Les ennuis de John Fru Ndi

La querelle de leadership au sein du principal parti d’opposition fait rage. Malgré ses déboires judiciaires, son fondateur ne s’avoue pas vaincu.

Publié le 4 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Le 24 août, Bamenda, capitale provinciale du Nord-Ouest et fief du Social Democratic Front (SDF, principal parti d’opposition). Un camion en travers de la chaussée interrompt la circulation. Le cordon de gendarmes ferme le passage à un cortège de véhicules et à une procession d’une centaine de personnes. Les manifestants, qui encadrent un cercueil, refusent d’emprunter l’itinéraire que leur indique l’un des officiers et forcent le passage. L’atmosphère est tendue. Bamenda « la frondeuse » entend bien rendre un dernier hommage à John Nguh, un militant du SDF, décédé le 15 août d’une méningite contractée à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé. Avec 22 autres partisans du leader John Fru Ndi, il avait été incarcéré pour le meurtre de Grégoire Diboulé, un cadre du parti, le 26 mai dernier. L’affaire, qui avait ébranlé la principale formation d’opposition du Cameroun, vient de rattraper Fru Ndi : le procureur de Yaoundé l’a mis en examen, le 22 août, pour « complicité d’assassinat, blessures simples et légères ».
Ce n’est pas un hasard si Fru Ndi, deux jours après son inculpation, décide ainsi de ramener la dépouille d’un de ses partisans au Liberty Square de Bamenda, là où neuf manifestants furent tués il y a quinze ans lors d’une marche en faveur du multipartisme. Cette démonstration se veut un message clair à l’adresse de Yaoundé : le SDF ne laissera pas emprisonner son fondateur. Même si Fru Ndi s’est rendu de bonne grâce au cabinet du procureur à Yaoundé et qu’il a ?lui-même déclaré, par la suite, qu’il n’était pas « au-dessus de la loi. »
L’inculpation du président du SDF n’est d’ailleurs que l’une des conséquences de la querelle de leadership qui fait rage à la tête du parti depuis plusieurs mois. Le 26 mai, une faction dissidente menée par l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun, Bernard Muna, tenait son congrès au siège du SDF à Yaoundé. Selon les conclusions de l’enquête de la gendarmerie, une « milice » venue de Bamenda a pris d’assaut les militants réunis et la rixe qui s’est ensuivie s’est finie dans le sang, avec la mort d’un cadre local du parti, Grégoire Diboulé.
Alors que Fru Ndi se fait réélire au même moment à la direction du SDF à Bamenda, les dissidents portent Muna à la tête de leur faction. Soutenu par le député Clément Ngwasiri et de nombreux cadres exclus du parti par Fru Ndi, Muna se réclame désormais du SDF « légal ».
S’engage alors une partie de bras de fer politico-judiciaire pour le contrôle du parti. Sur le terrain, chaque camp courtise la base et compte ses partisans. Mais devant la justice, Fru Ndi est déjà mené aux points par l’ancien procureur adjoint du TPIR d’Arusha. Premier coup dur : à la demande de la faction Muna, un tribunal de Yaoundé annule tous les actes passés par l’exécutif du SDF depuis avril 2003.
Fru Ndi ne s’avoue pas vaincu pour autant et contre-attaque. En juin, il demande à la justice d’interdire à la faction Muna l’usage des sigles et emblèmes du parti. Deuxième revers le 31 juillet : il est débouté. Au ministère de l’Administration territoriale, tutelle des partis politiques, il demande la reconnaissance formelle de la légalité de son camp. Mais les autorités jouent la prudence et préfèrent attendre les décisions de la justice. En priant pour que le conflit de leadership soit tranché avant les élections législatives et municipales prévues en 2007. Le Chairman crie alors au complot politique. Il accuse le gouvernement d’être partial, d’avoir laissé organiser un congrès illégal et d’ignorer les décisions du National Executive Council (NEC), l’organe exécutif de sa faction. Pour l’instant, il n’a obtenu aucune réaction de la part du gouvernement. Et se retrouve personnellement impliqué dans une chronique judiciaire.
À l’origine de l’implication du Chairman dans le meurtre de Diboulé, un colonel de l’armée camerounaise à la retraite, James Chi Ngafor, 66 ans. Proche de John Fru Ndi, il avait été accusé d’avoir organisé l’assaut. Interpellé et mis en détention préventive, il aurait déclaré avoir agi suivant « des instructions de la hiérarchie du parti ». Ce que le président du SDF dément catégoriquement : « J’étais à Bamenda en train de préparer le congrès de mon parti et même s’il est établi que les assassins de Grégoire Diboulé venaient de Bamenda, je suis entièrement étranger à ce crime que j’ai par ailleurs dénoncé. » Mais le procureur ne semble pas en avoir été entièrement convaincu. Laissé libre, l’opposant est quand même prié de rester à la disposition de la justice.

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