Après Le Pen, qui ?

Âgé de 76 ans, le chef du Front national ne veut toujours pas entendre parler de succession. Les barons du parti, eux, ne pensent qu’à ça.

Publié le 4 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Y penser toujours, n’en parler jamais. Le principe, souvent évoqué à propos de multiples questions, touche, cette fois, au plus grave : la disparition physique. Celle d’un homme, Jean-Marie Le Pen, leader de la formation française d’extrême droite, le Front national. Car si cet homme est relativement âgé, 76 ans, chacun pense, dans son mouvement, que rien ne peut réellement se produire tant qu’il sera aux commandes. Lui vivant, personne n’osera l’affronter : il incarne trop le parti et paraît imbattable en termes de notoriété et de popularité dans l’opinion publique. De fait, c’est lui qui, en quelque quarante ans, a fait passer l’extrême droite de moins de 1 % de l’électorat à plus de 16 %, créant, depuis vingt ans et à chaque consultation, la surprise. C’est lui qui est parvenu à être présent au second tour de la dernière élection présidentielle, coiffant Lionel Jospin au poteau lors du premier et affrontant Jacques Chirac pour le duel final. C’est lui, encore, qui a su séduire des électorats, comme les jeunes et les ouvriers, considérés a priori comme éloignés de ses idées. C’est lui, enfin, qui a insufflé nombre de thèmes, tels l’immigration, l’insécurité ou le rejet de l’Europe, dans le débat politique.
Sans doute ce triste bilan pour la démocratie française mais glorieux pour sa personne doit-il être corrigé. Les dernières élections – régionales et européennes – ont montré un recul du Front national, qui est allé jusqu’à perdre près de la moitié de ses 275 conseillers régionaux. Personne pourtant ne peut jurer que ce repli soit définitif. Par le passé, Le Pen a souvent fait mentir les enquêtes, les sondages, les pronostics annonçant tous sa chute. Chaque fois, il a maintenu, voire augmenté, le score de son mouvement au point de l’installer durablement dans le paysage politique.
Lui-même ne veut pas dételer. A-t-il été opéré d’un cancer de la prostate comme on le dit qu’il répond dans le journal Le Parisien : « C’est la maladie la plus commune du siècle ! Tout le monde l’a eue, l’a ou l’aura. Je ne suis pas malade. » Il s’irrite volontiers des allusions à son âge, n’appréciant pas que, dans ses troupes, certains évoquent son vieillissement. Il sera candidat à la prochaine élection présidentielle et il ne laissera personne d’autre que lui se présenter. « Même pas ma fille », confie-t-il en privé. C’est dire que sa succession n’est pas ouverte même si la guerre de succession est déjà commencée. Dès maintenant, les principaux postulants se positionnent et rivalisent. Au point que le Front national ressemble désormais à un parti traditionnel avec ses tendances, ses batailles, ses affrontements et ses déchirures. Un paradoxe pour un mouvement qui a toujours voulu rompre avec les pratiques partisanes classiques et a longtemps fonctionné selon les méthodes de l’extrême droite – une seule idéologie, un seul chef, un seul parti.
Aujourd’hui, on parle haut dans ses rangs. Et le Pen doit taper du poing sur la table. Il le fait avec mesure après avoir tonné. C’est qu’il risque de ne plus être compris par les militants et qu’il ne peut se permettre une nouvelle scission comme celle qui s’était produite il y a quelques années. Ainsi deux cadres historiques du FN, Jacques Bompard et Marie-France Stirbois, ont contesté, cet été, son autorité. De Le Pen, Bompard a même dit qu’il était devenu « un vieux monsieur qui pense à sa retraite ». Tous deux viennent certes d’être sanctionnés, mais modérément. Car le premier, maire d’une ville du sud de la France, Orange, est, sur le plan électoral, solidement implanté, et la seconde jouit d’une popularité importante dans le parti. Il était donc difficile de les exclure définitivement du bureau politique sans risquer une crise profonde, les autres membres de l’instance dirigeante ayant fait savoir leur hostilité à une mesure radicale. Voilà en tout cas qui illustre le grave malaise qui règne au Front national. Et ce même si Le Pen, tout en reconnaissant « un climat assez déplorable », le minimise et préfère parler « d’aigreurs banales de quelques personnes ».
Trois personnages sont les principaux protagonistes de cette commedia dell’arte de la succession. Le premier est une femme, Marine Le Pen, 38 ans, avocate de formation et vice-présidente du mouvement. Combative, son rêve est moins de tenir le parti que d’en être un jour le candidat à l’élection présidentielle. Elle se veut « moderniste », entend adoucir l’image du Front, souhaite élargir les bases habituelles de l’extrême droite, comme les catholiques les plus traditionnels, « les tradis », pour s’ouvrir aux jeunes et à des catégories sociales représentatives de la société française. Elle en a même convaincu son père qui reprend parfois cette thématique et fait tout pour que sa fille « aux qualités incontestables d’un leader politique » reprenne le flambeau. Marine, elle, tente de placer ses partisans à tous les niveaux du FN et surveille, en permanence, son principal rival, Bruno Gollnisch, numéro deux du parti, dont les partisans sont majoritaires au bureau politique. Lui, dit « le Japonais » – c’est un fin connaisseur du Japon et son épouse est d’origine nippone -, compagnon du mouvement dès les premières heures, intellectuel, professeur d’université, habile négociateur et redoutable débatteur, joue les modérateurs. Son ambition est de remplacer un jour Le Pen tant comme chef du parti que comme candidat à la présidentielle. Son obsession est de ne pas connaître le sort de Bruno Mégret, un moment dauphin du chef, qui finit, à force de divergences, par faire scission sans parvenir pour autant à imposer le mouvement qu’il a créé. Aussi Gollnisch entend-il avant tout ne pas tomber dans la provocation. Et, s’il ne supporte guère Marine, il ne manifeste pas ouvertement son hostilité. Il choisit d’arrondir les angles et de cultiver sa popularité, réelle, chez les militants. Cette rivalité s’opère sous les yeux de Carl Lang, autre figure importante du Front national et apparatchik accompli. Ayant bien réussi son implantation dans le nord de la France, son fief, le numéro trois du FN contrôle l’appareil du mouvement. C’est un faiseur de roi qui trouve, à la fois, que Marine Le Pen est fragile pour être candidate à la présidentielle et que Bruno Gollnisch n’incarne pas toujours le renouveau nécessaire. Et ce, même s’il fait alliance avec celui-ci pour barrer la route à la fille Le Pen.
Bref, dans ce chaudron qu’est devenu le fasciste Front national, les rivalités jouent à plein. Les règlements de comptes et les manoeuvres les plus politiciennes y sont monnaie courante. Mais d’autres questions se posent. Autant sur le plan de la doctrine – le discours du Front paraît souvent usé et dépassé – que sur celui du financement – l’argent manque. Autant sur l’avenir des personnes que sur celui du parti proprement dit. Bien qu’à ce propos il ne faille pas se faire d’illusions : la menace de l’extrême droite est toujours présente.

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