Khaled remis sur le bon raï

Cinq ans après le très décevant « Kenza », le père de « Didi » et de « Aïcha » revient, avec son nouvel album « Ya-Rayi », à ses racines de l’Ouest algérien.

Publié le 5 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

On disait de Khaled qu’il est « réfugié » dans un paradis fiscal parce qu’il vit au Luxembourg avec sa famille. Et, depuis le 21 septembre, il est une nouvelle fois le héros d’un triste feuilleton judicaire après sa mise en examen par un juge français pour « abandon de famille et organisation frauduleuse d’insolvabilité ». Le tribunal de Nanterre, près de Paris, tente ainsi d’obtenir le versement d’une pension alimentaire pour un fils qu’il récuse depuis 1996. Ce retour à la rubrique faits divers a nécessairement entamé la joie que Khaled affichait depuis la sortie, début septembre, de Ya-Rayi. « Je suis content d’avoir pu réunir Maurice el-Medioni et Blaoui, deux musiciens magnifiques. C’est beau ! » répétait-il à chacun de ses passages sur les plateaux de télévision.
L’artiste se félicitait ainsi d’avoir invité sur son nouvel album « deux frères » séparés après l’indépendance de l’Algérie. L’immense pianiste oranais Maurice el-Medioni, qui vit aujourd’hui à Marseille, et le chanteur compositeur Blaoui Houari, un vétéran de la chanson oranaise des années 1950. Après quarante ans de séparation, el-Medioni le juif et Blaoui le musulman se sont retrouvés autour de la première vedette internationale du raï. Notamment pour revisiter avec efficacité « H’Mama », un classique écrit par Blaoui en 1954.
Une rencontre pour le symbole, un plaidoyer pour la tolérance, parce que Khaled ne « comprend pas cette haine dans la nouvelle génération » qui alimente le climat actuel de crispation communautaire en France. Beaucoup d’émotion, mais toujours ce sourire d’enfant qui a fait sa réussite cathodique. Il est là, le regard pétillant, affichant une joie de vivre qui fait plaisir à voir, alignant des formules toutes faites, un brin naïves, mais visiblement sincères. Après cinq années d’absence, peut-être avait-il commencé à nous manquer, le père de « Didi » et de « Aïcha », les deux tubes qui ont fait de lui une star, même dans des régions du monde où le mot raï est intraduisible.
À 44 ans, Khaled Hadj Brahim dit vouloir, avec l’album Ya-Rayi, « revenir aux années 1960, avec la modernité d’aujourd’hui, pour rappeler une époque de bonheur que ses parents ont connue ». Un mouvement de retour, comme pour confesser son choix peu convaincant d’élargir les frontières du raï, et dont l’album Kenza (1999) a été le point d’aboutissement, avec des airs capturés de Kingston à New York, du reggae au funk. L’ambition était de porter le raï au plus loin et « donner une claque à tous les racistes ». Elle le perdra dans les méandres de la variété.
Et pourtant, l’approche initiale était réussie. Grâce à Khaled, le public français s’était mis à aimer le raï. Il découvre l’artiste en 1986 au festival de Bobigny. Le « cheb » est déjà une star en Algérie, où sa musique nourrie de guitares électriques, synthétiseur et boîte à rythmes connaît un grand succès. Lui, toutefois, n’en tire aucun avantage financier. Le producteur français Martin Messonnier, devenu son mentor, lui permet d’enregistrer un album et d’effectuer sa première tournée européenne en 1988. Ses textes parlent d’amour, de paix et du beau temps. La diaspora algérienne le porte au pinacle. Après avoir été abusé par des producteurs oranais peu scrupuleux, Khaled accède aux honneurs, touchant au passage les premiers dividendes de son travail.
