« J’ai eu tort d’approuver la guerre en Irak »

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le 9 avril 2003, en regardant à la télévision la chute de Bagdad et la destruction de la statue de Saddam Hussein, j’éprouvais un mélange de joie et d’appréhension. La victoire de la liberté s’accompagnait d’images inquiétantes. Les Irakiens présents sur la scène célébraient la chute d’un cruel despote. Cependant, le drapeau qu’un GI planta sur la tête de la statue n’était pas irakien, mais américain. Les Américains ne rendaient pas l’Irak aux Irakiens. Pendant un bref instant (car le geste spontané du soldat a été par la suite désavoué par les autorités américaines), ils laissaient parler leurs instincts naturels : mettre la main sur l’Irak et se venger du 11 septembre 2001.
À ce moment-là, j’ai eu le sentiment que tout avait dérapé. L’Amérique avait gagné la guerre et allait perdre la paix. Malheureusement, mon pressentiment a été confirmé. Aujourd’hui, je m’efforce de trouver une réponse à des questions lancinantes. L’échec était-il inévitable dès le départ, ou bien les États-Unis ont-ils tout gâché par leur incapacité à concevoir et à appliquer une stratégie d’après-guerre ? L’affrontement entre la culture américaine – la difficulté à se mettre à la place des « autres » – et la réalité politique déstructurée de l’Irak ne pouvait-il se terminer que par un désastre, ou bien une autre administration aurait-elle fait de l’élimination de Saddam le premier pas vers un Irak pacifique et stable ?
La vérité est probablement entre les deux. Pour commencer, les ambitions des États-Unis étaient irréalistes, et leurs erreurs garantissaient qu’une prise de risque politique excessive conduirait tout droit à la catastrophe.
Sachant ce que je sais maintenant – l’absence d’armes de destruction massive en Irak, la réalité d’un chaos sans espoir d’amélioration dans l’avenir prévisible -, j’y aurais regardé à deux fois avant d’approuver la guerre.
Bien sûr, Saddam est en prison, en attente de son procès, et c’est déjà un résultat remarquable. Mais à quel prix ? Avons-nous échangé la sombre réalité d’un régime despotique affaibli contre la perspective d’un chaos encore plus sanglant et la formation d’un sanctuaire terroriste ? Cette guerre d’Irak a-t-elle été une mauvaise guerre à un mauvais moment avec de mauvaises ambitions ?
Plus de mille soldats américains et beaucoup plus encore d’Irakiens sont morts pour quelque chose que l’on n’a pas trouvé – des armes de destruction massive – et pour un espoir qui ne se réalisera pas – un Irak plus démocratique et pacifique. Aujourd’hui, alors que la situation sur le terrain ne peut qu’aller de mal en pis et qu’aucun scénario positif ne peut être envisagé (le maintien ou le retrait des troupes américaines étant l’un et l’autre tout aussi désastreux), je regrette d’avoir approuvé cette guerre.
La guerre d’Irak a pour résultat qu’il est encore plus difficile, et pas moins, de relever le défi majeur auquel nous devons faire face aujourd’hui : la lutte contre le terrorisme international. Comment pouvons-nous combattre efficacement les intégristes sans nous aliéner la majorité du monde arabo-islamique et sans trahir nos valeurs fondamentales ?
Les coûts de l’échec sont déjà énormes, et pas seulement en Irak et au Moyen-Orient. L’escalade de l’antiaméricanisme dans le monde ; l’encouragement donné à des dirigeants comme Vladimir Poutine de suivre l’exemple américain ; les hésitations face aux ambitions nucléaires de l’Iran – ces conséquences et d’autres conséquences indirectes de l’aventure américaine en Irak sont beaucoup plus catastrophiques que le pire scénario imaginé par l’administration américaine après la chute de Saddam.

* Directeur adjoint de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

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