Rendez-vous avec la mort en Haïti

Inspiré par le soulèvement qui a conduit à la chute d’Aristide, début 2004, l’ouvrage de Lyonel Trouillot est l’une des meilleures surprises de la rentrée.

Publié le 5 octobre 2004 Lecture : 2 minutes.

Court et poignant comme la mort que connaîtra son jeune héros, le quatrième roman du Haïtien Lyonel Trouillot raconte la dernière matinée de Lucien de Saint-Hilaire, étudiant de Port-au-Prince qui rêvait de changer le monde. Comme l’indique ironiquement le titre, Bicentenaire, l’action se situe en pleine période de commémoration de l’indépendance de l’ancienne possession française (le 1er janvier 1804).
Sous un doux soleil hivernal, Lucien quitte les bas-fonds de la capitale haïtienne pour se joindre à la foule des manifestants. Il descend la colline miséreuse laissant derrière lui son petit frère qui dort, son arme sous l’oreiller et son pouce dans la bouche. Il marche et sa tête bruit des bribes de conversations passées ou inventées.
« C’est dans la chair qu’il faut faire mal, c’est dans sa chair que le monde change », répond la voix de son frère comme en écho à ses doutes quant à la consigne donnée aux manifestants, priés de venir les mains nues. Chassant ses incertitudes par des pensées vagabondes, Lucien poursuit son chemin. Il songe à l’« étrangère », une journaliste, à peine croisée, vite aimée et aussi vite abhorrée à cause d’une phrase gonflée de bêtise : « Vous avez le soleil. » Il a une pensée pour ses petites amoureuses d’antan qui trouvaient qu’il avait « des mains de philosophe ». Et puis comme un leitmotiv revient la voix de sa mère, Ernestine, une vieille femme aveugle restée dans sa campagne perdue du Plateau central qui n’écoute pas la radio parce que « ça parle tout le temps de la mort ».
Arrivé au pied de la colline, Lucien s’arrête chez l’épicier. Comme chaque dimanche, il achète trois ou quatre cigarettes, que l’épicier a la délicatesse de glisser dans un paquet, avant de se rendre chez le docteur pour toucher sa paie hebdomadaire. Comme chaque dimanche, et le dimanche seulement, le docteur lui fait l’honneur d’une conversation à l’issue de laquelle il lui règle les leçons particulières d’Alfred, son crétin de fils qui n’est pas fichu d’aligner deux mots.
Lucien reprend ensuite sa route et se dirige vers le point de ralliement des manifestants. À mesure qu’il s’en approche, le rythme s’accélère et l’écriture se fait plus haletante, signe prémonitoire de l’embrasement final et de la violence dans laquelle va basculer cette matinée.
Dédié « à celles et ceux qui sont descendus dans la rue » au début de l’année 2004, Bicentenaire est probablement l’un des récits les plus lyriques que la récente actualité a inspiré. Son auteur, Lyonel Trouillot, fut l’un des membres les plus actifs du collectif « Non » créé fin 2003 et qui sera à l’origine de la chute du président Aristide.

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