Hu Jintao

Chef de l’État, secrétaire général du Parti et nouveau patron de la Commission militaire centrale après la démission de Jiang Zemin, il cumule tous les pouvoirs pour au moins huit ans.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 10 minutes.

Une poignée de main peut aussi bien signifier de chaleureuses retrouvailles qu’un au revoir ou même un adieu et la fin définitive, plus ou moins douloureuse, d’une relation. Celle qui a fait la une de toute la presse chinoise après la fin du plénum du Comité central du Parti communiste fin septembre, malgré les sourires convenus, appartenait à la toute dernière catégorie. Elle a peut-être même fait mal au bras de l’un des deux protagonistes de la scène, l’ancien président Jiang Zemin. C’était en effet la dernière fois, sans doute, que l’on voyait en public le nouveau président chinois, Hu Jintao, 61 ans, et son prédécesseur, 78 ans, faire mine de se congratuler. Car, en abandonnant officiellement la présidence de la Commission militaire centrale, qui contrôle la plus grande armée du monde avec ses 2,3 millions de soldats, après une démission que nul n’avait pronostiquée pour si tôt, celui qui avait remplacé Deng Xiaoping à la direction du pays en 1989 remettait définitivement ce jour-là tous les pouvoirs à son successeur depuis deux ans à la tête du Parti puis de l’État.
Le fait même que ce départ définitif de la scène publique de Jiang Zemin, déjà en semi-retraite, ait tant fait couler d’encre n’est évidemment pas sans signification. Il rappelle à quel point le système politique chinois, près de trente ans après la mort de Mao et un quart de siècle après le lancement de la politique d’ouverture au monde, reste peu transparent – et c’est un euphémisme. Si l’on a fait si grand cas de l’événement, c’est bien parce qu’il était considéré comme tout à fait improbable jusqu’à quelques jours avant son annonce où des rumeurs l’ont laissé envisager. Et que nul n’a pu vraiment rapporter les circonstances dans lesquelles il s’est produit et ses raisons précises – même si on a évoqué des problèmes de santé du démissionnaire qui ne seraient pas que diplomatiques. La plupart des observateurs des allées du pouvoir à Pékin pronostiquaient même récemment une accentuation de la rivalité supposée entre les deux derniers présidents. Jiang Zemin, disaient-ils, veut plus que jamais continuer à inspirer, directement ou à travers ses fidèles, la marche du pays et les décisions principales le concernant. D’autre part, comme la décision de Deng Xiaoping de conserver un temps cette seule fonction après sa retraite l’avait déjà démontré, la direction de la Commission militaire centrale est décisive pour qui veut contrôler le destin de la Chine. D’où l’importance accordée à l’identité du dirigeant en charge de cette institution et de son second – c’est en nommant Hu Jintao à la vice-présidence de cette Commission que Pékin avait annoncé indirectement, en avril 2001, son destin de futur numéro un. Une façon de souligner que le pouvoir en Chine, bien qu’exercé par des civils, reste fondamentalement appuyé sur l’armée. Donc un pouvoir des plus autoritaires et qui, s’il le faut, se fera respecter, selon la formule maoïste, « au bout du fusil ».
Il est possible, cependant, sans annuler pour autant celle-ci, de privilégier une autre lecture du début d’une véritable ère Hu Jintao à la tête du pays le plus peuplé de la planète. On peut remarquer en effet surtout que l’on vient d’assister à un transfert du pouvoir des plus normaux, banal même, entre la troisième et la quatrième génération de dirigeants chinois depuis l’avènement de la République populaire en 1949. Et il s’agit, avec ce processus de transition en douceur, d’une première, puisque l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping, en 1978, avait supposé la mise à l’écart sans ménagement du dauphin que s’était choisi Mao lui-même, Hua Guofeng, tandis que la nomination de Jiang Zemin, en 1989, était intervenue sur fond de crise aiguë et d’élimination des « libéraux » après les événements tragiques de la Place Tienanmen. Malgré tous les commentaires prévoyant le contraire, Jiang Zemin, on ne l’a guère noté même après sa démission, a en fait tout simplement abandonné ses fonctions à la tête de la Commission militaire à la date à laquelle il avait promis de le faire, deux ans après son départ de la présidence. Et, ce qui montre à quel point le régime s’est « normalisé », il a agi ainsi en respectant la « jurisprudence Deng », si l’on peut dire, puisque celui-ci avait conservé la même fonction pendant le même temps après avoir quitté la présidence.
