Artères bouchées

Le mauvais état des routes et la multiplication des barrages de toute nature perturbent gravement l’activité des entreprises et des particuliers.

Publié le 4 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Les Ivoiriens avaient si bien compris que le « développement passait par la route » qu’ils possédaient l’un des meilleurs réseaux routiers d’Afrique de l’Ouest. Plus de 5 500 kilomètres de routes bitumées et en bon état… Depuis 1985, aucun nouveau projet de construction n’est venu compléter ce dispositif. Pis, les nids-de-poule ont commencé à apparaître dans les quartiers populaires d’Abidjan et sur toutes les voies secondaires du pays, notamment dans le Nord, surtout depuis que l’État ne peut plus assurer régulièrement leur entretien. Transporteurs et automobilistes subissent désormais les mêmes tracas quotidiens que leurs homologues de la sous-région : châssis abîmés, amortisseurs en miettes, pneumatiques usés prématurément.
Mais le réel tracas des transporteurs et des commerçants se trouve ailleurs. Les barrages, installés depuis la scission du pays, en septembre 2002, n’ont cessé de se multiplier à mesure que la résolution de la crise s’éloignait. À tel point que les check-points militaires, censés assurer la sécurité des voyageurs et empêcher la circulation des armes entre le Nord et le Sud, sont devenus de véritables péages. « La plainte qui revient le plus souvent dans la bouche des opérateurs économiques, c’est le nombre hallucinant de barrages routiers », explique Jean-Louis Billon, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire.
Pour Bertin Kouassi Konan, la multiplication des barrages routiers est devenue un vrai casse-tête et un nouveau poste à inscrire sur son budget de fonctionnement. PDG de l’entreprise publique Union des transports de Bouaké (UTB), il a dû interrompre les liaisons entre la « capitale » du Nord et les autres grandes villes du pays pendant près d’un an après le coup d’État manqué de septembre 2002. La centaine de bus qui forment sa flotte sont restés au parking, et il a licencié ses 600 chauffeurs. L’activité a repris fin 2003. Tant bien que mal. « Avant, un bus faisait le trajet Bouaké-Abidjan en quatre heures. Aujourd’hui il en faut huit. On a besoin de deux fois plus de véhicules pour transporter le même nombre de personnes. On transportait environ 1,8 million de passagers par an avant 2002, contre moins de 1 million aujourd’hui, » explique Bertin Kouassi Konan. Le dirigeant estime que les coûts de fonctionnement de sa société ont augmenté de 20 % à 30 %. L’entretien de ses bus ne peut se faire qu’à Abidjan, car les garages du Nord ne délivrent pas de factures reconnues par l’État. Le coût des pièces a augmenté, et le prix du billet est donc passé de 4 000 à 7 000 F CFA.
Pour les transporteurs de produits vivriers, les conséquences des barrages sont encore plus lourdes. L’attente et les fouilles innombrables présentent le risque que la cargaison soit périmée une fois arrivée à destination. Un système de guichet unique a bien été mis en place par l’État pour assurer une relative fluidité du trafic sur les routes ivoiriennes et faciliter le passage des points de contrôle aux transporteurs professionnels. Moyennant une somme de 200 000 à 250 000 F CFA, les véhicules sont escortés par des forces de l’ordre. Cette mesure a permis de fluidifier le trafic. Mais elle n’a pas fait disparaître ce qui constitue le véritable fléau en vigueur sur les routes ivoiriennes : le racket par ce que les Ivoiriens appellent les « corps à billets » (corps habillés), que ce soit au nord ou au sud de la zone de confiance.
« C’est devenu un véritable problème, explique Billon. Les entreprises doivent l’intégrer dans leurs budgets de fonctionnement. Pourtant, c’est une taxe illégale. » De 500 F CFA taxés à un conducteur de woro-woro (taxi municipal) pour payer le « thé » du gendarme en poste sur le pont Houphouët à Abidjan, à 600 000 F CFA pour un camion de 20 à 30 tonnes qui fait le trajet Abidjan-Korhogo, les prix du racket grèvent le portefeuille des Ivoiriens et des entreprises.
Depuis 2003, le gouvernement a bien tenté d’enrayer le phénomène en mettant à disposition des utilisateurs les tarifs officiels des contraventions. Si, grâce au guichet unique, la situation s’est améliorée pour les transporteurs, l’automobiliste d’Abidjan ou de San Pedro continue de payer la facture. « L’ampleur du phénomène de racket traduit une crise morale profonde qu’il convient absolument de corriger », prévient la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, en enjoignant aux autorités de se saisir rapidement du problème sans attendre la fin de la crise. « Comment accepter qu’il y ait maintenant de véritables droits de douane à payer uniquement pour sortir ou entrer à Abidjan, alors même qu’aucune frontière n’a été franchie ? » interroge-t-elle.

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