La conscience en plus

Professeur au Collège de France et découvreur de Lucy, le paléoanthropologue Yves Coppens évoque l’apparition des premiers humains. Cours magistral.

Publié le 4 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Le paléoanthropologue français Yves Coppens a acquis la célébrité en découvrant en 1974, en Éthiopie, les ossements d’une australopithèque de 3,2 millions d’années, Lucy, qu’on a longtemps considérée comme la plus lointaine de nos ancêtres. Moins de dix ans après, en 1983, le chercheur entrait au Collège de France. Avec la leçon de clôture qu’il a donnée en juin 2005, et qui vient d’être publiée*, il dresse un double bilan : celui de ses propres travaux et celui de sa discipline. Dans l’extrait qui suit, Yves Coppens évoque l’apparition, entre 3 millions et 2,5 millions d’années, des premiers humains, les Homo.

« Il apparaît clairement que l’homme, comme le cheval, l’éléphant ou le phacochère, réagit au changement de milieu en s’efforçant de s’y adapter ; l’hominidé, en changeant son régime alimentaire et en grossissant son cerveau, n’a rien fait d’autre que l’équidé qui a augmenté la hauteur de ses dents et réduit à un doigt l’extrémité de ses pattes. Le préhumain, australopithèque ou kényanthrope, s’est fait Homo, comme l’Hipparion s’est fait Equus.
Cela signifie qu’à cette époque l’hominidé fait totalement partie de son écosystème et qu’il subit les fluctuations du climat et du milieu comme n’importe lequel de ses voisins. Cela signifie aussi que c’est l’environnement qui a fait l’homme et que, sans cet événement, le genre Homo n’aurait eu aucune raison d’apparaître, du moins là et à ce moment-là. Pour que la communauté scientifique, qui a mis dix années à prendre ce fait en considération, se souvienne de ce résultat essentiel et du rôle pionnier de la vallée de l’Omo dans ces recherches, j’ai appelé cette crise d’un jeu de mots dont je ne suis pas fier, l’événement de l'(H)Omo avec un H entre parenthèses.

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Il apparaît ensuite que la plupart de ces êtres se sont transformés au bon moment dans le bon sens. C’est statistiquement trop beau pour être aléatoire. Alors comment expliquer cette évolution, l’Évolution. J’ai rêvé à une certaine époque que certains gènes auraient pu être capables d’enregistrer eux-mêmes le changement d’environnement et auraient pu par la suite transmettre génétiquement l’information à la descendance qu’ils étaient chargés d’équiper. Un lamarckisme moléculaire en quelque sorte, aussi peu orthodoxe que celui d’origine ! J’ai lu récemment chez Christian de Duve [Prix Nobel de médecine] un étonnement comparable au mien devant la justesse fréquente de la réaction de la nature aux sollicitations du milieu, ne ressemblant pas au hasard ; sa proposition d’explication serait la présence permanente, dans toutes les cellules de tout être vivant, d’une collection de mutations en attente, ce qui permettrait aux cellules la mise à disposition de la mutation adéquate dès qu’elle serait requise. En tout cas, le hasard n’est plus ce qu’il était !
Il apparaît enfin que nous nous trouvons, à cette époque, à cet endroit, au moment capital du nouveau changement d’état de la matière, en attendant le prochain. Cette fois, c’est une partie de la matière vivante qui, par le truchement de son système nerveux central, va se faire pensante. Pour un naturaliste, l’homme demeure un primate, et ce n’est pas faux. Mais les déclarations intempestives du genre L’Homme est un Singe ou le Singe est un Homme ne sont évidemment que très partiellement justes, c’est le moins que l’on puisse dire ; c’est encore une question de simple bon sens.

Avec l’homme que j’appellerais, faute de mieux, philosophique, car celui-ci ne recouvre peut-être pas seulement le genre Homo, apparaît la conscience – définie tant bien que mal par « savoir que l’on sait » -, conscience révélée à nous concrètement par les premiers objets fabriqués. Pour la toute première fois dans la nature, des pierres ont été taillées ; un être a osé changer la forme d’un objet pour l’utiliser à son profit. Aucune autre espèce n’a, pour le moment, partagé cette audace. Après douze ou treize milliards d’années d’histoire naturelle, c’est le premier signe d’une histoire culturelle, le terme de Culture recouvrant pour un préhistorien tout ce qui n’est pas nature, c’est-à-dire la technologie, bien sûr, mais aussi les facettes intellectuelle, spirituelle, morale, esthétique, éthique, etc., de l’être qui en est doté. »

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