait un impact mesurable et visible. Ce qui devrait nous permettre d’orienter la dépense publique vers des investissements productifs.
Quelles sont vos priorités budgétaires ?
Éviter l’accumulation d’arriérés. Si l’opérateur sait qu’il est payé dans des délais raisonnables, il n’y a pas de surchauffe des prix. Il faut aussi faire un toilettage de la masse salariale et éviter que ceux qui sont payés par l’État ne travaillent pas réellement pour l’État.
L’administration n’a pas encore été redéployée. Combien cela coûte-t-il ?
On ne sait pas encore exactement. Mais le redéploiement est en train de se faire. Le problème vient de ceux qui ne sont plus en Côte d’Ivoire et continuent de percevoir un salaire. Nous avons sensibilisé les directeurs des affaires financières pour qu’ils tiennent un fichier du personnel transparent. C’est parce que nous avons géré la trésorerie avec rigueur que la Côte d’Ivoire a pu honorer ses engagements. Nous avons un mode de fonctionnement très prudent. Nous anticipons au maximum pour éviter les mauvaises surprises. C’est pourquoi, malgré les événements politiques qui ont des conséquences graves sur les recettes, nous arrivons quand même à honorer nos dettes. Si nous avons pu gérer la pénurie, nous maintiendrons ce niveau de rigueur pour mieux gérer l’abondance. Si la crise s’achève d’ici à la fin 2007, nous pourrons atteindre un taux de croissance de 8 % d’ici à 2010.
La loi de finances votée en 2006 a prévu des baisses d’impôts pour les entreprises. N’est-ce pas dangereux pour l’équilibre budgétaire ?
C’est une loi équitable pour récompenser les opérateurs économiques. Les entreprises ont maintenu leurs activités et continuent de payer leurs impôts. Nous devions faire un geste pour améliorer la croissance, par un abandon de fiscalité à leur profit et par des subventions directes (6 milliards de F CFA). Nous avons allégé les procédures, notamment pour le remboursement de la TVA.
Quels sont les secteurs les plus dynamiques ?
Le secteur de la téléphonie mobile d’abord. Le café-cacao se maintient à un bon niveau, et l’extraction pétrolière se développe. Nous avons senti un frémissement de l’activité en 2005 dans le secteur secondaire, particulièrement dans le bâtiment. Tout cela conjugué nous permet de tabler sur un taux de croissance de 1,8 %.
Est-ce que le pétrole a dépassé le cacao dans les revenus de l’État ?
Non. Avec 67 000 barils/jour, nous ne pouvons pas être considérés véritablement comme un pays producteur.
Allez-vous prochainement régler vos arriérés auprès de la Banque mondiale ?
Sur les marchés financiers, nous avons capté 80 milliards de F CFA, que nous avons mis en réserve. Nous voulons régler nos arriérés au plus vite pour bénéficier de l’accompagnement de ces bailleurs dans le processus de paix. De janvier à novembre, l’État a injecté près de 52 milliards F CFA pour apurer les arriérés. Concernant la dette vis-à-vis des opérateurs, nous avions encore, en 2005, 54 milliards de F CFA en remboursements de TVA à régler. Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’à 10 milliards sur la période 2003-2005, qui vont être titrisés. L’ensemble de la dette auprès des opérateurs n’est que de 32 milliards, ce qui n’est pas pharaonique. Une fois la titrisation faite, nous n’aurons plus que les arriérés de 2006. À terme, l’objectif est de maintenir seulement une dette flottante. Nous voulons animer le marché financier grâce à des émissions de titres finançables par les banques, ce qui permettra à celles-ci de recycler leur trésorerie, aux opérateurs de disposer du cash nécessaire pour leurs activités et à l’État d’honorer ses engagements dans les temps.
Comment luttez-vous contre le développement du secteur informel ?
Le développement de l’économie informelle peut être contré avant la résolution de la crise politique. Dans la zone sous contrôle, nous avons institué la facture normalisée. Les opérateurs doivent être identifiés pour en bénéficier, ce qui permet de les fiscaliser. D’autre part, le taux de fiscalisation (16 %) n’est pas si élevé, alors que le redressement fiscal coûte très cher à moyen ou long terme.
Quelles conséquences a eu le départ des entreprises étrangères depuis novembre 2004 ?
Nous avons beaucoup perdu en termes de revenus fiscaux. Nous avons constaté un accroissement de la pauvreté et du chômage. Mais les opérateurs nous soutiennent qu’ils ne sont pas partis pour de bon. Ce pays va repartir. Il y a du travail et de la place pour tout le monde.
Allez-vous lancer l’indemnisation des entreprises saccagées depuis le début de la crise ?
Nous avons inscrit 6 milliards de F CFA d’aide au budget de l’État. Nous accompagnons la relance économique grâce à des abandons de créances et des subventions directes. Lorsque l’opérateur achète un nouvel outil de production, il est exonéré de taxes. Nous ne disons pas que nous allons les indemniser, mais nous les aidons à relancer leurs activités.
Le statu quo politique semble s’imposer, ce qui ne favorise pas le retour de la confiance des entreprises et des bailleurs
Nous restons optimistes. Nous allons bâtir un budget prudent, fondé en priorité sur les actions de sortie de crise : le processus de démobilisation et de réinsertion, l’identification des électeurs, l’organisation des élections. Si les bailleurs nous accompagnent, tant mieux. Mais nous prenons les devants pour financer le processus de paix nous-mêmes. Nous travaillons dans l’optique de l’unification de la Côte d’Ivoire et de la tenue d’élections transparentes d’ici à la fin de 2007 pour que la relance économique se fasse enfin.

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