Les dessous chic du Sénégal

La styliste Nafytoo est la première créatrice d’Afrique de l’Ouest à se spécialiser dans la lingerie féminine. Au risque de faire scandale…

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

« C ‘est parce que j’étais souvent insatisfaite des vêtements achetés en boutique que je suis devenue styliste. C’était plus fort que moi, je ne pouvais pas m’empêcher de les transformer », raconte Nafytoo. Cette jeune femme de 34 ans, Nafissatou Diop de son vrai nom, n’est pas une styliste comme les autres : être l’unique créatrice d’Afrique de l’Ouest à avoir fait de la lingerie féminine son domaine de prédilection.
Rien ne prédestinait cette Dakaroise, qui a suivi toutes ses études secondaires en France, à s’intéresser à la mode. Ne lui parlez surtout pas d’atavisme. Elle, pourtant fille de couturière, est arrivée dans la mode par hasard : « J’ai sans doute été un peu influencée par ma mère, mais le déclic s’est fait bien plus tard », reconnaît-elle en se remémorant ce qu’elle appelle la « révélation ». C’était en 1993. Ce jour-là, Nafytoo, alors étudiante en comptabilité, assiste par hasard au défilé de fin d’année des élèves de l’école de stylisme Esmod à Paris. Devant les modèles créés par les aspirants stylistes, la jeune Sénégalaise ressent comme une évidence. « Si ces élèves ont été capables de réaliser de telles merveilles en l’espace de deux ans, cela signifie que je peux aussi le faire », se dit-elle. Les yeux encore pleins de paillettes, elle abandonne ses études de comptabilité. Oubliée la machine à calculer, vive la machine à coudre ! Nafytoo s’inscrit au Centre de formation des modélistes.
Elle obtient son diplôme au bout de deux ans, aiguise son talent en réalisant des vêtements pour ses amies parisiennes, puis rentre un beau matin de 1997 au Sénégal. Arrivée à Dakar, la jeune femme prend contact avec les couturiers de la ville. Elle leur rend visite, s’intéresse à leur travail. Elle observe les devantures des magasins de mode, discute avec les coquettes de la ville, fait sa propre étude de marché et prend des notes. Elle découvre ainsi que la lingerie fine, pourtant prisée par les Sénégalaises, est négligée par les créateurs du pays. « J’ai préféré innover plutôt que copier », explique Nafytoo, qui se jette dans cette brèche. Sans se laisser impressionner par les préjugés d’une société en majorité musulmane, la jeune femme taille et coud de ravissants ensembles. « Je me suis dit que toutes les femmes portaient de la lingerie, même les Sénégalaises. De plus, la morphologie des femmes africaines si différente de celles des Européennes, m’a donné l’idée d’apporter une touche du terroir à mes modèles », explique-t-elle.
Nafytoo se met donc au travail. Chez elle, les ensembles sont enjolivés de motifs brodés ou sont réalisés avec un mélange de dentelle et de maille sénégalaise. Pour mieux asseoir sa touche, elle parsème ses créations d’accessoires typiquement africains comme des perles du pays ou des cauris. Les couleurs des modèles sont vives, souvent éclatantes, « une façon de rappeler la chaleur du continent ». Elle s’inspire aussi du béthio, cette minuscule pièce de tissu coquin que les belles du Sénégal portent depuis toujours sous leurs pagnes, pour créer des modèles très sexy en satin et en maille.
Un travail passionnant qui a aussi ses écueils. Difficile de se fournir en matériau dans un pays où la totalité de la lingerie est importée ! Parce qu’elle a du mal à trouver les armatures, bonnets et autres éléments nécessaires à l’élaboration d’un soutien-gorge, Nafytoo est contrainte de faire son marché en France. Ce n’est pas le seul obstacle du métier. Elle doit aussi faire face à l’inaltérable idée que ce qui est importé est forcément mieux. « Pour que les femmes daignent acheter un modèle réalisé au Sénégal, il faut qu’il soit très original », poursuit Nafytoo, qui a dû se battre pour s’imposer comme créatrice à part entière.
Un véritable parcours du combattant. Pour son tout premier défilé, par exemple, les mannequins locaux rechignent à se montrer en petite tenue. Nafytoo est obligée de faire venir quatre mannequins de Paris, plus habituées à montrer leur corps. Ce détail réglé, reste à trouver un espace pour le show. Parce qu’elle n’a pas les moyens de louer une salle, elle organise son défilé dans une boîte de nuit où l’un de ses amis travaille comme disc-jockey. Ce premier contact avec le public sénégalais peu habitué à voir des filles défiler en lingerie est mal interprété. On évoque ces défilés « torrides » qui se passent dans les boîtes de nuit. Nafytoo, qui se sent incomprise, abandonne les dancings et cherche d’autres moyens de montrer son travail. L’occasion lui en sera donnée lors de l’élection de Miss Sénégal 1998. Devant la télévision nationale qui filme l’événement, elle présente ses mannequins. L’une d’elles porte une nuisette transparente qui laisse deviner un string. Ce devait être le clou du spectacle, ce fut le pilori pour Nafytoo. Cette vision trop chaude jette un froid dans la salle. Certains spectateurs huent le mannequin. Ce jour-là, Nafytoo frappe les yeux mais aussi les esprits. Au lendemain de l’élection, toute la presse évoque cette « styliste sexy » avec plus de curiosité que d’intérêt.
Mais peu à peu, les mentalités évoluent. Les sponsors, qui refusaient par exemple de voir leur nom associé à un défilé de lingerie, acceptent de lui apporter leur soutien financier. Lors de son dernier défilé à Dakar, les 6 et 7 août dernier, le programme distribué aux spectateurs s’enorgueillissait du logo d’une vingtaine de sponsors sénégalais.
Reconnue aujourd’hui comme une styliste à part entière, Nafytoo a gagné son combat. Sa célébrité dépasse les frontières du Sénégal. Il y a trois ans, en août 2001, elle était invitée à montrer ses modèles aux Koras Awards, en Afrique du Sud. En 2005, elle va participer au Salon de la lingerie à Paris. « Ce serait la consécration », confie-t-elle, avant de poursuivre : « Mais mon grand rêve serait de monter une usine de confection de lingerie au Sénégal, pour pouvoir exporter mes créations. Et pour cela, je dois trouver un partenaire financier. » C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

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