Moi, Zeynep Tugrul, ex-otage

Enlevée et menacée de mort par des hommes se réclamant d’Ansar al-Islam, libérée au bout de quatre jours, une jeune journaliste turque témoigne.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

« Ils n’avaient rien d’autre que de la haine et le désir forcené de nous torturer. » Zeynep Tugrul, 28 ans, est encore sous le choc. Elle est la troisième femme étrangère kidnappée en Irak, après les Italiennes Simona Pari et Simona Torretta, qui ont été libérées le 28 septembre. La journaliste turque, envoyée spéciale du quotidien à grand tirage Sabah, n’a passé que quatre jours en détention. « J’ai vécu l’enfer », témoigne-t-elle aujourd’hui.
Le 7 septembre, elle est en voiture avec un confrère canadien, Scott Taylor, rédacteur en chef d’une revue spécialisée dans les questions militaires. Il est un peu plus de 19 heures. Ils veulent entrer dans la ville turkmène de Tal Afar, à 450 km au nord de Bagdad, avant qu’elle ne soit bouclée. En effet, les Américains ont fait savoir qu’ils allaient lancer une opération de « nettoyage », c’est-à-dire bombarder et éliminer les poches de résistance. Zeynep et Scott veulent rendre compte des conséquences de cette opération. Les deux reporters s’arrêtent à un barrage. Des policiers irakiens contrôlent leurs papiers. Ils ont rendez-vous avec un notable de la ville. Zeynep s’enquiert, en turc, de la direction à prendre. Ils sont alors conduits vers une camionnette garée à l’écart. Mais celle-ci est occupée par quatre hommes masqués. Zeynep et Scott viennent de tomber dans un piège.
Les deux journalistes sont traînés dans la courette d’un immeuble voisin. Soudain, Zeynep voit son compagnon d’infortune plaqué au mur et entend le bruit terrifiant du kalachnikov qu’on arme. Elle hurle : « Ne tirez pas, il a un fils ! » C’est tout ce qu’elle a trouvé, sur le moment, pour impressionner les ravisseurs. En fait, il ne s’agissait que d’une macabre mise en scène destinée à mettre les deux otages « en condition ». Ils sont ensuite ramenés à l’intérieur du bâtiment et enfermés. Bientôt, d’autres hommes masqués reviennent et jettent à la jeune femme un long manteau blanc et un foulard. « Ils ne supportaient pas de me voir en jean et en tee-shirt », commente-t-elle.
Zeynep tente d’établir le dialogue, de comprendre les motivations des ravisseurs. Turcophones, ces derniers se prétendent néanmoins Arabes sunnites et se présentent comme membres du groupe fondamentaliste Ansar al-Islam. « Ces gens donnaient l’impression de vivre au temps des croisades, explique-t-elle. Ils affirmaient se battre d’abord pour l’islam, ensuite pour l’Irak. Très sincèrement, ils pensaient que leur religion était attaquée. » Ils sont aussi convaincus que Taylor est un espion juif. Roulée en boule, les mains plaquées sur les oreilles, Zeynep entend le malheureux se faire torturer dans la pièce à côté.
Le 9 septembre, la ville de Tal Afar est bombardée par les Américains. Les deux journalistes sont emmenés dans un village proche de Mossoul et confiés à un second groupe de ravisseurs. Ces hommes, très violents, leur font comprendre qu’ils vont être égorgés. Zeynep, aveuglée par un foulard serré très fort, est frappée à coups de pied, fouettée avec une ceinture cloutée. « Ton copain a avoué, es-tu prête à te confesser toi aussi ? » lui lance son tortionnaire. « Je n’ai rien à vous dire, je ne suis là que pour rendre compte de votre propre histoire, pas de la mienne. » Insolence ? Inconscience ? Zeynep ne sait pas vraiment pourquoi elle a prononcé ces mots. Peut-être n’avait-elle d’autre choix que d’être elle-même face à une mort apparemment inéluctable.
Le 11 septembre, alors qu’elle gît à terre, meurtrie, la porte de sa prison s’ouvre à nouveau. Elle entend : « Ton copain est mort, tu vas être libérée ». On lui arrache son bandeau. Son premier regard tombe sur les chaussures et la veste de Scott Taylor. « Je me souviens que j’ai longuement nettoyé ces souliers avec un pan de ma robe », raconte Zeynep, qui n’apprendra que plus tard la libération du journaliste canadien. Hébétée, la jeune femme est transportée jusqu’à Mossoul et déposée devant les locaux du Front turkmène d’Irak, un mouvement soutenu par le gouvernement turc. Elle est libre.

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