Bonnes à ne pas tout faire

Poupées d’argile, de Nouri Bouzid (sorti à Paris le 29 septembre)

Publié le 5 octobre 2004 Lecture : 2 minutes.

Dur d’être une fille dans un village reculé de la Tunisie profonde où les familles n’échappent pas à la misère. Ce sont les parents eux-mêmes qui, pour survivre, sont condamnés à rivaliser d’ardeur pour céder leur progéniture féminine comme une marchandise. Ou plus exactement comme une simple force de travail qui sera exploitée par la bourgeoisie de Tunis en quête de bonnes à tout faire aussi dociles que peu payées.
Le film tourne autour de trois superbes personnages. Omrane, mal dans sa peau et alcoolique, autrefois domestique lui-même, est devenu marchand de chair humaine et ne s’en trouve pas bien. Il retourne régulièrement dans son ancien village de potiers avec son tricycle motorisé poussif pour distribuer de maigres sommes aux mères des petites bonnes. Et il repart à chaque fois avec une nouvelle recrue, qu’il est supposé protéger de tous les dangers, à commencer par la perte de la virginité, et qu’il se chargera de placer dans une famille de la capitale.
Cette fois, ce n’est même pas une jeune fille mais une enfant, Fedhah, qui l’accompagne. À peine âgée de 8 ans, elle était volontaire pour partir vers un destin qu’elle n’imaginait pas autrement que comme un nouveau jeu. Elle déchantera vite, s’enfuyant de chez une patronne épouvantable. C’est elle qui pétrit de l’argile – celle du titre du film – dès qu’elle le peut pour façonner inlassablement des poupées de terre qu’elle détruit aussitôt terminées pour en refaire d’autres.
Sa rébellion la rapprochera d’une proie précédente d’Omrane, la belle Rebeh, qui, elle aussi, et de façon beaucoup plus radicale, a rompu sa laisse et pris – ou cru prendre – sa liberté. Déjà femme, elle s’est retrouvée vite enceinte du maçon pour lequel elle avait quitté son emploi et qui l’a abandonnée. Elle a beau chanter sans arrêt « la fille de l’air et du vent », elle a bien du mal à échapper à la pesanteur d’une existence pénible et à réussir, comme les poupées de Fedhah, à toujours renaître après avoir frôlé l’anéantissement.
Nouri Bouzid poursuit donc, avec ce cinquième long-métrage, son oeuvre de critique de la face cachée de la société tunisienne, dont il dénonce le modèle patriarcal et les dessous archaïques sous l’apparence du modernisme. Mais, comme toujours, l’auteur de L’Homme de cendres, des Sabots en or, de Bezness et de Tunisiennes ne nous propose pas, malgré son sujet, un film trop démonstratif. Son excellente direction d’acteurs, eux-mêmes remarquables – avec une mention particulière pour Hend Sabri, autrefois révélée par Les Silences du palais de Moufida Tlatli, qui incarne avec talent une Rebeh révoltée, volontaire mais aussi sensuelle et fragile -, et son sens de la mise en scène lui permettent d’éviter un tel piège. D’autant que les victimes du « système » auxquelles il s’attache appartiennent à la catégorie des anti-héros, ce qui évite toute dérive manichéenne. On peut regretter pourtant qu’entre les moments forts de Poupées d’argile, on se retrouve parfois devant des séquences sans grand relief ou au contraire aux effets trop recherchés qui empêchent le film de trouver un rythme et de conserver en permanence son pouvoir émotionnel.

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