La Corne et le Coran

Le phénomène islamiste réveille les rancurs tribales. Dans la sous-région, certains s’en inquiètent. D’autres tentent d’en tirer profit.

Publié le 4 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Depuis le 26 mai, date à laquelle les fondamentalistes de l’Union des tribunaux islamiques ont fait main basse sur Mogadiscio, la Corne de l’Afrique est entrée dans une zone de fortes turbulences. À leurs conquêtes militaires, les islamistes ont ajouté, en quelques semaines, des performances économiques qui accroissent leur popularité auprès des Somaliens : réouverture de l’aéroport et du port de Mogadiscio fermés depuis plus de dix ans, sécurisation des activités de pêche, recul de la criminalité dans les zones sous leur contrôle, etc. Les intégristes se sont si bien assurés du soutien de la société civile, d’hommes d’affaires et d’une partie de la diaspora que leur influence commence sérieusement à inquiéter. Dans les pays voisins et au-delà.
La Somalie est un pays sans État depuis la chute, en 1991, du dictateur Mohamed Siyad Barré. La brusque disparition du maître de Mogadiscio avait alors réveillé les rancurs tribales et les ambitions claniques. Une intervention américaine avait bien tenté de ramener le calme dans le pays, mais la mémorable opération Restore Hope, en 1993, s’était soldée par un fiasco. Depuis, de longues batailles à l’arme lourde entre seigneurs de guerre ont achevé de mettre le pays à genoux, sans que les Nations unies ne parviennent à y rétablir la paix.
En 2004 pourtant, après de multiples médiations infructueuses, le Parlement institué en 2000 choisit l’un des seigneurs de guerre, Abdallah Youssouf Ahmed, l’homme fort du Puntland, comme président. Ahmed Gédi dirige un gouvernement en exil au Kenya. Mais celui-ci ne parvient pas à enrayer la montée de l’islamisme radical qui atteint la Somalie.
Le 15 juin dernier, l’Union des tribunaux islamistes accepte quand même de signer, à Khartoum, un mémorandum de reconnaissance mutuelle avec le gouvernement d’Ahmed Gédi. Mais les négociations ne vont pas plus loin. Les deux parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les modalités du retour à la paix. Pour les intégristes, il n’est pas question d’accepter la présence en Somalie de militaires étrangers, fussent-ils arabes et musulmans, envoyés dans le cadre d’une mission de maintien de la paix. Le président Abdallah Youssouf campe, lui, sur ses positions : « Cette disposition est inscrite sur les tablettes de l’Union africaine (UA). Refuser sa mise en uvre équivaut à remettre en cause notre légitimité. » Le différend menaçant de sortir du seul cadre verbal, le président Youssouf et son Premier ministre décident de faire appel à l’Éthiopie, aujourd’hui soupçonnée d’avoir envoyé des troupes en Somalie. Addis-Abeba dément. Mais les témoins soutiennent que près de 25 000 soldats éthiopiens sont entrés sur le territoire somalien pour prêter main forte aux milices progouvernementales à Baidoa.
La nouvelle provoque la colère des islamistes. « Haute trahison ! » s’écrie Hassan Dahir Awess, leur leader, recherché par la justice américaine pour ses accointances avec al-Qaïda. La présence d’un corps expéditionnaire éthiopien, donc chrétien, en terre somalienne est ressentie comme une croisade. L’Union des tribunaux islamiques rédige alors une fatwa appelant au djihad contre l’envahisseur.
L’Union africaine, dont le siège se trouve dans la capitale éthiopienne, reste discrète. Et se cache derrière l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), l’organisation sous-régionale en charge du dossier somalien. Le 1er août, un Conseil des ministres de l’Igad se tient à Nairobi, le Kenya assurant la présidence tournante de la structure qui regroupe Djibouti, l’Éthiopie, l’Érythrée, le Kenya, l’Ouganda et le Soudan. L’Igad réitère son soutien aux institutions de transition et appelle à un dialogue entre le gouvernement d’Ahmed Gédi et les fondamentalistes, dans le cadre de la charte fédérale de transition, qui prévoit le déploiement d’une force africaine d’interposition. Mais les discussions piétinent faisant croître l’inquiétude dans la région.
L’Éthiopie, en particulier, est dans l’urgence. Pour elle, il est vital de mettre fin à la percée islamiste en Somalie au plus vite. Le succès des fondamentalistes somaliens risque d’être contagieux et pourrait apporter des soutiens mal venus aux insurgés du Front de libération oromo, proche des islamistes. En outre, une Somalie stable avec, à sa tête, un pouvoir hostile à Addis-Abeba est la porte ouverte au retour d’une vieille revendication : la Somalie doit regrouper toutes les régions où l’on parle somali. Soit de Djibouti au nord du Kenya, en passant par le plateau de l’Ogaden et une partie de l’Éthiopie orientale…
Quant à l’Érythrée, toujours en conflit larvé avec Addis-Abeba malgré l’accord de paix d’Alger de 2000, elle ne rate jamais l’occasion de mettre des bâtons dans les roues de son puissant voisin. Selon différentes sources, c’est elle qui alimente les combattants islamistes somaliens en armes et en munitions. Certaines évoquent même la présence de 1 500 militaires érythréens, venus par la mer, aux côtés des miliciens de l’Union des tribunaux islamiques. Difficile à croire quand on sait que les côtes somaliennes sont étroitement surveillées par une coalition sous commandement américain, installée au camp Lemonier de Djibouti. Toujours est-il que l’intrusion de l’Érythrée dans le dossier ajoute à la confusion. D’autant que pour les Nations unies, la question somalienne relève exclusivement de l’UA, qui, elle-même, la sous-traite à l’Igad. Une situation complexe qui profite, pour l’instant, aux intégristes de Hassan Dahir Awess. Après avoir consolidé leur assise militaire, ces derniers réhabilitent actuellement les infrastructures du pays. Le risque ? Voir une Somalie en jachère se transformer en un Afghanistan taliban…

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