Qui reprendra le flambeau ?

Redressée, rénovée, l’institution que le président Omar Kabbaj va quitter en août prochain, au terme de dix ans de mandat, est promise à un bel avenir. En coulisse, les candidats à la succession se bousculent déjà. Revue de détail.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 10 minutes.

La question était sur toutes les lèvres, lors des célébrations du 40e anniversaire de la Banque africaine de développement (BAD), le 15 septembre à Tunis. Qui va être élu en mai 2005 pour succéder à la présidence d’Omar Kabbaj, artisan du redressement spectaculaire de l’institution, et dont le deuxième et dernier mandat de cinq ans arrive à terme ? En coulisse, les grandes manoeuvres ont commencé, en vue de l’élection programmée lors des assemblées annuelles du groupe BAD, qui se tiendront les 18 et 19 mai prochain à Abuja, la capitale du Nigeria.
Selon des indiscrétions recueillies par J.A.I., une candidature, gabonaise, serait déjà avérée. Et au moins deux chefs d’État, celui du Nigeria et celui du Ghana, ont écrit à leurs homologues pour solliciter un soutien à leurs candidats. En outre, le groupe des pays d’Afrique australe a décidé de sélectionner un candidat unique pour la présidence de la BAD et a désigné un comité ministériel qui se réunira le 10 octobre pour faire son choix. Un exemple que les autres régions devraient peut-être suivre afin d’éviter la multiplication de candidatures qui ont peu de chance de passer.
En l’absence cependant de candidature officielle, est-il trop tôt pour parler ouvertement de la succession ? « Non, répond un connaisseur de l’institution. Les consultations informelles ont toujours commencé pratiquement un an avant l’élection. Cette fois-ci, elles se sont accélérées lors de rencontres privées à l’occasion du 40e anniversaire. » On n’est en effet qu’à environ trois mois de l’appel à dépôt de candidatures. Les postulants doivent impérativement se faire connaître auprès du secrétaire général de la BAD entre le 1er et le 31 janvier 2005. Le comité directeur du conseil des gouverneurs, formé de six Africains et trois non-Africains, se réunira alors à Tunis le 15 février pour arrêter la liste définitive des candidats. Ceux d’entre eux qui occupent des fonctions au sein de la BAD disposeront alors d’une semaine pour offrir leur démission, afin d’éviter toute interférence.

Quel profil ?

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Ce qui est nouveau pour l’élection du septième président de la BAD, c’est que, au stade actuel, l’accent est mis davantage sur le profil du futur candidat que sur les noms qui circulent. Selon la dernière version, révisée en juillet 2002, des statuts de l’institution, le président doit être « une personne de la plus haute compétence dans les domaines qui concernent les activités, la gestion, et l’administration de la banque ». Les prédécesseurs de Kabbaj étaient certes qualifiés, mais on leur a souvent reproché de monnayer ensuite leur élection par des nominations « politiques » dans l’encadrement de la banque, qui n’y trouvait pas toujours son compte.
Aujourd’hui, tout en maintenant sa vocation première au service du développement de l’Afrique, la BAD a changé. Elle tend à devenir une vraie banque, et les nominations à sa tête se sont « dépolitisées ». Désormais, et à tous les niveaux, c’est le professionnalisme qui prime. C’est la conséquence directe des réformes engagées ces neuf dernières années par Kabbaj et son équipe. L’institution en sort avec une crédibilité renouvelée sur les marchés financiers et auprès des pays donateurs. Les progrès de la bonne gouvernance résultent aussi – sans que l’africanité de la Banque soit remise en question – du renforcement des pouvoirs des pays membres non africains. Le futur président devra préserver ces acquis encore fragiles pour permettre à la banque de mobiliser davantage de fonds nécessaires à la croissance économique du continent.
C’est dans ce contexte que, lors des consultations privées à Tunis, certains n’ont pas hésité à brosser le portrait idéal du futur président de la BAD. « Les réformes lancées par Kabbaj sont encore récentes et ne sont pas toutes achevées, explique l’un d’eux. Il leur faut un certain temps pour que cela sédimente. Or, habituellement, un nouveau président mettait deux ans pour connaître l’institution et n’avait qu’un an pour travailler sereinement, puisqu’il consacrait les deux dernières années de son premier mandat à se soucier de sa réélection. Le candidat idéal pour 2005 devrait donc avoir le profil de quelqu’un qui a été associé aux réformes et qui connaît la maison de l’intérieur. » Mais où le choisir ?

De quelle région est-ce le tour ?

Si le professionnalisme prime, la nationalité du candidat reste une donnée sensible. Les statuts de la BAD spécifient que le président doit être ressortissant d’un pays africain, sans plus de précisions. Il n’est nullement question d’un système de rotation entre régions du continent, et les huit précédentes élections l’attestent. À trois reprises, la présidence a été occupée par des ressortissants du nord de l’Afrique (Soudan, Tunisie, et Maroc, qui a eu deux mandats). À deux reprises, le président venait d’Afrique de l’Ouest (Ghana et Sénégal, qui a eu deux mandats), et une fois seulement d’Afrique australe (Zambie).
Si l’idée s’imposait qu’il est temps de favoriser une rotation, un candidat originaire d’Afrique centrale ou d’Afrique de l’Est aurait un atout supplémentaire. Mais l’expérience montre que cela dépend essentiellement du rapport des forces entre régions africaines et du poids des non-Africains. Et, dans le cadre de sa politique de bonne gouvernance, la BAD, dit-on, s’active actuellement pour faire admettre que le choix doit se porter sur le meilleur parmi les Africains, d’où qu’il vienne.

Quel est le rapport des forces ?

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Du fait que le président de la BAD doit impérativement être un Africain, son élection à la majorité simple est, a priori, l’affaire des pays membres africains, qui détiennent 60 % des mandats. Cela est surtout vrai lorsque les pays africains réussissent à s’entendre sur un nom. Ce qui n’est pas souvent le cas. Au sein du continent, le rapport des forces est favorable à l’Afrique de l’Ouest qui détient, à la date du 31 août 2004, 18,718 % des mandats. Le groupe est dominé par le Nigeria, qui, avec 8,991 % des voix, est le premier actionnaire de la BAD.
Vient ensuite l’Afrique du Nord avec 17,858 % des mandats, et au sein de laquelle l’Algérie domine, avec 5,098 % des voix. L’Afrique australe (14,828 % des mandats) est emmenée par l’Afrique du Sud avec ses 4,021 %. Les régions Centre et Est sont les moins bien loties, la première avec 6,269 % et la seconde avec 3,969 % des mandats.
En dehors des 53 pays africains membres, la BAD compte 24 pays actionnaires issus d’Europe, d’Asie et des Amériques qui ont, eux aussi, leur mot à dire – et qui le font de plus en plus savoir. À sa naissance, la Banque ne comptait pas d’actionnaires étrangers, mais, en manque de financements, elle a ouvert son capital en 1982 en en réservant un tiers aux pays non africains. Ils ont obtenu en 1999 que cette part passe à 40 % du capital, acquérant ce qui ressemble aujourd’hui à un droit de veto, puisque les décisions relatives aux opérations sont prises à une majorité de 66 %, exception faite des questions considérées comme étant de grande importance par un État membre, ou qui touchent à un intérêt majeur dudit État membre, auquel cas la décision doit recueillir 70 % des suffrages. Que l’élection d’un président soit considérée ou non comme étant « d’une grande importance », les voix des grands actionnaires non africains vont, de l’avis général, être décisives dans le scrutin de 2005. Parmi ces actionnaires extérieurs, ce sont les treize membres européens qui totalisent le plus fort pouvoir, avec 19,488 % des mandats. L’Allemagne et la France pèsent particulièrement, avec respectivement 4,078 % et 3,717 % du capital. Les autres pays dominants sont les États-Unis, qui détiennent 6,577 % des voix, et le Japon, qui pèse 6,423 %.
Même s’il n’est pas actionnaire, un autre acteur dispose d’une influence reconnue en ce qui concerne la sélection des candidats. Il s’agit du groupe de la Banque mondiale. Quelqu’un qui a fait ses preuves dans ses rangs – ou y bénéficie de bons appuis – a généralement un atout supplémentaire pour son élection à la tête de la BAD. Mais là non plus, ce n’est pas une règle absolue. En 1995, la désignation de Kabbaj a nécessité un processus chaotique de neuf rounds au Conseil des gouverneurs, et deux réunions du conseil d’administration, entre mai et août. Timothy Tahane, un ancien vice-président de la Banque mondiale, était favori avec 44,59 %, tandis que Kabbaj, qui ne venait pas de l’institution internationale, restait bloqué à 35,68 %, et que le Nigérian Seyyid Abdulai, ancien directeur du fonds de l’Opep, recueillait 19,73 % des voix. Il fallut que le Nigeria et l’Égypte basculent en faveur de Kabbaj pour qu’il soit finalement choisi. Cinq ans plus tard, le succès de ses réformes le fera réélire à l’unanimité et sans rival.

Quels sont les possibles candidats ?

