En attendant les touristes

La construction de l’oléoduc acheminant le pétrole tchadien jusqu’à la côte n’a pas changé la face de cette station balnéaire. Sa vocation de loisirs reste entière, même si les résultats demeurent mitigés.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 6 minutes.

Michèle et Alexandre y croient. Chez « Mimado, Les Pieds dans l’eau », leur restaurant du bord de mer, il y aura du monde, de la musique, de bons petits plats et du bonheur. Même si leur auberge, lancée il y a cinq ans, est éloignée de la cité de Kribi et qu’il faut parcourir douze kilomètres de piste endommagée pour s’y rendre, le cadre est idéal : une plage de sable fin à perte de vue, des palmiers, une température agréable, même en saison des pluies, et puis le calme total. Kribi n’est pas devenu pour rien la première (et unique) station balnéaire du Cameroun et même de la sous-région. La plate-forme gazière d’Ebomé et la toute nouvelle barge d’arrivée de l’oléoduc Tchad-Cameroun qu’on aperçoit au loin n’empêcheront aucun touriste camerounais ou étranger de trouver la quiétude sur les plages de Londji ou de Grand Batanga.
Voilà plus de vingt ans que des entrepreneurs visionnaires, des Allemands d’abord, suivis par de riches Camerounais et d’autres étrangers, ont développé le petit paradis de Kribi, encouragés par les autorités. Aujourd’hui, on compte environ 900 chambres dans une soixantaine d’hôtels, trois boîtes de nuit et de nombreux restaurants qui rivalisent de fraîcheur grâce aux pêcheurs locaux. Chaque année, la ville enregistre environ 20 000 nuitées pour des séjours de deux ou trois jours. Les capacités d’accueil ne manquent pas et, à certaines périodes de l’année, comme pendant les fêtes, il faut s’y prendre des semaines à l’avance pour trouver une chambre.
Le développement se poursuit, et une cinquantaine de dossiers arrivent chaque semaine à la sous-préfecture pour une demande d’immatriculation. La valeur des terrains côtiers a grimpé jusqu’à 15 000 F CFA le m2 (23 euros), le triple des prix pratiqués à quelques kilomètres de là, à l’intérieur des terres. Si toute la côte n’est pas encore construite, la grande majorité des terrains situés au bord de l’eau est déjà vendue. Signe du dynamisme de la cité, en cette fin d’année 2004, cinq nouveaux hôtels sont en construction.
Au fond du petit port de pêche, on aperçoit les travaux de terrassement de la future marina, que des plaisanciers ont préféré installer là plutôt que de rester dans le port encombré et difficile d’accès de Douala. Un golf 18 trous a également vu le jour. Et de nombreux petits restaurants s’installent régulièrement, toujours plus près du bord de mer, et souvent dans l’illégalité, pour le plus grand bonheur des clients, ravis de déguster un capitaine grillé au charbon, les pieds dans l’eau. Les autorités sont d’ailleurs tolérantes et laissent aux entrepreneurs le temps de faire leurs preuves avant de leur accorder un permis d’exploitation. Que ne ferait-on pas pour développer la ville et permettre à trois, quatre ou cinq habitants de trouver un emploi chez les investisseurs qui parient sur Kribi ? Dans la cité balnéaire, 80 % de la population vit directement ou indirectement du tourisme. Et, pendant la semaine, c’est seulement 1 % des habitants (des fonctionnaires surtout) qui fait vivre l’activité touristique, en attendant le week-end et le retour des touristes. Des visiteurs chéris par la ville et, malheureusement, aujourd’hui encore trop peu nombreux.
En ce mois de septembre, les trombes de pluie qui tombent sur la région ne sont donc pas l’unique motif d’inquiétude des professionnels du secteur. Kribi est une vitrine, certes. Mais le reste du temps, il lui manque l’essentiel : des touristes en nombre suffisant pour permettre à la ville de se développer et à ses habitants de trouver un emploi. Durant les quatre à cinq mois de basse saison, le taux d’occupation des chambres plafonne à 15 %.
