À la recherche de la langue mère

Avec l’Homo sapiens est né l’usage de la parole.

Publié le 5 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Si l’on ignore tout des mots qu’utilisaient nos lointains ancêtres, on a le plus grand mal également à dater l’émergence du langage. On a certes mis en évidence l’empreinte d’une zone cérébrale dévolue au langage, l’aire de Broca, sur la paroi crânienne d’Homo habilis qui vivaient il y a quelque 1,5 million d’années. Cela ne signifie pas qu’ils possédaient un langage complexe, ont rétorqué les biologistes. La présence d’un appareil phonatoire identifiable par la position du larynx et la forme de la cavité buccale ne semble pas non plus une preuve suffisante. Certes, les premiers Homo communiquaient entre eux, mais, comme les singes, à l’aide de signaux. La clé est vraisemblablement dans les capacités cognitives. C’est donc pourquoi il faut attendre l’apparition des Homo sapiens, il y a quelque 200 000 ans, pour situer la naissance du langage.
Jean-Marie Hombert, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique et qui a piloté l’ouvrage Aux origines des langues et du langage récemment publié chez Fayard, fait un parallèle avec les singes vervets. Au lieu d’avoir, comme chez les autres primates, un seul signal pour avertir d’un danger, ils ont élaboré différents signaux pour différents dangers : pour signaler la présence d’un aigle, celle d’un serpent, etc. Il suffit d’imaginer que ce lexique augmente progressivement, et c’est ce qui a dû se passer pour les Sapiens. « Nos ancêtres ont eu la faculté de décomposer un signal acoustique : des consonnes et des voyelles, explique Jean-Marie Hombert au Nouvel Observateur. Ils ont combiné ces petits morceaux de sons et ont fabriqué des mots. Deuxièmement, ils ont pu se rendre compte que l’ordre des signaux acoustiques jouait un rôle. Si l’on a un signe acoustique pour ours, un autre pour lion et un dernier pour manger, l’ordre dans lequel ils se succèdent détermine le sens du message. »
Si les Sapiens ont pu développer un système de production de paroles, ce n’est pas pour des raisons anatomiques. Les chimpanzés peuvent émettre des sons assez voisins des nôtres. La différence est dans le cerveau qui, chez l’homme, a triplé de volume depuis l’apparition des premiers Homo, il y a 3 millions d’années.
Les généticiens y sont allés de leur contribution. Selon une équipe de chercheurs britanniques d’Oxford, un gène baptisé FOXP2 et lié à la parole pourrait fournir un début d’explication. Il se serait fixé dans la population humaine voilà moins de 200 000 ans, ce qui correspond effectivement à l’émergence de l’homme moderne. Hypothèse prise très au sérieux par certains anthropologues, d’autant que la mutation de FOXP2 il y a 50 000 ans aurait pu être le déclencheur d’autres caractéristiques comme la créativité artistique.
Si, comme le soutient une partie des paléontologues, nous sommes tous issus d’un petit groupe de Sapiens ayant essaimé à travers le monde il y a environ 100 000 ans, il existe probablement une langue mère. Tout ce que l’on sait, c’est que les 6 000 langues actuelles proviennent d’environ trois cents langues mères à l’horizon de 2 000 ans. Ces trois cents langues remonteraient elles-mêmes à une cinquantaine de groupes il y a 5 000 ans. De 10 000 à 15 000 ans plus en arrière, ce nombre se ramène probablement à quinze. Après, c’est l’inconnu.
En attendant de pouvoir remonter jusqu’à une hypothétique langue unique, un grand linguiste américain, Joseph Greenberg, mort en 2001, a consacré son existence à classer les langues actuelles en superfamilles. Son travail sur les langues africaines qu’il a réparties en quatre grands groupes – niger-congo, nilo-saharien, khoisan, afro-asiatique – fait aujourd’hui autorité. De même a-t-il réuni dans un ensemble eurasiatique la plupart des langues utilisées de la péninsule Ibérique au Japon. Merrit Ruhlen, un autre linguiste, va dans le même sens en proposant de regrouper les quelque 6 000 langues parlées à travers le monde en 12 macrofamilles.

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