Tout ira très vite ensuite pour le fils de Sidi el-Houari, le faubourg d’Oran où il voit le jour en février 1960. Invité en 1991 au World Summer Festival sur Central Park à New York, il représente la chanson francophone. En 1992, le titre « Didi » est la première chanson en arabe à occuper les premières places du Top 50, le classement de référence en France. Le tube fait mieux que de la figuration dans les hit-parades d’Égypte, d’Israël, d’Arabie saoudite et même d’Inde, avec une version en hindi. Les puristes n’apprécient pas beaucoup ce cru fermenté en France dans les cuves de Jean-Jacques Goldman. Mais plus d’un million et demi d’exemplaires trouvent preneur à travers le monde, propulsant Khaled sous le feu des projecteurs. L’artiste algérien est entre-temps devenu un habitué de la rubrique faits divers des journaux, qui le présentent comme un amateur de fête, d’alcool et de belles femmes.
Au pays, le nouvel ordre moral que veulent instaurer les islamistes plonge l’Algérie dans une zone d’incertitudes. Khaled décide en 1991 de se mettre à l’abri en France. Bien qu’habitué à arrondir les angles, il sait délier ses mots quand il s’agit de la situation politique de son pays. Le 22 juin 1995, le chanteur organise au Zénith de Paris un grand concert pour la paix et la liberté d’expression, au profit de l’association Algérie la vie, fondée avec Idir, une autre grande voix de son pays.
En 1996, sa fille Sahra, née quelques mois plus tôt, lui inspire le nom de son troisième album. Le titre « Aïcha » « fabriqué » par Jean-Jacques Goldman porte les ventes à 500 000 exemplaires. Khaled triomphe à l’Olympia, prête son physique au cinéma dans 100 % Arabica du réalisateur Mamoud Zemmouri et, le 26 septembre 1998, offre une soirée exceptionnelle à 15 000 aficionados à Bercy en compagnie de Faudel et de Rachid Taha.
En novembre 2000, la Tunisie l’accueille pour deux concerts, et il peut enfin se produire sur une scène d’Alger pour la première fois depuis son départ en France en 1991. Ce concert réunit plus de 10 000 personnes, essentiellement des jeunes, dans la salle omnisports Harcha, et cela en dépit de la vive polémique relayée par la presse sur l’opportunité d’un tel spectacle et malgré les menaces des groupes armés. La situation politique, qui s’est passablement détendue depuis l’accession au pouvoir du président Bouteflika, créera ensuite les conditions favorables d’un retour dans la ville de ses origines. Le 14 mai 2002, Khaled peut chanter à Oran et se recueillir sur la tombe de son père, aux obsèques duquel il n’avait pu assister.
Les mois suivants, sa tournée dans plusieurs pays arabes, la Jordanie et le Liban notamment, est marquée par des appels au boycottage. On lui reproche sa participation, le 11 mai, à la soirée Time for Life organisée au Colisée, à Rome, en faveur de la paix au Proche-Orient, en présence notamment de Shimon Pérès, alors ministre israélien des Affaires étrangères. Cette mésaventure n’entame pas son sourire, mais son trône n’est plus hors d’atteinte.
Douze ans après « Didi », son premier grand succès en France, le nouvel album de Khaled semble réconcilier l’artiste avec les racines du raï. Après une rupture mouvementée, les « marchands de tapis » d’Universal retrouvent grâce à ses yeux, et le chanteur donne l’impression d’une vie plus apaisée. « Je suis heureux », répète-t-il. En variant les rythmes et les mélodies, Ya-Rayi replonge dans l’esprit profond du raï oranais, réactivant les émois qui ont suscité, à 14 ans, la vocation de ce jeune homme insouciant. Chantés entièrement en arabe, les dix titres donnent aussi l’occasion de redécouvrir l’atmosphère dans laquelle ont germé les grands succès du chanteur. Un juste dosage entre une orchestration moderne, des sonorités oranaises classiques et une fine touche arabo-andalouse.

Khaled, Ya-Rayi, CD AZ/Universal.

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