Pour résoudre ces problèmes saisonniers, le syndicat des hôteliers tente de développer d’autres formes de tourisme que balnéaire : tourisme culturel, écotourisme et tourisme d’affaires. « Plutôt que de faire venir tous les cadres d’une entreprise à Yaoundé pour les conseils d’administration ou les séminaires, pourquoi ne pas les amener à Kribi ? » suggère Martino Benae, PDG du Palm Beach Plus, l’un des hôtels trois-étoiles de la ville, et président du syndicat des hôteliers de Kribi. « La route est bonne, et nous avons les infrastructures nécessaires. »
Mais l’entrepreneur reconnaît cependant qu’il manque à la capitale provinciale une industrie pour assurer aux habitants une activité pérenne. « Cela ferait des emplois et augmenterait le pouvoir d’achat des Kribiens qui pourraient sortir dans les restaurants. Le tourisme, c’est bien. Il répond à un besoin. On vend du vent aux gens qui en ont besoin ou envie. Mais s’ils ne sont pas là, il ne nous reste que le vent… »
À l’instar d’Hévécam, les industries déjà présentes dans la région ont peu d’impact sur la ville. La Cameroon Oil Transportation Company (Cotco), qui transporte le pétrole via l’oléoduc, a son siège à Douala : c’est donc la capitale économique qui perçoit les taxes. Ce pipe (prononcez « païpe »), comme on l’appelle à Kribi, a engendré bien des désillusions. Il semble déjà loin ce 12 juin 2004, où le président Biya et ses homologues de la région sont venus l’inaugurer en grande pompe dans la cité balnéaire. « Le pipe a créé une activité économique occasionnelle », explique Eitel Meza M’Akame, le délégué provincial du tourisme dans le Sud. Pendant la première année de construction, les hôtels étaient pleins. La ville a été complètement nettoyée et maintenue propre pour les cérémonies d’inauguration, et les professionnels, ravis, souhaiteraient que l’initiative soit poursuivie. Mais aujourd’hui, les quelques employés de la barge sont spécialisés et expatriés. Souterrain, le pipe ne nécessite qu’un faible entretien. Donc, en termes d’emplois directs, l’oléoduc a eu peu de retombées sur la région. Ne restent que de vieilles affiches publicitaires aux couleurs passées, vantant l’activité créée autour du chantier. Les répercussions écologiques ne se sont, elles, pas fait attendre. Déjà les pêcheurs se plaignent du bruit des tankers qui viennent remplir leurs cales du précieux brut tchadien et qui fait fuir les poissons. « Le pipe, c’est la montagne qui a accouché d’une souris, » conclut Martino. Et les Kribiens de se morfondre dans le chômage.
« À terme, je suis inquiet pour cette ville, reconnaît Eitel. Les riches viennent y construire des villas sur le bord de mer, mais y vivent en autarcie totale. Ils ont leurs réserves d’eau, leurs groupes électrogènes. D’une certaine manière, ils contribuent au développement de Kribi en payant des impôts locaux. Mais ils ne font pas bénéficier les populations de leurs richesses. Et cette population, qui ne cesse de s’appauvrir, constate, sans pouvoir rien y faire, qu’elle est exclue du système. Il faut avouer que l’on n’a pas su développer des activités au profit de la population de Kribi. »
Pourtant, malgré les difficultés, les professionnels croient au développement, dur comme fer. D’autant que, selon eux, les Camerounais commencent à avoir la culture du tourisme. « Avant, on réservait ça aux Blancs, explique Martino. Mais maintenant, les gens un peu fortunés viennent passer quelques jours à Kribi pour se reposer, plutôt que de systématiquement rentrer au village. » Selon ses calculs, il suffit de 100 000 F CFA pour un couple avec un enfant pour passer un week-end agréable à Kribi. Les moins riches et les plus jeunes peuvent aussi s’offrir des chambres à 5 000 F CFA chez les soeurs de Stella Maris. « La ville a de l’avenir. Nous avons des ressources en sous-sol, les hôtels « champignonnent », un tourisme culturel centré autour des fêtes traditionnelles est en train de se développer. Dans dix ans, l’endroit où il faudra être, ce sera Kribi. » À voir les jeunes filles se déhancher sur les rythmes branchés du Java, l’une des boîtes de nuit, on arrive à le croire. Malgré la pluie, Kribi s’amuse.

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