Aux candidats à l’élection présidentielle américaine de 2004, le président George W. Bush et le sénateur John Kerry

Le texte qui suit a été élaboré par l’International Collegium, un organisme créé et animé par un groupe d’intellectuels et d’universitaires de renom, en association avec d’anciens ou d’actuels chefs d’État et de gouvernement. Son principal objectif est de

Publié le 5 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le 2 novembre, l’un de vous deux sera élu nouveau président des États-Unis. Parce que votre grand pays étend son influence bien au-delà de ses frontières, des milliards d’hommes et de femmes qui ne voteront pas ce jour-là seront profondément affectés par le choix de l’électorat américain.
Nous, membres de l’International Ethical Collegium, nous vous écrivons en tant que citoyens du monde qui sommes vos électeurs de fait, mais qui n’avons pas le droit de vote. Nous vous demandons de prendre en considération votre responsabilité non seulement à l’égard des États-Unis et de ses citoyens mais aussi à l’égard du monde dans cette nouvelle ère d’interdépendance, où la souveraineté délimite encore les élections, mais ne peut plus limiter leurs conséquences.
L’interdépendance est évidente dans notre monde, du réchauffement climatique aux marchés, à la criminalité et à la technologie. Toutefois, c’est le terrorisme qui a le mieux fait apparaître cette interdépendance fatidique qui caractérise notre XXIe siècle. Les abominables attentats du 11 septembre 2001, comme ceux qui ont suivi à Casablanca, à Bali, à Madrid et autres lieux, ont suscité les condamnations et la sympathie du monde entier, en même temps qu’ils démontraient qu’aucun pays n’est totalement à l’abri ni totalement souverain.
Nous croyons que les réalités de l’interdépendance exigent que la promesse de ses bienfaits soit tenue grâce à une architecture qui assure une pleine égalité dans la distribution des ressources économiques, sociales et humaines. Cette condition exige que les États-Unis reconnaissent quatre principes et besoins cruciaux, qui définissent les préoccupations centrales du Collegium :

– le besoin d’instaurer la démocratie à un niveau mondial, où elle puisse exercer un contrôle et proposer une souveraineté populaire sur les forces anarchiques mondiales qui ont échappé à la souveraineté des nations individuelles, et en même temps apporter la diversité et l’égalité parmi les diverses cultures et civilisations démocratiques ;

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– le besoin de définir les biens publics de notre monde commun, et de les protéger comme un héritage commun, y compris des biens cruciaux comme l’accès à la connaissance, à l’information et aux technologies de la communication, ainsi qu’à des ressources non renouvelables comme l’eau potable et les combustibles fossiles ;

– le besoin d’instaurer et de formuler des valeurs interdépendantes communes qui puissent faire office de rempart contre le relativisme et le cynisme, en même temps qu’inviter à un dialogue interculturel et intercivilisationnel et à une délibération démocratique ;

– le besoin de définir des droits économiques, sociaux et culturels intrinsèques et inséparables des droits politiques, qui s’étendent au-delà des cultures et des générations.

Nous croyons que ces besoins représentent les préoccupations fondamentales des citoyens du monde qui devront assumer les conséquences du leadership des États-Unis. En même temps, nous reconnaissons que, en tant que dirigeants de votre grand pays, vous êtes porteurs d’espoir, capables d’utiliser le pouvoir qui vous est donné par le peuple américain pour le bien de toute l’humanité. Nous savons aussi que, comme les États-Unis ne peuvent plus connaître la paix et la justice sans s’engager coopérativement et multilatéralement avec le monde et ses institutions internationales, le monde ne peut connaître la justice ni la paix sans cet engagement.
Dans cet esprit, bien que vous n’ayez d’obligations légales qu’à l’égard des citoyens de votre pays, nous voudrions vous demander de lire cette lettre et de donner aux citoyens du monde – vos autres électeurs invisibles – une réponse mûrement réfléchie. Vous pouvez être sûrs qu’elle sera accueillie avec gratitude parce que vous aurez su dépasser les responsabilités politiques pour assumer les responsabilités du leadership éthique et, ce faisant, aurez affirmé à la fois la réalité et la promesse de l’interdépendance.

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Pour les membres de l’International Collegium :
– Milan Kucan, ancien président de Slovénie, et Michel Rocard, ancien Premier ministre français, coprésidents de l’International Collegium
– Andreas Van Agt, ancien Premier ministre des Pays-Bas
– Henri Atlan, biophysicien et philosophe, France
– Lloyd Axworthy, président de l’université du Winnipeg, ancien ministre des Affaires étrangères du Canada
– Fernando Henrique Cardoso, ancien président du Brésil
– Manuel Castells, sociologue, Espagne
– Mireille Delmas-Marty, professeur de droit à la Sorbonne et au Collège de France
– Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération helvétique
– Gareth Evans, président de l’ICG, ancien ministre des Affaires étrangères d’Australie
– Malcolm Fraser, président d’InterAction Council, ancien Premier ministre australien
– Bronislaw Geremek, ancien ministre des Affaires étrangères de Pologne
– Bacharuddin Jusuf Habibie, ancien président de l’Indonésie
– H.R.H Hassan Bin Tallal, Jordanie
– Vaclav Havel, ancien président de la République tchèque
– Stéphane Hessel, ambassadeur de France
– Alpha Oumar Konaré, ancien président du Mali, président de la Commission de l’Union africaine
– Claudio Magris, écrivain, Italie
– Edgar Morin, philosophe, France

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