Soif d’énergie

Les prix de l’essence augmentent, mais beaucoup moins que ceux du pétrole brut. Le pays important la moitié de sa consommation, la facture est salée !

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 7 minutes.

L’écart entre les prix mondiaux du baril de pétrole et les prix à la pompe va lourdement grever le budget de l’État tunisien pour 2004. Officiellement, la facture avoisine 600 millions de dinars (390 millions d’euros), chiffre considérable qui représente près de 5 % du budget global. Le gouvernement ne donne malheureusement pas le détail de cette facture, mais la divulgation de son montant semble destinée à alerter les Tunisiens : la production nationale de pétrole et de gaz suffira de moins en moins à satisfaire leurs besoins en énergie. Sauf, bien sûr, si de nouvelles découvertes interviennent. Dans le cas contraire, les gisements actuellement exploités pourraient être épuisés dans un délai compris entre treize et vingt et un ans.
Pour ne pas nuire à la compétitivité des entreprises ni amputer le pouvoir d’achat des ménages, l’État ne peut répercuter l’intégralité de l’augmentation des cours mondiaux sur les prix à la pompe. Ceux-ci n’ont augmenté, cette année, que de deux fois 4 %. Le litre de super est ainsi passé de 0,77 dinar au mois janvier à 0,83 dinar (0,55 euro) actuellement. Le gouvernement affirme qu’en dehors des « tensions » budgétaires évoquées plus haut, les conséquences de la situation sur l’économie et ses équilibres fondamentaux sont négligeables. Il n’envisage pas, par exemple, de différer la réalisation de certains projets de développement afin de dégager des ressources supplémentaires. Reste que l’augmentation d’environ 4,5 % du prix des transports a contribué à relancer l’inflation, qui, en 2004, devrait être comprise entre 3,5 % et 4 %, contre 2,7 % l’an dernier.
L’impact sur la balance énergétique est curieusement moins important, la Tunisie n’étant qu’un producteur relativement modeste de pétrole et de gaz. Elle exporte environ la moitié de sa production – essentiellement du brut – et importe la moitié de ses besoins, sous forme de produits raffinés qui viennent compléter la production de la raffinerie nationale (Stir). Dans ce chassé-croisé, une augmentation de 1 dollar par baril se traduit par un alourdissement de la facture pétrolière de l’ordre de 25 millions de dinars. Or, au cours des huit premiers mois de l’année, le déficit de la balance énergétique commerciale n’a pas dépassé 218 millions de dinars, alors qu’il était de 269 millions à la fin du mois d’août 2003. À cela, deux raisons. La première est l’augmentation de la production pétrolière : 3,38 millions de t à la fin de l’année, contre 3,16 millions de t en 2003. La seconde est la baisse du dollar.
Les conséquences de ce choc pétrolier conjoncturel paraissent donc aisément surmontables dans l’immédiat. À moyen et à long terme, toutefois, l’épuisement annoncé des réserves s’ajoutant à l’augmentation de la consommation d’énergie, preuve d’une amélioration du niveau de vie des Tunisiens, sont assez inquiétants.
Longtemps, la balance énergétique a dégagé un léger excédent, bien que la production ait diminué d’environ 45 % depuis vingt ans (voir infographie). Dès le début des années 1980, les spécialistes prévoyaient le passage imminent de la Tunisie au statut d’importateur net d’hydrocarbures, mais l’échéance a été reportée à deux reprises. Ce n’est qu’à partir de 1999 que la balance énergétique est bel et bien devenue déficitaire.
Ce déficit risque de s’aggraver au cours des prochaines années, si la production reste à son niveau actuel de 66 000 barils/jour et si, ce qu’à Dieu ne plaise, de nouveaux gisements ne sont pas découverts. Reste que les spécialistes ne sont pas d’accord sur l’importance des réserves prouvées. Sur la base des informations fournies par l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap) et l’Agence internationale de l’énergie (AIE), certains avancent le chiffre de 308 millions de barils. D’autres, plus optimistes, à l’instar de la compagnie British Petroleum, celui de 500 millions de barils.
Pas d’affolement, pourtant : les perspectives offertes par les diverses opérations de prospection en cours sont encourageantes. En 2002, la firme British Gas a découvert dans le golfe de Gabès un nouveau gisement offshore baptisé Hasdrubal (du nom du général carthaginois). Afin de rationaliser la production, le gouvernement en aurait, dit-on, différé l’exploitation jusqu’en 2007. Ce gisement se trouve à proximité immédiate de la concession dite du 7-Novembre, propriété depuis 1997 de la compagnie tuniso-libyenne Joint-Oil. Celle-ci a constitué un consortium opérateur associant la saoudienne Nimr Petroleum et la malaisienne Petronas. Des indices positifs ont été découverts, mais les forages entrepris n’ont pas encore abouti à une exploitation. Pourtant, l’espoir demeure : à quelques kilomètres de là, la Libye exploite à Bouri le plus grand champ pétrolier en Méditerranée. Par ailleurs, une quarantaine de compagnies ont entrepris des travaux d’exploration, la plupart en vue de la mise en valeur de petits gisements dont la rentabilité augmente avec la flambée des prix du baril.
