Diplomate ou voyou ?

L’immunité diplomatique est-elle légitime en cas de délit grave ? Après beaucoup d’autres affaires, les dernières frasques parisiennes d’Hannibal Kadhafi incitent à se poser la question.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

Privilège indu ? Abus de pouvoir ? Les récentes frasques d’Hannibal Kadhafi à Paris posent la question de l’étendue et, surtout, de la légitimité de l’immunité diplomatique. A-t-on le droit de faire n’importe quoi parce qu’on se sait protégé par cette très ancienne coutume du droit international, codifiée en 1961 par la Convention de Vienne ? Au mois d’avril dernier, un diplomate qatari a été contrôlé à 214 km/h sous le tunnel du mont Blanc, où la vitesse est limitée à 70 km/h. Le Quai d’Orsay a aussitôt fait savoir que « les diplomates ont obligation de respecter pleinement la législation en vigueur en France, comme le stipulent les conventions internationales ». Premier pas vers la remise en cause de l’impunité légale ? Pas sûr, puisque l’affaire a finalement été classée sans suite…
Rappelons d’abord les faits. Dans la nuit du 25 au 26 septembre, sur les Champs-Élysées, à Paris, Hannibal, le quatrième fils de Mouammar Kadhafi, est au volant de sa Porsche dernier cri. Il est plus de 2 heures du matin et la circulation est fluide. Le jeune homme (28 ans) appuie sur l’accélérateur, l’aiguille du compteur marque plus de 110 km/h. Pas de chance, le bolide croise une patrouille de la brigade anticriminalité du 8e arrondissement de Paris. Gyrophare, brève course-poursuite… La Porsche finit par ralentir et par s’arrêter sur le bas-côté.
Le conducteur, un beau brun élégamment vêtu, refuse de sortir du véhicule et de se soumettre à l’alcootest, mais présente aux policiers, perplexes, un passeport diplomatique. Ces derniers procèdent aux vérifications d’usage, contactent le Quai d’Orsay, l’ambassade de Libye… Deux autres véhicules se garent à proximité de la Porsche. Une demi-douzaine de gros bras en descendent : les gardes du corps de Kadhafi Jr. Rapidement, l’incident tourne à l’échauffourée. Un policier est blessé. Deux gorilles sont embarqués et placés en garde à vue. Pendant ce temps-là, Hannibal regagne tranquillement le palace parisien où il réside depuis plusieurs mois…
Les jeunes gens viennent de passer plusieurs heures à l’Oscar, un restaurant-cabaret non loin des Champs où se produisent des danseuses « orientales » et où l’alcool coule à flots. Selon plusieurs témoins, ils seraient repartis en galante compagnie… À l’instar d’un Oudaï Hussein, le défunt fils de l’ex-dictateur irakien, Hannibal a la réputation d’être un coureur de jupons invétéré, violent à l’occasion.
Officier de marine, on le voit rarement à bord des navires de la Jamahiriya. Il préfère fréquenter la jet-set et s’adonner aux délices des nuits parisiennes. D’autant qu’Aïcha, sa soeur, dont il est très proche, réside elle aussi, depuis plusieurs mois, dans la capitale française. Quand ils sortent ensemble, le frère et la soeur ne passent pas vraiment inaperçus ! Cette fois pourtant, Hannibal a réussi le tour de force de susciter l’ire paternelle…
Dimanche 26 septembre, il se rend au commissariat du 8e arrondissement. Pour protester « de manière virulente » contre le maintien en détention de ses gardes du corps. Aussitôt après, il embarque à bord d’un avion spécial à destination de Tripoli. Sur ordre du « Guide ». Celui-ci est pourtant rodé aux conduites fantasques de sa progéniture. Hannibal notamment, le plus imprévisible de ses sept fils, n’en est pas à son premier esclandre.
En 2001, sortant d’une discothèque romaine en compagnie d’un groupe d’amis manifestement ivres, il a copieusement aspergé des policiers à l’aide d’un extincteur ! L’année suivante, il a provoqué une bagarre dans une boîte de nuit d’Hammamet, en Tunisie, après avoir dragué la petite amie d’un homme d’affaires local. Moussa Koussa, le chef des services secrets libyens, a été contraint de se rendre d’urgence à Tunis pour calmer des esprits passablement échauffés.
Aïcha, la « Claudia Schiffer libyenne », n’est pas en reste. En janvier 2003, à l’aéroport de Nice, elle s’est par exemple indignée que la police des frontières ait l’audace de songer à la fouiller. Elle aurait refusé d’embarquer à bord d’un avion Air France en partance pour Paris et exigé qu’on lui affrète un jet privé. Elle n’a finalement pas été fouillée.
Mais les enfants Kadhafi ne sont pas les seuls à abuser de leur immunité diplomatique. En octobre 2002, par exemple, un diplomate de l’ambassade de Mongolie en France a provoqué un terrible accident en roulant à contresens sur l’autoroute Paris-Bruxelles, tous feux éteints et en état d’ébriété avancé. Une jeune femme de 20 ans en est morte, mais le chauffard n’a jamais été sanctionné.
Le cas de Ramazani Baya est un contre-exemple. En 1996, alors qu’il était ambassadeur du Zaïre en France (il a récemment été nommé ministre des Affaires étrangères de la RD Congo), le diplomate avait mortellement blessé deux adolescents dans le centre-ville de Menton, dans le sud de la France. Bénéficiant de son immunité, il avait été rappelé au Zaïre, mais, avec beaucoup de courage et de dignité, il avait alors démissionné avant de se présenter spontanément à la justice française. En mars 1997, il a été condamné à deux ans de prison avec sursis.
Certains pays acceptent de poursuivre en justice leurs diplomates reconnus coupables d’un délit, tout en refusant la levée de leur immunité. C’est notamment le cas de la Russie. En 2002, le diplomate Andreï Knyazev, alors en poste à Ottawa, avait provoqué un accident de la route au cours duquel une Canadienne avait été tuée. Il a été inculpé d’homicide involontaire conformément au code criminel russe.
Hannibal Kadhafi, pour sa part, risque tout au plus une sévère réprimande paternelle, les autorités françaises n’ayant, pour l’instant, pas jugé bon de réagir. Seul le syndicat de la police nationale s’est insurgé : « L’immunité, estime-t-il, n’autorise pas à se placer hors la loi. Lorsqu’on se prétend diplomate ou « fils de », on se doit d’être irréprochable, car on représente un pays et sa communauté ». À bon entendeur…

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