Grand écart budgétaire

Fruit de délicats compromis, le projet de loi de finances pour 2005 s’efforce de concilier action sociale et réformes libérales.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 6 minutes.

Alger, palais d’El-Mouradia, lundi 27 septembre. Le Conseil des ministres commence par une surprise protocolaire. Habituellement, tous les membres du gouvernement prennent place dans la salle avant l’arrivée des deux chefs de l’exécutif. Mais ce jour-là, lorsque Abdelaziz Bouteflika et Ahmed Ouyahia font leur apparition, ils sont accompagnés d’Abdelatif Benachenhou, le ministre des Finances. Les trois hommes ont eu préalablement un long aparté. Le chef de l’État semble de bonne humeur, ce qui pourrait indiquer que son ami Benachenhou est parvenu à lui « vendre » son projet de loi de finances pour 2005. En fait, le document s’inspire très, très largement du programme électoral du candidat Bouteflika lors de la campagne présidentielle du mois d’avril. Ce texte définit une stratégie de développement qu’on pourrait résumer, paradoxalement, en deux mots : ambition et prudence. L’ambition, c’est le Plan de consolidation de la croissance dont l’existence a été rendue publique au mois d’août : 50 milliards de dollars d’investissements publics sur cinq ans (voir J.A.I. n° 2279), c’est assez vertigineux. Pour la prudence, il suffit de considérer la stratégie financière choisie par le gouvernement pour l’année prochaine…
Les recettes pétrolières escomptées au cours du prochain exercice budgétaire avoisinent 900 milliards de dinars. Soit un peu plus de 11 milliards de dollars, sur la base du cours officiel de 1 dollar pour 76 dinars. Cela paraît très peu pour un pays qui produit 1,5 million de barils de pétrole brut par jour et exporte plus de 60 milliards de m3 de gaz par an. Le 26 septembre, Chakib Khelil, le ministre de l’Énergie, a d’ailleurs annoncé pour cette année des revenus de l’ordre de 30 milliards de dollars.
L’explication est simple. Les prévisions les plus pessimistes tablent sur un baril à 40 dollars, en moyenne, au cours des six premiers mois de 2005. Or, depuis 2001, le gouvernement élabore son budget sur la base d’un baril à 19 dollars, quelles que soient les fluctuations du marché. Le surplus de recettes est affecté à un fonds spécial destiné à résorber la dette intérieure.
Dans le projet de loi de finances préparé par Benachenhou, le revenu des hydrocarbures représente 55 % des recettes du Trésor public (1 635,8 milliards de dinars, au total). Les dépenses atteignent quant à elles 1 950 milliards de dinars (plus de 25 milliards de dollars), dont 1 200 milliards affectés au budget de fonctionnement. Le reste, soit 750 milliards de dinars (près de 10 milliards de dollars), est consacré à l’équipement et à l’investissement. Dix milliards de dollars d’investissements publics ? C’est précisément la moyenne annuelle promise par le plan quinquennal (2005-2009) de consolidation de la croissance. L’originalité du texte est donc ailleurs. Pour simplifier, le cocktail préparé par Benachenhou comprend une forte dose de social, une volonté affirmée d’améliorer le recouvrement fiscal et un zeste de mesures libérales destinées à encourager l’investissement privé et à inciter le capital étranger à s’intéresser au marché algérien.
Dès son premier mandat, Bouteflika avait fait de l’éducation un chantier prioritaire. À eux seuls, l’enseignement primaire, secondaire et supérieur ainsi que la formation professionnelle mobilisent 25 % du budget de fonctionnement (soit 300 milliards de dinars), et plus de 10 % des crédits d’équipement et d’investissement (75,8 milliards de dinars). Mais c’est la politique sociale dans son ensemble qui se trouve dotée de crédits d’un montant faramineux : 436 milliards de dinars, qui serviront à financer les allocations familiales, le soutien scolaire et les bourses pour les étudiants, l’aide aux plus démunis, etc. Sur ce point, Benachenhou s’est quelque peu laissé forcer la main. Le ministre ne fait en effet pas mystère de son hostilité à toute politique de déficit budgétaire, surtout quand l’État dépense quatre fois plus pour l’action sociale que pour l’action économique ! « Une nation qui consomme plus qu’elle n’investit ne prépare pas l’avenir », répète-t-il volontiers.