Quel sera cependant l’effet réel de cette concentration des pouvoirs ? Jiang Zemin, comme le croient certains, pourra-t-il continuer, même in absentia, à influencer notablement la marche des affaires à travers tous les hommes qu’il a fait nommer à de hautes fonctions pendant ses années de pouvoir ? Ou doit-on s’attendre, au contraire, à un net infléchissement de la politique chinoise dans certains domaines sous l’impulsion de la nouvelle génération ? Il est certain que le président, en poste sauf imprévu pour deux mandats selon la tradition non écrite du Parti, donc jusqu’en 2012, semble avoir désormais les mains totalement libres pour imposer ses choix. Il a réussi à éviter, lors de ce dernier plénum, la nomination pourtant annoncée comme quasi certaine du numéro deux officiel du régime, Zeng Qinghong, un homme du « clan » Jiang Zemin, à la vice-présidence de la Commission militaire. Et même s’il avait été adoubé par son prédécesseur, Hu Jintao n’a pas de réel lien d’allégeance envers lui. Il n’ignore pas, bien sûr, qu’il fut surtout le poulain de Deng Xiaoping dès 1992 pour exercer le moment venu les plus hautes fonctions : c’est en effet le père des réformes post-maoïstes qui lui avait confié alors la tâche d’organiser le XIVe Congrès du Parti communiste chinois et qui lui avait permis d’intégrer le bureau politique à moins de 50 ans – un record de précocité pour participer à cette instance qui réunit les principaux dirigeants du pays.
Il n’y a pourtant aucune raison de supposer que l’on se dirige vers une profonde évolution des stratégies suivies jusqu’ici. Hu Jintao est en effet à tel point un pur produit du régime qu’on le voit mal imposer des virages serrés au parcours du pays, même à supposer que la machine politico-administrative ne veuille pas enrayer de trop rapides changements. Sa carrière d’élève modèle du Parti et des cercles dirigeants témoigne de sa prudence et de sa propension à respecter en toutes circonstances « la ligne ». Certes, il n’a jamais été considéré comme un dur parmi les durs du régime, mais il n’a pas pour autant acquis une réputation de « libéral ». S’il a pu, autrefois, « protéger » quelques intellectuels peu en cour à Pékin ou tolérer quelques manifestations lorsqu’il assumait des responsabilités en province, il fut aussi l’artisan d’une répression sans faiblesse des menées indépendantistes tibétaines à la fin des années 1980. Et il fut le premier dirigeant qui n’était pas présent dans la capitale à manifester son soutien à la direction du Parti après la répression du mouvement étudiant en faveur de la démocratie en 1989. Le dernier grand discours de Hu Jintao, à la mi-septembre, devant le Parlement, dont on fêtait le cinquantième anniversaire, lui a d’ailleurs donné l’occasion de réaffirmer, à la veille du plénum, son opposition à toute évolution vers un « système politique à l’occidentale ». Celui-ci, selon ses propres termes, « conduirait la Chine à une impasse ». Sa préférence va donc toujours à la formule actuelle qu’il définit comme une heureuse adaptation des principes généraux du marxisme aux réalités nationales chinoises.
Il ne faut pourtant pas en conclure que rien ne va changer, sauf au niveau superficiel. Fils d’un petit commerçant – donc d’origine « capitaliste » selon les critères chinois d’autrefois -, ayant suivi des études d’ingénieur avant d’intégrer le ministère de l’Eau et de l’Électricité puis de grimper parallèlement les marches de l’appareil du Parti, Hu Jintao passait déjà, avant d’arriver au sommet du pouvoir, pour le chef de file de la génération montante des cadres technocrates et modernistes de la « nouvelle Chine », celle de l’ouverture toujours plus grande au monde et du développement économique accéléré. Or cette génération, semble-t-il, dont le Premier ministre Wen Jiabao – un ancien ingénieur au profil de technocrate lui aussi – est également un représentant éminent, n’entend pas suivre exactement le même chemin que la précédente. Aussi bien en matière de politique intérieure et économique que de politique extérieure.
