L’été meurtrier

Près de deux mois après l’adoption de la déclaration de Rabat, des milliers de Subsahariens illégaux continuent de débarquer sur les côtes européennes. Ou de périr en mer.

Publié le 4 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

L’immigration clandestine a connu un pic estival tragique. Dans la nuit du 26 août, les forces de l’ordre mauritaniennes découvrent, sur une plage de Nouakchott, les corps sans vie de 14 Subsahariens. Ils espéraient probablement atteindre les Canaries en pirogue, comme les 179 Sénégalais secourus au même moment par la marine. Ces derniers – répartis sur deux embarcations – avaient quitté Ziguinchor une dizaine de jours auparavant et mis le cap sur l’archipel espagnol. Et la liste des naufrages est encore longue. Au cours du seul mois d’août, 5 000 immigrants clandestins en provenance du continent ont débarqué aux Canaries. C’est autant que le nombre d’arrivées enregistrées en 2005.
Après les événements fortement médiatisés de septembre et octobre derniers à Ceuta et Melilla, quand les forces de l’ordre avaient tiré sur des clandestins qui cherchaient à pénétrer coûte que coûte dans ces enclaves espagnoles en territoire marocain, Africains et Européens avaient promis d’agir de concert pour mettre un terme à ce drame humain. D’où la déclaration de Rabat, adoptée le 11 juillet par 57 États, de la Suède au Liberia en passant par la France et le Niger, et censée déclencher un « plan d’action » qui s’attaque sur le long terme aux racines du problème – les écarts de développement Nord-Sud – et dans l’immédiat à ses conséquences – l’immigration illégale. Pourtant, des flots de clandestins continuent de se déverser sur les côtes des Canaries, mais aussi de l’Italie et de Malte. Et la solution à court terme pour éviter les naufrages meurtriers et les reconductions aux frontières se fait toujours attendre.
À problème européen, solution européenne. C’est, en clair, le raisonnement que l’Espagne, l’Italie et Malte, concernées au premier chef, cherchent à faire tenir aux autres États membres. En mai, Madrid frappe à la porte de l’Union pour demander la mise en uvre d’un dispositif commun. Les promesses ne tardent pas : huit États s’engagent à apporter leur soutien à l’Espagne. Aujourd’hui, seuls l’Italie, le Portugal et la Finlande ont tenu parole, en mettant à disposition de Frontex, l’agence européenne qui coordonne les opérations, deux bateaux et deux avions pour surveiller les côtes africaines et canariennes. Mais les navires n’ont commencé leur travail que le 11 août, et les moyens sont insuffisants. Frontex explique la longueur du délai par la complexité du problème, qui exige l’envoi d’experts et l’analyse des risques avant tout passage à l’acte. La vice-présidente du gouvernement espagnol, María de La Vega, met la lenteur européenne sur le compte du « manque d’expérience commune en matière de contrôle d’une frontière maritime extérieure ». Le commissaire européen à la Sécurité, Franco Frattini, se montre également indulgent : « le travail en commun est difficile », a-t-il déclaré, le 30 août, à Bruxelles. Reste que chaque État membre agit selon son équation politique intérieure : des élections régionales ont lieu aux Canaries en 2007.
Inexpérience ou pas, la déception et l’inquiétude sont grandes de voir se poursuivre un phénomène que la conférence de Rabat, les 10 et 11 juillet, s’était juré de résoudre grâce à un « partenariat étroit » entre Européens et Africains, les premiers devant, par exemple, fournir aux seconds un appui logistique et financier pour surveiller les frontières. Au Quai d’Orsay, on reconnaît que le plan d’action adopté à Rabat n’est toujours pas entré en vigueur. Une exception toutefois : « l’intensification du dialogue bilatéral sur les questions migratoires entre les différents pays d’origine et de transit », prévue par le texte final. Le 24 août, Madrid et Dakar signaient un accord prévoyant des « mesures sécuritaires » communes. Le 31 août, le ministre de l’Intérieur sénégalais, Ousmane Ngom, rencontrait son homologue français, Nicolas Sarkozy (voir encadré). Par ailleurs, l’Union européenne a accordé, le 23 août, une enveloppe de 67 millions d’euros au Maroc pour lutter contre l’immigration clandestine en transit sur son sol. Mais le volet sécuritaire n’est qu’une partie du problème : tant que le fossé Nord-Sud n’est pas comblé, dresser un mur ne suffira pas.

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