Quoi qu’il en soit, le projet prévoit une enveloppe de 103 milliards de dinars pour le logement. « Aucun pays au monde, commente Benachenhou, ne dépense autant pour l’habitat. » La masse salariale de la fonction publique est également colossale : 618 milliards de dinars, soit « 12,7 % de la richesse nationale », précise Benachenhou. La consolidation du pouvoir d’achat et la relance de la consommation sont également au programme, peut-être en prévision de futurs pourparlers avec les partenaires sociaux.
Pour asseoir l’autorité de l’État, une sensible amélioration du recouvrement de l’impôt et une lutte sans merci contre l’incivisme fiscal sont prévues. Lors du Conseil des ministres du 27 septembre, à l’issue duquel le projet de loi de finances a été adopté, le grand argentier a exposé à ses collègues sa volonté d’augmenter les dépenses d’équipement et le montant des recettes au détriment du budget de fonctionnement, ce qui constitue une totale inversion de tendance. Pourtant, le prochain exercice sera marqué par une baisse de 50 % du versement forfaitaire, sorte de taxe professionnelle qui passe de 2 % à 1 % du chiffre d’affaires des entreprises. Une mesure qui réjouira sans nul doute le patronat, mais qui réduit un peu plus le montant des recettes fiscales hors hydrocarbures. À titre de compensation, l’impôt à la source sur les bons de caisses anonymes va augmenter, mais Benachenhou n’a donné aucune indication sur le montant des recettes qu’il en attend.
Autres mesures libérales : l’exonération d’impôts dont bénéficient, pour cinq ans, les sociétés de capital-risque, très utiles pour promouvoir l’investissement des PME par le biais du crédit bancaire ; la création d’un fonds de soutien à l’investissement pour l’emploi ; et la bonification des intérêts sur les crédits octroyés aux PME. La stratégie esquissée par le projet vise à mieux répartir l’effort entre les différentes régions.
Au cours de la discussion en Conseil des ministres, Bouteflika est intervenu pour féliciter son ministre pour la qualité de son exposé, mais également pour mettre en garde les participants contre tout excès de confiance : l’embellie financière dont bénéficie actuellement l’Algérie n’est que conjoncturelle, a-t-il indiqué. L’identification des projets à promouvoir au cours du prochain quinquennat sera évidemment déterminante (« sérions les priorités »). Quant au choix de l’économie de marché, il est irréversible. Ce qui signifie que « les réformes ne sauraient être remises en question par les forces conservatrices et celles de la rente ». Un avertissement sans frais à l’adresse des syndicats, accusés de saboter la privatisation des entreprises publiques et la mise à niveau de la législation économique.
L’ennui est que les velléités libérales de ce discours se trouvent contredites par les mesures adoptées au mois d’août par le gouvernement. Parmi elles : l’interdiction faite aux sociétés d’État de domicilier leurs comptes et leurs opérations financières dans des banques privées ; mais aussi le rétablissement du monopole de l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (Anep) sur la publicité d’État.
Ces décisions ne laissent pas d’inquiéter les partenaires étrangers, même si les 36,8 milliards de dollars de réserves de change dont dispose l’Algérie (au 31 août) les incitent à la mesure et à la discrétion dans la critique. Reste que certaines chancelleries ont bel et bien transmis à leur ministère de tutelle des rapports alarmants. Le 28 septembre à Alger, au cours d’une conférence de presse, Benachenhou, qui n’était pourtant pas, semble-t-il, très favorable à l’adoption de ces mesures, s’est efforcé de les justifier.
« Il s’agit pour nous d’éviter une nouvelle affaire Khalifa », a-t-il précisé. On sait que la faillite de la banque privée du même nom a laissé un trou de 1,5 milliard de dollars que le Trésor public a été contraint de combler. L’ennui est qu’en tentant de prévenir le renouvellement de telles pratiques, le gouvernement pénalise l’ensemble du secteur financier privé.

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