La loi du plus fort

Découvert en 1856 en Allemagne, l’homme de Neandertal, premier occupant de l’Europe, s’est éteint sans descendance.

Publié le 4 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Allez donc savoir pourquoi, cet Européen avant la lettre a toujours eu mauvaise presse. Avec sa mâchoire proéminente, son chignon crânien et le bourrelet osseux surplombant ses yeux, il a longtemps été présenté comme une brute épaisse. L’homme de Neandertal, ainsi nommé parce que le premier spécimen de cette sous-espèce d’Homo sapiens fut découvert en 1856 dans une grotte du val Neander, près de Düsseldorf, en Allemagne, avait, il est vrai, de quoi impressionner. Beaucoup plus massif que nous, il pouvait peser 95 kg pour 1,65 m de hauteur. Ses os étaient plus courts et plus épais que les nôtres, son tronc plus large et plus long par rapport aux jambes. Cette morphologie s’accordait parfaitement aux climats rigoureux sous lesquels il vécut la plupart du temps.
Descendant d’Homo erectus sortis d’Afrique il y a plus de 1,5 million d’années, les Néandertaliens étaient en effet le produit d’un processus évolutif local favorisé par l’isolement de l’Europe à l’époque des glaciations. Ils occupèrent pendant 250 000 ans un vaste espace allant de la péninsule Ibérique au Caucase. Habiles fabricants d’outils, ils furent les premiers êtres humains à enterrer leurs morts. S’il devait y avoir une échelle dans l’évolution de l’humanité, ils seraient au même niveau que celui des hommes de Cro-Magnon. Ils avaient d’ailleurs une capacité crânienne comparable (1 500 cm3) et se tenaient aussi droit qu’eux. Rien à voir avec des singes, comme une certaine imagerie a pu le faire accroire.
Pendant plusieurs milliers d’années, cette population cohabita avec la nôtre, débarquée d’Afrique il y a moins de 100 000 ans, avant de s’éteindre vers 30 000 avant Jésus-Christ. A-t-elle été absorbée par l’Homo sapiens ? Anéantie par lui ? En 1997, une première analyse génétique du fossile allemand de Neander avait suggéré que les deux groupes n’étaient pas liés. Une étude récente menée sur les restes d’un petit Néandertalien trouvés dans la grotte de Scladina, en Belgique, va dans le même sens. Les séquences obtenues pour l’ADN mitochondrial (forme transmise essentiellement par la mère) ne trouvent aucun équivalent parmi les hommes actuels, quelle que soit leur localisation géographique. Il n’y a pas de trace de métissage, disent les chercheurs. Ce que confirme Yves Coppens dans son dernier livre Histoire de l’homme et changements climatiques. À la question de savoir si l’indigène (Neandertal) et l’immigrant (Homo sapiens) ont eu des relations sexuelles, il répond « oui ». Mais, selon le « père de Lucy », « s’il y a eu contribution néandertalienne au pool génétique d’Homo sapiens, ce qui ne peut être exclu, cette contribution n’a pu être qu’extrêmement modeste ».
Si nos lointains cousins se sont éteints sans descendance, l’interrogation demeure : comment s’est passée cette disparition ? Pour les spécialistes du vivant, l’explication est simple. Lorsque deux espèces partagent la même niche écologique, l’une finit par éliminer l’autre. Et cette élimination n’a rien à voir avec un génocide. Si Homo sapiens et Neandertalensis s’étaient opposés physiquement, le second, plus « costaud », l’aurait emporté. Mais il était moins bien outillé sur le plan culturel et technique – il n’était pas très doué, semble-t-il, pour la pêche – et la compétition pour l’accès aux ressources a tourné en sa défaveur.
Hypothèse corroborée par certaines recherches sur l’alimentation des uns et des autres. Alors que Neandertal prisait le gros gibier, son concurrent se délectait de lapin et de poisson. Or ces derniers constituent un stock de nourriture assez régulier par comparaison avec les grands herbivores dont il faut suivre ou prévoir les migrations et dont la quantité varie considérablement d’une année à l’autre. On sait par ailleurs aujourd’hui que la chair du poisson, riche en acide gras, favorise le développement cérébral, ce qui a pu donner un avantage décisif à notre ancêtre.

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