Marché de dupes ?

Le multipartisme en échange de la non-limitation des mandats présidentiels. Le tour de passe-passe du chef de l’État déroute l’opposition.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

C’est la ministre de la Justice Janat Mukwaya qui l’a officiellement déclaré devant le Parlement ougandais, le 22 septembre : « Nous allons adopter un amendement constitutionnel qui stipule que les prochaines élections se tiendront dans le cadre d’un système politique pluraliste. » Le président ougandais Yoweri Kaguta Museveni serait-il décidé à rompre avec le monopartisme institué depuis son arrivée au pouvoir, en 1986 ? Si tel était le cas, l’Ouganda sortirait enfin de la liste des pays où l’opposition n’a ni le droit ni le loisir de s’exprimer, liste dans laquelle il voisine avec le Cuba de Fidel Castro, la Corée du Nord de Kim Jong-il ou le Swaziland de Mswati III…
Depuis plus de dix-huit ans, chaque Ougandais est membre de fait du « Mouvement », le système mis en place par Museveni pour lutter efficacement contre les dérives religieuses, tribales ou ethniques qui ont caractérisé les dictatures de Milton Obote et d’Idi Amin Dada. Ce parti unique qui ne dit pas son nom a longtemps été soutenu à grand renfort de dollars par les États-Unis. C’est d’ailleurs cette aide massive accordée par les bailleurs de fonds – elle représente aujourd’hui plus de 60 % des dépenses de l’État – qui a permis à l’ancien guérillero marxiste reconverti à l’économie de marché de se maintenir au pouvoir tout en restant relativement populaire. L’Ouganda est un « îlot de stabilité » pour les uns, un « bon élève » pour les autres, dans cette région troublée des Grands Lacs…
Apparemment, cela ne suffit plus. Ni à Museveni, qui souhaite prolonger son bail à la tête de l’État en 2006, alors que la Constitution de 1995 l’en empêche. Ni aux bailleurs de fonds, qui deviennent de plus en plus regardants en ce qui concerne l’évolution démocratique du pays – la bonne gouvernance n’étant plus strictement limitée à ses aspects économiques. Enfin, bien que morcelée et peu crédible, l’opposition se montre de plus en plus virulente.
C’est dans cette ambiance que la Commission de révision de la Constitution, présidée par le professeur Ssempebwa, a remis son rapport au gouvernement, qui a rendues publiques ses réactions sous la forme d’un « Livre blanc » le 22 septembre. À la surprise générale, ce dernier recommande d’amender l’article 74 de la Loi fondamentale afin de pouvoir organiser des élections multipartites lors du prochain scrutin général – sous réserve d’acceptation par voie référendaire. C’est là une avancée théorique sans précédent… qui permet au « Bismarck des Grands Lacs » de faire avaler quelques couleuvres à l’opposition – et, en passant, aux Occidentaux. Outre le maintien de la peine de mort, la promotion du swahili en seconde langue nationale, l’interdiction du mariage homosexuel et la lutte contre la corruption, le Livre blanc préconise en effet de laisser au Parlement – favorable à Museveni – le pouvoir de supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels. À la tête de l’État pendant vingt ans, Museveni pourrait ainsi rester en fonction jusqu’en 2011, notamment grâce à la mainmise de son tout « nouveau » parti, le National Resistance Movement/Organisation (NRM/O), sur les instances décisionnelles du pays.
La manoeuvre est d’autant plus habile qu’elle s’accompagne d’un tir de barrage contre les chefs des royaumes (Buganda, Bunyoro, Toro, Busoga…). Selon le Livre blanc, le Parlement pourrait déposer tout monarque qui « violerait la Constitution ». Outre déplacer le débat sur une question sensible au coeur des citoyens, la mesure vise à réduire au silence une autre forme d’opposition, en limitant l’influence des rois, et en particulier celle du kabaka du Buganda, Ronald Muwenda Mutebi II.
Séduits par les promesses d’ouverture, contraints de se prononcer sur les monarchies, affaiblis par des années de silence forcé, pris de vitesse, les partis d’opposition ne se sont pas encore rangés en ordre de bataille. « Le délai est caractéristique des tactiques que le Mouvement a toujours employées pour créer la panique, de manière à ce que les aspects les plus critiques ne soient jamais abordés et évacués à la va-vite », a déclaré Sam Njuba (Forum for Democratic Change), à propos de la publication du Livre blanc. Difficile, dans cette situation, de contrer Yoweri Museveni, qui fait déjà campagne pour le multipartisme… et pour lui-même. En 2006, il aura une fois de plus une longueur d’avance.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires