Docteur Kerry et Mister Bush

Idée centrale du livre de la journaliste française Christine Ockrent : l’élection présidentielle américaine n’opposera pas tant les républicains et les démocrates que deux hommes incarnant deux visions radicalement différentes des États-Unis.

Publié le 5 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

Voilà bien un livre qui ne manque pas d’atouts. Une blonde auteure installée, depuis des lustres, sur le devant de la scène médiatique, qui s’y connaît comme personne pour tailler sa route à travers tribunes et débats. Une date de publication programmée pour tomber pile, à l’instant I d’incandescence de l’actualité, quand la campagne de la présidentielle américaine s’anime enfin. Dans les rôles-titres, deux héros célèbres, pugilistes au mieux de leur forme, bichonnés par leurs équipes de soigneurs et couvés par leurs épouses. En fond d’écran, quantité de sujets qui engagent l’avenir de la planète. Sans oublier l’essentiel, cher aux éditeurs de best-sellers ayant à coeur de fournir aux publicitaires et autres commentateurs la formule qui résume 294 pages en une seule phrase : le concept.
Celui de Christine Ockrent, qui donne ses contours à cet ouvrage, est simple : la prochaine élection présidentielle américaine n’opposera pas tant les républicains et les démocrates que « deux hommes [qui] se font face – deux types de Yale, blancs et riches, deux patriciens éduqués et entraînés pour assumer le pouvoir, deux contemporains aux parcours parallèles et pourtant dissemblables -, deux candidats qui, au-delà des clivages partisans traditionnels, en sont venus à incarner deux visions radicalement différentes des États-Unis ».
À ma gauche, si l’on peut dire, John Kerry. Surnommé « Jean Chéri » par ses détracteurs de l’Amérique profonde qui se gaussent de ses attaches françaises, de sa culture européenne et du « sentimentalisme » qui l’a conduit à devenir la figure de proue du Mouvement des vétérans du Vietnam contre la guerre, après que lui-même, capitaine d’un bateau patrouilleur sur le Mékong, en eut rapporté des brassées de médailles. Ou rebaptisé « JFK » (Just for Kerry) par d’autres, qui lui reprochent son narcissisme d’enfant gâté (« Il ne passe jamais devant un miroir sans dire bonjour », note un journaliste du Boston Globe). Étudiant à Yale, très populaire parmi des condisciples qui n’ont jamais douté de sa future carrière, puis avocat beau plaideur de la haute société bostonienne, il se forge, sous les insultes de la National Rifle Association, des convictions contre l’autorisation de port d’arme et contre la peine de mort (il admet toutefois celle-ci, depuis peu, dans les cas de terrorisme).
Jeune « radical chic » du Massachusetts, le sénateur Kerry a surgi il y a vingt ans dans l’ombre d’Edward Kennedy, et il est réélu depuis, sans discontinuer, même si on lui reproche d’avoir « mené plus d’enquêtes qu’il n’a promu de lois ». Dans son sillage, des chanteurs, des écrivains et des artistes à la mode en font un homme « passionné par les affaires du monde et ouvert à ses différences, amateur de guitare classique et de joutes intellectuelles ». Catholique fervent, certes, mais soucieux de ne pas céder au prosélytisme des « théocons » évangélistes qui se pressent dans les allées du Congrès, il a appris – et donc révélé – sur le tard qu’il avait un grand-père juif. Une épouse polyglotte qui, pour être milliardaire – les mauvaises langues ont baptisé le couple « cash and Kerry » -, n’en a pas moins jadis marché contre l’apartheid, milité pour la défense de l’environnement et s’est aujourd’hui alignée sur les positions de son candidat de mari, plutôt favorable à l’avortement. Bref, John Kerry, le démocrate, présente somme toute le visage assez classique des libéraux de sa génération, parmi les mieux lotis.
À ma droite, et là, sans le moindre doute, George W. Bush. Le porte-drapeau d’une Amérique que les quatre années de son mandat présidentiel nous ont donné le loisir d’apprendre à connaître : « L’Amérique conservatrice, républicaine, pieuse et même bigote, drapée dans la bannière étoilée pour refuser d’un seul élan l’avortement, le mariage homosexuel, la hausse des impôts, la bureaucratie de Washington, la concertation internationale et les Nations unies. » George Dobeliou a les bottes enfoncées dans la boue des champs pétrolifères du monde entier et la casquette des Texas Rangers – son club de base-ball – vissée sur le crâne, « marchant les jambes bien écartées pour prouver qu’il en a, limitant son vocabulaire à l’essentiel, rejetant ostensiblement ce qui, de près ou de loin, peut s’apparenter à de l’intellectualisme. » Lui, il s’est bien gardé d’aller faire la guerre au Vietnam, ce qui lui permet de dénoncer sans états d’âme… ceux qui dénoncent les atrocités commises là-bas par les Américains.
Quant à l’âme, parlons-en : « Le vocabulaire présidentiel sort tout droit des psaumes. Tous les matins, paraît-il, George W. Bush lit au réveil un passage de la Bible. Dans la journée, la Maison Blanche résonne de prières. » Comment s’étonner que la politique étrangère américaine se plaise désormais à revêtir les oripeaux d’une « croisade contre le Mal » à la tête de laquelle caracole l’élu, non seulement du peuple, mais de Dieu ?
Marie a le doux visage de Barbara, la mère, tellement heureuse d’avoir pu rencontrer « tous les gens que je vois aux informations télévisées »… à l’exception d’Arafat ! Et les apôtres ont pour nom Paul Wolfowitz, Richard Perle, Elliott Abrams, « brillants, ambitieux, solidaires, mêlant parfois contacts politiques et contacts financiers lucratifs ». Soit l’image d’une Amérique conservatrice, obnubilée par la peur du terrorisme, qui méprise le reste du monde et dont le berceau est tapissé de billets verts.
L’arbitre – le peuple américain – se prononcera le 2 novembre pour choisir son champion. Et si l’on ignore à ce jour qui sera élu, nul ne doute en revanche que le coup de gong marquant la fin du combat résonnera alors jusqu’aux frontières de l’univers.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires