Cinq millions d’imbéciles

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 2 minutes.

Une expérience passionnante se déroule en ce moment au Turkménistan. Il s’agit de transformer en l’espace d’une génération la population de ce petit pays, soit environ cinq millions de personnes, en autant d’imbéciles. La tâche n’est pas simple, mais le gouvernement de cette république ex-soviétique s’est mis à l’ouvrage avec une telle détermination qu’on peut envisager l’avenir avec optimisme : dans quelques années, Turkmène rimera avec benêt et Turkménistan avec désert intellectuel (avouez que vous n’avez pas ça dans votre dictionnaire de rimes).

Pour atteindre leur objectif, les autorités locales oeuvrent avec la constance du mulet et l’obstination de l’âne. Faut c’qui faut, comme dirait l’autre. Le solide système scolaire hérité de l’époque soviétique a été détruit dès 1991 : l’alphabet cyrillique a été remplacé par l’alphabet latin, et le russe banni en faveur du turkmène… mais on n’a pas, bien sûr, imprimé de livres dans cette noble langue. De toute façon, la plupart des matières ne sont plus enseignées. Franchement, a-t-on besoin de sociologues, de linguistes ou d’historiens ? Quant aux diplômes obtenus à l’étranger, ils ne sont plus reconnus. Plusieurs intellos, qui avaient réussi à décrocher une peau d’âne à Cambridge ou à Harvard, ont déjà reçu leur lettre de licenciement. Ils pourront toujours conduire un taxi en philosophant ou livrer des pizzas en citant Montesquieu. Le nombre d’étudiants a été divisé par cinq, et le cursus universitaire réduit de quatre à deux ans. C’est largement suffisant pour assimiler ce qui tend à devenir la matière unique de l’enseignement turkmène : la pensée du génie local, un certain Saparmurat Niyazov, qui se trouve être, comme c’est beau les coïncidences, président du Turkménistan. Sa pensée, qui hésite entre l’élucubration, le délire et la faribole, est tout entière contenue dans un manuel intitulé Rouhnama, soit « Le Livre de l’âme ». Des voyageurs au pays de Saparmurat ont constaté récemment la quasi-disparition de la culture générale – et même des connaissances de base – parmi la population et spécialement parmi les jeunes Turkmènes. En revanche, tout le monde connaît le Rouhnama par coeur, ce qui leur fait sans doute une belle jambe, mais on ne peut pas vérifier car ces zigotos se sont remis à porter le saroual bouffant et l’hermétique burqa.
Abêtissez-vous, disait Pascal. Nous ne faisons que ça, répondent les épigones de Niyazov. Et d’abord, c’est qui, Pascal ?

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