Même s’il n’est pas question, on l’a vu, de remettre en question le rôle dirigeant du Parti et d’admettre de ce fait le multipartisme, l’équipe de Hu Jintao paraît décidée à rendre plus dynamiques, plus efficaces et, ce serait un grand progrès, plus transparents les organes de direction et d’administration du pays. Cette très relative démocratisation du régime – on devrait plutôt parler de « professionnalisation » peut-être – pourrait prendre concrètement la forme de l’existence tolérée de courants au sein du Parti et d’un renforcement du rôle de l’Assemblée pour qu’elle devienne, sinon un réel contre-pouvoir, au moins une instance de contrôle digne de ce nom. Quant à l’accent qu’on veut mettre, à en croire la rhétorique en vogue à Pékin, sur une meilleure « gouvernance », il signifie surtout que le nouveau pouvoir entend mieux contrôler la corruption et toutes les dérives que la libéralisation de l’économie a indirectement encouragées. Ce qui pourrait aller de pair avec une plus grande attention apportée à l’établissement d’un véritable État de droit. Une directive de Hu Jintao appelant, après le scandale de la prison d’Abou Ghraib, en Irak, à une surveillance accrue des éventuels abus et dérapages dans les centres pénitentiaires chinois ne conduira peut-être pas à une modification immédiate des comportements du personnel de ces établissements, mais paraît significative à cet égard.
La politique économique suivie depuis 1978 et plus particulièrement depuis le début des années 1990, considérée comme un incontestable succès à mettre à l’actif de Jiang Zemin et de ses collaborateurs, ne saurait évidemment être fondamentalement modifiée. La recherche d’une forte croissance, les privatisations, l’ouverture sur l’extérieur pour attirer des capitaux et stimuler les exportations resteront, à n’en pas douter, à l’ordre du jour. Mais alors que le précédent chef de l’État, l’homme de Shanghai, celui qui a invité les entrepreneurs capitalistes à rejoindre le Parti, se voulait avant tout le « patron » de l’« entreprise Chine », quitte à accepter une progression très rapide des inégalités entre les régions et entre les individus afin de favoriser les « locomotives » de l’essor économique, il semble bien que la nouvelle équipe entend procéder à un certain rééquilibrage des priorités. Hu Jintao, qui avait tenu à effectuer sa première tournée en province de chef de l’État dans une région déshéritée, affirme qu’il est essentiel désormais de faire profiter l’ensemble du pays – et plus particulièrement les 800 millions de ruraux – des bienfaits du développement. On prend d’ailleurs depuis quelques mois des mesures de refroidissement de l’économie afin de limiter le taux de croissance, qui s’est envolé depuis le début de l’année vers la barre dangereuse des 10 % par an. Et cet « atterrissage en douceur » – comme disent les économistes – devrait pénaliser relativement les régions côtières du Sud et de l’Est les plus favorisées et faciliter la mise en oeuvre d’une politique visant à diriger une partie des investissements vers d’autres lieux, notamment l’intérieur du pays et le Nord-Est de plus en plus sinistré.
Le choix capitaliste ne sera pas remis en question, mais il pourrait être de plus en plus teinté… de socialisme. Un comble, évidemment, pour un pays toujours officiellement communiste ! Une nécessité peut-être aussi pour éviter des désordres sociaux face à des inégalités par trop insupportables. Les Chinois, autant qu’on puisse en juger, semblent avoir accepté en majorité de patienter avant de satisfaire leurs aspirations à la liberté en échange d’un mieux-être pour eux-mêmes et leurs enfants. Mais ce « marché » ne saurait tenir si seule une minorité, fût-elle importante, bénéficie du développement au niveau national.
Enfin, en matière de relations avec l’extérieur, on s’attend à des inflexions de la politique suivie jusqu’ici. Hu Jintao pourrait bien se révéler moins obsédé par l’Amérique que son prédécesseur, qui semblait ignorer largement tous les autres acteurs sur la scène internationale. Ce qui devrait profiter notamment aux relations sino-européennes, voire sino-japonaises. D’une manière générale, le nouveau président, conscient que la nouvelle Chine, si puissante, fait de plus en plus peur, peu porté de surcroît à l’arrogance, pourrait surtout adopter un profil bas sur beaucoup de sujets afin de ne pas heurter les autres pays, en particulier ses voisins. D’autant qu’il s’agit aussi de partenaires indispensables au plan économique. Mais il ne faut pas s’attendre pour autant à une évolution très sensible de la position chinoise sur la question taiwanaise. Le consensus, pour réclamer le retour de l’île sous l’autorité de la Chine populaire, est total à Pékin. Tout au plus le dossier sera-t-il peut-être géré de façon moins ouvertement belliqueuse si aucune « provocation », comme une déclaration unilatérale d’indépendance à Taipei, ne vient imposer une réaction vigoureuse.

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