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Un postulant à la présidence de la BAD doit d’abord obtenir l’appui de son État et le parrainage d’un autre pays africain avant que les tractations diplomatiques s’engagent pour faire la chasse aux votes.
Comme on ne prête qu’aux riches, l’Afrique de l’Ouest, qui pèse le plus dans le capital, est celle qui fournit le plus grand nombre de postulants. Selon nos sources, le Nigeria présenterait Olabisi Ogunjobi, vice-président de la BAD depuis avril 2002. Il y est chargé des opérations pour les pays du Centre et de l’Ouest, au terme d’une carrière entamée dans l’institution en 1978. Il a notamment l’expérience de la plupart des régions du continent. Le président Olusegun Obasanjo a écrit à ses pairs pour solliciter leur soutien à la candidature d’Ogunjobi, et on sait déjà que le président sénégalais Abdoulaye Wade lui est acquis. Une autre candidature potentielle a été écartée : celle de Ngozi Okonjo-Iweala, ministre de l’Économie et des Finances, ancienne vice-présidente de la Banque mondiale où elle a fait carrière pendant dix-huit ans, après des études à Harvard. Okonjo-Iweala aurait sans doute été facilement élue, et serait ainsi devenue la première femme à diriger la BAD. Mais depuis juillet 2003 elle joue un rôle clé dans le gouvernement du Nigeria, et Olusegun Obasanjo n’a visiblement pas voulu se séparer d’elle.
Toujours pour Afrique de l’Ouest, un deuxième nom circule : celui du Ghanéen Kingsley Amoako, secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). Il a la bénédiction de son président, John Kufuor, qui lui aussi a écrit à ses pairs pour solliciter leur appui. Le grand handicap pour l’Afrique de l’Ouest est que des ressortissants du Ghana et du Sénégal ont déjà occupé le poste.
En Afrique centrale, deux possibles candidats émergent et devront se disputer le parrainage de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Le premier est le Camerounais Theodore Nkodo, l’un des cinq vice-présidents de la BAD, qui a fait une bonne partie de sa carrière au sein de la Banque mondiale. Le bruit d’une candidature de Nkodo a aussitôt dissuadé le Sénégalais Cheikh Ibrahima Fall, secrétaire général de la BAD et ancien vice-président et secrétaire exécutif de la Banque mondiale, à se porter candidat, malgré divers encouragements. Mais pour le moment, Nkodo se garde de faire connaître ses intentions, même en privé.
En revanche, et selon nos sources, le président gabonais Omar Bongo Ondimba a ouvertement (mais non publiquement) avancé la candidature de Casimir Oye-Mba, son ancien Premier ministre et ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Une déception pour Alexandre Barro-Chambrier, ancien administrateur du Fonds monétaire international (FMI) pour vingt-quatre pays africains. Après huit ans de service, il a quitté l’institution en octobre 2002 pour s’associer à un cabinet de consultants, et comptait, à 42 ans, devenir le plus jeune président de la BAD. Omar Bongo Ondimba, après avoir suggéré sa candidature à ses pairs avant de se tourner vers Oye-Mba, l’a toutefois nommé, le 6 septembre, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie forestière, des Eaux, de la Pêche, de l’Environnement et de la Protection de la nature.
Deux noms circulent également pour l’Afrique de l’Est. Donald Kaberuka, ministre des Finances et de la Planification économique du Rwanda, qui a notamment été chef économiste de l’Organisation interafricaine du café, serait en lice. Mais on estime que ses chances sont minces.
On a évoqué depuis le printemps dernier l’Ougandais Louis Kasekende, actuel directeur exécutif chargé de l’administration de vingt et un États d’Afrique à la Banque mondiale, et ancien vice-gouverneur de la Banque centrale ougandaise. Il semble toutefois que le président Yoweri Museveni ait décidé de ne pas le lancer dans la course, ses chances, à lui aussi, étant plutôt minimes. Museveni soutiendrait, dit-on, la candidature du Ghanéen Amoako.
Au nord du Sahara, il n’y a pas de candidature déclarée. À moins que l’Égypte décide, à la dernière minute, de présenter un candidat. Elle vise pour le moment le poste de président de l’Afreximbank, un établissement qui a pour mission de favoriser les échanges commerciaux entre pays africains et qui a son siège au Caire. Si elle l’obtenait, ses changes d’accéder à la présidence de la BAD s’amenuiseraient.
Pour la région australe, un comité composé de quatre ministres des Finances aura à examiner, le 10 octobre, le dossier des éventuels candidats. Pour le moment, le Mozambique, le Zimbabwe et le Lesotho auraient l’intention d’en présenter. Ce dernier pays pourrait présenter celle de Timothy Tahane, vice-gouverneur de la Banque centrale du Lesotho, ex-ministre des Finances, ex-vice-président à la Banque mondiale et ancien candidat malheureux à la présidence de la BAD face à Kabbaj, en 1995. Le Zimbabwe présenterait Simba Makoni, ministre des Finances et ci-devant secrétaire général de la Southern African Development Community (SADC, Communauté de développement de l’Afrique australe). La grande inconnue demeure cependant le ministre sud-africain des Finances, Trevor Manuel. On n’en parle plus, et il semble que le président Thabo Mbeki préfère le garder à ses côtés.
Mais d’autres noms peuvent encore apparaître dans les prochaines semaines. L’Afrique regorge désormais de compétences de niveau international pour diriger la première institution financière du continent. Cela rallongera la liste des prétendants à l’héritage de Kabbaj, assurés qu’ils sont de bénéficier des retombées des réformes entreprises.

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