L’Afrique du Sud parmi les pays développés ?

Saluant, dans le « Wall Street Journal », le bilan de l’ANC sur une décennie, l’ancienprésident sud-africain et Prix Nobel de la paix 1993 Frederik W. De Klerk estime que l’avenir de son pays se jouera dans les dix années à venir.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

Certains observateurs pensent que la période critique pour les démocraties émergentes n’est pas la première, mais la deuxième décennie. Quelles sont donc les perspectives de l’Afrique du Sud pour les dix années à venir ?
Les dix premières années ont été jalonnées de remarquables succès. Outre consolider la démocratie, le gouvernement de l’ANC a mis en place une politique économique qui a permis de ramener l’inflation et les taux d’intérêt à leur plus bas niveau depuis vingt ans. L’Afrique du Sud a enregistré dix ans de croissance ininterrompue, à une moyenne de 3 % par an. Ce ne sont pas les 5 % à 7 % nécessaires pour régler les problèmes sociaux, mais ce n’est en aucun cas une mauvaise performance en ces temps de troubles et d’incertitude. L’Afrique du Sud a aussi prouvé qu’elle pouvait être compétitive sur les marchés internationaux. La part des produits manufacturés dans les exportations est passée de 36 % à 58 %. Désormais, les exportations de BMW, de Mercedes et de Volkswagen rapportent plus que les ventes d’or. Le tourisme explose, le pays étant devenu une destination attractive pour les visiteurs du monde entier.
Cependant, pour les dix prochaines années, il existe un certain nombre de soucis sérieux. Le premier, c’est le sida, qui a fait chuter l’espérance de vie de 63 ans en 1990 à 47 ans aujourd’hui. Au cours de la prochaine décennie, plus de cinq millions de Sud-Africains mourront du sida et laisseront derrière eux quelque deux millions d’orphelins.
Outre le sida – mais c’est peut-être lié -, il y a la pauvreté et les inégalités. Paradoxalement, l’Afrique du Sud est devenue une société encore moins égalitaire qu’il y a dix ans sous le gouvernement de l’ANC, de tradition socialiste. Il y a un clivage croissant entre, d’une part, la classe moyenne multiraciale émergente et l’élite active syndiquée et, d’autre part, un sous-prolétariat noir de plus en plus important. Bien que le gouvernement ait fait construire plus d’un million de nouveaux logements, bien qu’il ait augmenté le niveau des aides sociales accordées pour les enfants et les retraités, presque la moitié de la population – en majorité des Noirs – vit en dessous le seuil de pauvreté.
Le chômage a crû parmi les Sud-Africains noirs de 36,2 % en 1995 à 46,6 % en 2002. Ses racines sont complexes : la nécessaire réduction des dépenses pour être compétitif sur les marchés internationaux, la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée et de cadres, des investissements nationaux et étrangers réduits à la portion congrue. Mais la cause principale, c’est sans aucun doute une législation rigide imposée par le gouvernement qui a rendu le coût du travail bien plus élevé en Afrique du Sud que chez ses principaux concurrents parmi les économies émergentes.
L’autre moitié de la population a prospéré. Des syndicats puissants et écoutés ont protégé les intérêts de leurs membres, dont seulement 2 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. La classe moyenne s’est rapidement élargie, les Noirs occupant désormais des postes de cadres ou de cadres supérieurs au sein du gouvernement ou dans le secteur privé. Cette classe moyenne représente désormais 7,5 millions de personnes (environ 17 % de la population totale). Dont 3,5 millions de Noirs (10 % de la population noire).
Le gouvernement connaît pertinemment les menaces que représentent la pauvreté et, surtout, les inégalités visibles et persistantes. Malgré l’impressionnante progression des Noirs encouragée par la discrimination positive, les Blancs détiennent les meilleurs postes du secteur privé et disposent de la plupart des capitaux, parmi lesquels 80 % des terres arables et 65 % des actions cotées au Johannesburg Securities Exchange. Les Noirs en détiennent moins de 5 % et le reste appartient à des intérêts étrangers, parmi lesquels d’anciennes compagnies sud-africaines expatriées depuis 1994.
La décennie à venir sera donc marquée par les efforts du gouvernement pour s’attaquer aux inégalités persistantes, notamment via ses programmes de Black Economic Empowerment. L’ANC s’est fixé d’ambitieux objectifs en faveur de la population noire pour ce qui concerne le partage des terres, l’équité et la représentation à tous les niveaux hiérarchiques. Le succès de ce processus dépendra des facteurs suivants :
– D’abord, l’Afrique du Sud doit réellement se transformer pour répondre véritablement aux besoins des plus pauvres – et ce plutôt que d’enrichir encore l’élite noire émergente et la classe moyenne. Le gouvernement doit éliminer les barrières à la création d’emplois en assouplissant sa conception rigide du droit du travail.
– Ensuite, cette transformation doit prendre en compte les règles de base qui gouvernent l’économie mondiale. L’équipe au pouvoir connaît parfaitement la nécessité de maintenir le droit de propriété, les libertés économiques et un niveau correct de management et d’administration.
– Enfin, la transformation doit être pilotée de manière à ne pas mettre en danger l’unité nationale ou conduire à des frictions intercommunautaires. La révision constitutionnelle a bien fonctionné justement parce qu’elle était le résultat de négociations et de compromis entre des partis qui représentaient une grande majorité de Noirs et de Blancs. Néanmoins, les Blancs n’ont pas été suffisamment consultés en ce qui concerne le Black Economic Empowerment, et ils se sentent de plus en plus souvent ostracisés.
Les Sud-Africains doivent parler ensemble des défis de la deuxième décennie, comme ils l’ont fait pour trouver l’accord qui a présidé à la naissance de leur nouvelle démocratie. Les enjeux sont d’importance. La capacité du pays à trouver un consensus national sur cette transformation sera un facteur clé du succès. Elle déterminera l’aptitude de l’Afrique du Sud à réaliser le rêve du président Thabo Mbeki : devenir le premier pays africain à rejoindre les rangs des pays développés.

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