Tunisie : l’insubmersible Ahmed Néjib Chebbi

Fondateur historique du Parti démocrate progressiste (PDP), Ahmed Néjib Chebbi continue, à 77 ans, de défendre les libertés et fait figure de valeur sûre de la classe politique tunisienne dans un contexte confus.

Ahmed Néjib Chebbi, chef du bureau politique du parti Al-Amal. © MOHAMED HAMMI/SIPA

Publié le 29 janvier 2022 Lecture : 4 minutes.

Ils se sont affrontés sur la rédaction de la Constitution, mais Ahmed Néjib Chebbi a condamné, dès le 31 décembre, l’arrestation déguisée en mise en résidence surveillée de Noureddine Bhiri, dirigeant d’Ennahdha et président de son groupe parlementaire. Il décèle dans cette situation mais aussi dans les attaques systématiques lancées par le président Kaïs Saïed contre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) un danger et une atteinte à la démocratie.

Il en choquera plus d’un en accompagnant le cercueil d’un militant d’Ennahdha victime de violences policières lors des manifestations du 14 janvier et en prononçant un poignant discours d’adieu. Dans le silence assourdissant de la scène politique, Néjib Chebbi reprend, à 77 ans, son bâton de militant pour défendre les principes démocratiques qui ont toujours été dans son ADN politique. Au point de se présenter en recours ?

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Convaincu que « dialoguer ne signifie pas se rallier ou cautionner » il a été l’une des chevilles ouvrières d’un rapprochement avec les islamistes dans les années 2000, avec la certitude qu’il fallait les conduire vers la démocratie. Par l’accord de 2006, les islamistes s’étaient engagés auprès du collectif du 18-Octobre animé par la gauche laïque à respecter la liberté de la femme, la liberté de conscience, la séparation État-religion et à revoir la question des châtiments corporels coraniques.

Aujourd’hui, Néjib Chebbi est l’une des figures politiques clé qui se range aux côtés d’Ennahdha pour dénoncer les dérives du président Kaïs Saïed depuis son coup de force du 25 juillet 2021. Certains estiment ainsi qu’il sent le soufre à force d’être trop conciliant avec les islamistes, très critiqués pour leur gouvernance sur la dernière décennie.

Il a été condamné à un total de 32 ans de prison pour son militantisme au sein du syndicat de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET)

Mais pour ce descendant d’une famille de lettrés originaires de l’oasis de Tozeur, la démocratie est une et indivisible, et l’État de droit ne se marchande pas.

La rencontre avec Mestiri

Son ancêtre n’est autre qu’Ahmed Ibn Makhlouf Chebbi, fondateur de la Chabbiya, une confrérie soufie importante de la région. Il a été dès son enfance témoin de combats politiques puisque sa famille, proche du courant de Salah Ben Youssef, rival de Bourguiba, s’était aussi illustrée par son soutien au mouvement national. Dans l’effervescence idéologique des années 1960, l’aîné d’une fratrie de quatre enfants entame une carrière d’avocat au barreau de Tunis dans le sillage de son père, qui fut un bâtonnier très respecté.

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Condamné à un total de 32 ans de prison pour son militantisme au sein du syndicat de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) et son engagement auprès des nationalistes arabes, il rejoint les rangs du mouvement d’extrême gauche Perspectives, dont il s’éloignera au cours de son exil. Connu parmi les opposants pour ses nombreuses grèves de la faim, il fera toujours preuve de détermination dans ses choix, même face aux attaques nourries de ses détracteurs.

Sans renier sa fibre militante, il évolue vers une structuration de son engagement politique. Avec un tropisme social-démocrate, il fonde, en 1981, le Rassemblement socialiste progressiste (RSP), socle du futur Parti démocrate progressiste. Mais Ahmed Néjib Chebbi refuse de faire de la figuration et d’être dans une opposition consensuelle à Bourguiba, puis à Ben Ali.

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Il est vite considéré comme un adversaire du régime. La rencontre avec Ahmed Mestiri, père de la démocratie tunisienne et détracteur d’un Bourguiba devenu autocrate, sera décisive pour Ahmed Néjib Chebbi. Il fait sien à travers leurs échanges les principes et les valeurs qui sous-tendront sa future action politique. Le jeune politicien rigide devient plus flexible et chantre d’une opposition soutenue par une approche politique inclusive.

Le PDP, navire amiral des sociaux-démocrates

Un parcours cohérent qui confère à cet opposant, au lendemain de la Révolution, une sorte de légitimité pour fédérer autour d’un projet pour la Tunisie. Malgré une popularité incontestable et l’entregent de son binôme politique, la regrettée Maya Jeribi, le PDP, pourtant donné favori, est largement distancé aux élections de la Constituante en 2011. Il n’empêche que jusqu’au revers cuisant de la présidentielle et des législatives de 2014, le navire amiral des sociaux-démocrates a été une école de formation d’un nouveau personnel politique.

Mais sous l’effet des échecs électoraux, les figures de proue du PDP, dont Ahmed Néjib Chebbi, son frère Issam et Maya Jeribi, n’ont pu mâter la rébellion d’un contingent de jeunes impatients tentés par d’autres horizons. Le PDP fusionnera avec d’autres partis et deviendra Al-Joumhouri.

Ceux qui croyaient que Néjib Chebbi s’était éloigné de la politique se trompaient. Il reprend du service pour appeler au rassemblement afin de préserver la représentativité partisane dans l’hémicycle et rejoint en 2019 le mouvement Qadiroun, qui vise des sièges à l’Assemblée avec des figures politiques et de la société civile pour consolider la démocratie participative. Il retrouve un ancrage politique avec la création du Mouvement démocrate, qui fusionnera en 2020 avec le parti Al-Amal, dont il dirige le bureau politique.

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