Les perspectives gazières paraissent plus favorables. Les réserves prouvées sont estimées à 78,4 milliards de m3. Les deux tiers d’entre elles sont situées dans des zones offshore, notamment le golfe de Gabès. British Gas, le principal opérateur, dont le gisement Miskar couvre 60 % des besoins du pays (s’y ajoutent plusieurs autres gisements en cours de développement), s’est engagé à vendre à la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg) jusqu’à 2 milliards de m3 par an d’ici à 2020. La Tunisie reçoit en outre, en nature ou en cash, entre 5,25 % et 6,75 % du gaz transitant sur son territoire via le gazoduc Transmed qui achemine le gaz algérien en Italie. Un gazoduc tuniso-libyen long de 275 km est en cours de construction, ce qui permettra, à partir de 2008, de fournir au pays 2 milliards de m3 supplémentaires par an.
Le gaz étant moins polluant et plus abondamment disponible que le pétrole, la solution d’avenir consiste assurément à substituer celui-ci au fuel lourd pour la production d’électricité (« cycle combiné »). La formule est déjà expérimentée, avec succès, dans les centrales de Sousse, propriété de la Steg, et de Radès II, qui appartient à une compagnie privée américano-japonaise, Carthage Power Company, dans le cadre d’une concession.
Les autorités s’efforcent parallèlement de promouvoir le gaz de ville, tant auprès des ménages que des industriels et des professionnels du tourisme. Le réseau de distribution est en cours d’extension avec l’objectif de raccorder chaque année trente mille nouveaux clients. Même si le gaz revient moins cher que l’électricité, une spectaculaire diminution des tarifs paraît néanmoins exclue. En Tunisie, la tendance générale est de plus en plus à pratiquer des tarifs basés sur les coûts réels des producteurs privés. Déjà, les achats de la Steg aux multinationales travaillant dans le pays sont payés en dollars. Les prix sont indexés sur les cours mondiaux du brut, moins une remise de 15 %.
Et si le salut résidait en fin de compte dans les énergies renouvelables ? Celles-ci ne représentent actuellement que 2 % de la production énergétique. S’agissant de l’énergie hydraulique, la capacité de production ne dépasse pas 64 mégawatts (MW). La seule centrale éolienne en activité est celle que la Steg a inaugurée en 2000 à Sidi Daoud, dans la région du cap Bon. En trois ans, sa production est passée de 10,5 MW à 18,7 MW (fin 2003). Le secteur privé pourrait être invité à mettre en place, dans le cadre de concessions, des aérogénérateurs modernes d’une capacité supplémentaire de 100 MW. Pour l’électricité d’origine éolienne, le potentiel de la Tunisie est évalué à plus de 1 000 MW.
Par ailleurs, le recours aux capteurs solaires et à l’énergie photovoltaïque reste marginal. À ce jour, seuls 11 000 foyers et 250 écoles sont approvisionnés de cette manière. Environ 100 000 m2 de capteurs ont été installés pour le chauffage de l’eau sanitaire. Enfin, des études sont en cours concernant l’éventuel recours, à l’horizon 2015, à la « cogénération » (dessalement de l’eau de mer et production d’électricité grâce au nucléaire civil).
Dans l’immédiat, l’accent devrait être mis, aussi, sur les économies d’énergie. La consommation d’électricité augmente en moyenne de 7 % par an, ce qui témoigne de la vigueur de la croissance économique, de l’ampleur des besoins d’une industrie en plein développement et de l’amélioration continue du niveau de vie de la population : la totalité des ménages urbains et 95 % des ménages ruraux ont aujourd’hui accès à l’électricité. Le problème, car il y en a un, c’est l’énormité du gaspillage.
Entre 1980 et 2000, la consommation d’électricité par habitant a été multipliée par 2,5 (1 056 kWh en 2001). Rares sont les ménages qui ne disposent pas d’au moins un poste de télévision, d’un réfrigérateur, voire d’une cuisinière et d’une machine à laver, autant d’appareils grands consommateurs d’énergie. À eux seuls, les réfrigérateurs représentent 40 % de la consommation d’électricité des ménages. Les administrations, les entreprises et la plupart des ménages de la classe moyenne font un usage intensif de la climatisation pendant les trois mois d’été. Les crédits à taux d’intérêt réduits pour l’achat d’une voiture de tourisme étant très accessibles, nombre de familles possèdent jusqu’à trois véhicules. Elles en font un usage souvent immodéré. Quand on prend sa voiture pour se rendre chez l’épicier du coin, il faut savoir que le coût de l’essence consommée est supérieur à celui de la bouteille de boisson gazeuse qu’on vient d’acheter.
Les industriels, les fabricants d’appareils électroménagers et les administrations ne sont pas exempts de reproches. Grandes consommatrices d’énergie, les entreprises négligent très souvent de commander les audits qui leur permettraient de réduire sensiblement le montant de leurs factures. Les fabricants d’électroménager utilisent des composants très gourmands en électricité et l’administration se montre impuissante à maîtriser sa propre consommation d’énergie – sans parler de celle des industriels et des ménages !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires