Au village d’artistes de Douala

Établie à la périphérie de la métropole camerounaise, une petite communauté de créateurs vit et travaille en symbiose avec les gens du cru.

Publié le 5 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Pas facile de trouver l’inspiration dans le brouhaha de la ville, quand les bruits des klaxons couvrent le chant des oiseaux jour et nuit, quand les rues appartiennent aux marchands ambulants ou aux hommes d’affaires pressés. Pourtant, Douala a ses artistes. On les croise à Doual’art ou à la galerie Mam. Mais certains ne font que passer. C’est ailleurs qu’ils créent.
Peu à peu, une poignée d’entre eux a quitté le centre pour s’installer à quelques encablures. Le chef de file de cette migration artistique vers le quartier de Bonendale, à l’extrémité de l’arrondissement de Bonabéri, de l’autre côté du fleuve Wouri, s’appelle Joël Npah Dooh. Il y a huit ans, alors qu’il faisait ses études à l’étranger, le plasticien, qui jouit aujourd’hui d’une renommée internationale, charge son père de lui dénicher un coin tranquille mais pas trop éloigné de Douala…
Le choix est vite fait. Bonendale est un véritable havre de paix. C’est donc tout naturellement que d’autres artistes ont rejoint Joël Npah Dooh. Bonendale est devenu une sorte de point de ralliement de la profession. Certains y résident en permanence – ils sont six aujourd’hui, dont trois plasticiens, à avoir acquis chacun un terrain -, tandis que d’autres y viennent le temps de boucler un projet.
Les villageois, des pêcheurs pour la plupart, n’ont pas vu d’un mauvais oeil ces nouveaux arrivants. Loin de les exclure, les artistes les impliquent au contraire dans leur travail. Une Française, Barbara Bouley, les a fait jouer dans une pièce qu’elle a scénarisée à Bonendale pendant six mois, en 1998. Une Indienne, qui vit à Amsterdam, a également initié une poignée de jeunes à la vidéo. Goddy Leye, un vidéaste-plasticien de Douala, poursuit cet enseignement depuis octobre 2003, date à laquelle il a emménagé dans une jolie demeure des années 1950. « J’ai eu la chance d’arriver avec le label artiste. On m’a tout de suite adopté », confie-t-il.
Installé sur la grande terrasse ombragée par un manguier centenaire, Goddy Leye raconte son parcours : ses études en littérature et en langues à Yaoundé, sa formation de plasticien dans un atelier privé, son année à Amsterdam, en tant qu’artiste résident, sa passion pour les images et la télévision, le premier ordinateur qu’il a acheté en 1999. Et les expositions qu’il enchaîne depuis lors, que ce soit au Cameroun ou à l’étranger…
« Ici, c’est mon atelier, que je prête à d’autres jeunes artistes qui n’ont pas les moyens d’avoir un lieu de travail », explique-t-il en faisant fièrement le tour du propriétaire. La chambre est vaste et sommairement meublée : un lit, un bureau où trônent une télévision et un magnétoscope. « Le but, c’est de susciter une émulation. S’il y a des artistes intéressants autour de moi, alors j’aurai la possibilité de devenir un jour intéressant moi aussi », ajoute-t-il dans un grand sourire, avant d’allumer le téléviseur. Au regard de trois de ses oeuvres vidéo, on mesure la modestie de Goddy Leye. À 39 ans, l’homme a mûri sa réflexion. Il aborde des questions aussi fondamentales que celles de la mémoire, de l’apparence et des faux-semblants autour d’un jeu de miroirs époustouflant, ou encore de l’identité en filmant le village de son enfance comme une « carte postale ».
Notre discussion est de temps à autre interrompue par un visiteur. « C’est un jeune d’ici qui vient me poser une question sur mon travail. Il aimerait que je lui montre la technique du montage, confie l’artiste. Mon rêve, ce serait de surprendre un jour l’un de ces gamins en train de bidouiller mon ordinateur et de me parler de la technologie numérique. » Finalement, ces intrus de Bonendale trouvent ici l’énergie créatrice tout en ouvrant un nouvel horizon aux gens de la localité. « Désormais, ils voient leur « patelin » d’une manière différente. Grâce à l’oeil de la caméra, ils ont découvert combien leur village était beau, eux qui ne rêvaient que de partir à Douala ou vers l’Europe », se réjouit Goddy Leye. Telle est sans doute la plus grande oeuvre de la communauté artistique de Bonendale…

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