Hussein Hajj Hassan

Relations avec l’Iran, guerre avec Israël, avenir des institutions Un des fondateurs du parti islamiste – et député de Baalbek -, s’explique.

Publié le 4 septembre 2006 Lecture : 7 minutes.

Docteur en biophysico-chimie de l’université d’Orléans, en France, Hussein Hajj Hassan (47 ans) est l’un des fondateurs du Hezbollah. Élu de Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, il est membre du groupe parlementaire du parti islamiste, qui compte quatorze députés.

Jeune Afrique : Le Hezbollah verse une aide de 12 000 dollars à chaque famille touchée par les bombardements israéliens. Plus de quinze mille logements ayant été détruits, le budget de la reconstruction avoisine 180 millions de dollars. Qui paie ? L’Iran ?
HUSSEIN HAJJ HASSAN : Financer la reconstruction, c’est le devoir des pays qui ont été incapables d’arrêter la guerre, qu’il s’agisse de l’Europe – et notamment de la France – ou des pays arabes. Quant au Hezbollah, il dispose de moyens importants. N’oubliez pas que nous percevons des impôts religieux, le khoms et la zakat. En outre, de nombreux donateurs nous viennent en aide, à titre individuel. Et pourquoi pas des Iraniens ? Est-ce un crime ? Par milliers, des associations et des citoyens iraniens se sont engagés à nous aider.
Et l’État iranien ?
Non, le Hezbollah est un parti qui reçoit de l’aide de partis, d’associations ou de particuliers. Si l’État iranien souhaite participer à la reconstruction, il versera des fonds directement à l’État libanais.
Pourquoi le Hezbollah ne s’associe-t-il pas à l’État libanais pour mener à bien la reconstruction ?
Il n’y a aucune rivalité entre notre action et celle de l’État, mais au contraire une convergence. Or l’État, comme partout, est une lourde machine bureaucratique. Son action est lente, et on ne sait pas encore très bien ce qu’il va faire. Mais les gens ne peuvent pas attendre !
Le Hezbollah a déclaré qu’il ne riposterait pas à une éventuelle rupture de la trêve par Israël
Les Israéliens ont déjà violé la trêve à une dizaine de reprises. Ils ont notamment tenté d’enlever un responsable de notre parti. Peut-être serons-nous un jour obligés de riposter.
Vous avez souscrit à la résolution 1701 de l’ONU, qui appelle au désarmement de « toutes les milices libanaises ». Quel est votre calendrier ?
La question de la résistance et des armes dont elle dispose est actuellement discutée au sein du gouvernement et de la Conférence du dialogue national, dans le cadre de la définition d’une stratégie de défense qui doit nécessairement prendre en compte les intérêts de tous les Libanais. L’engagement du Hezbollah dans ces discussions est sincère. Évidemment, tout le monde nous parle de calendrier, mais pourquoi ne demande-t-on jamais de calendrier à Israël ? Ce pays continue d’occuper une parcelle de notre territoire, à Chebaa, il détient toujours des prisonniers libanais et viole régulièrement notre espace aérien. Dans ces conditions, notre calendrier ne peut que dépendre de celui des Israéliens.
La destruction de l’État d’Israël est-elle l’un de vos objectifs stratégiques ?
Croyez-vous sérieusement qu’un parti comme le Hezbollah, dont les moyens sont, somme toute, modestes, puisse détruire un État qui dispose de quelque deux cents ogives nucléaires ? Et puis, pourquoi parle-t-on toujours de l’avenir d’Israël et jamais de celui du peuple palestinien ?
Notre question ne porte pas sur l’avenir d’Israël, mais sur les objectifs du Hezbollah
Avant d’exposer nos objectifs à ce sujet, je souhaiterais d’abord entendre ceux des Israéliens concernant le droit au retour des exilés en Palestine, la création d’un État palestinien et la question de Jérusalem. Vous devriez leur poser la question. Ma génération a vu passer tant d’initiatives de paix ! Et où sont-elles aujourd’hui, ces initiatives ? À la poubelle. Nous en avons assez des « processus de paix », nous n’en voulons plus. Dans le passé, tous les processus de ce genre nous ont contraints à réduire nos exigences. Ils se sont traduits par un retour en arrière. D’ailleurs, les Israéliens ne veulent pas non plus de processus de paix, puisque toutes les cartes de la négociation sont entre leurs mains. Les Arabes sont à bout. La colère qu’ils expriment aujourd’hui signifie qu’ils ont tout perdu, sauf leur dignité.
Vu d’Europe, on a l’impression que le Hezbollah a beaucoup changé depuis vingt ans, qu’il s’est institutionnalisé, qu’il est entré dans le jeu politique
Étant l’un de ses fondateurs, je puis vous dire qu’il n’en est rien. C’est le regard que l’on porte sur nous qui n’est plus le même. Au fil du temps, les observateurs étrangers ont approfondi leur connaissance du Hezbollah et ils en ont conclu que celui-ci avait changé, mais c’est une illusion d’optique ! En 1992, l’arrivée de Hassan Nasrallah a coïncidé avec la fin de la guerre civile. Par la force des choses, il y a eu modification de l’ordre de nos priorités, mais pas de changement sur le fond. Quant à notre décision de participer aux élections de 1992, elle ne traduit pas un changement de cap pour la simple raison qu’il n’y avait pas eu d’élections dans ce pays depuis vingt ans. Comme dans tous les partis, il y a eu un débat interne, puis un vote à l’issue duquel une majorité s’est exprimée en faveur de la participation au scrutin.
Souhaitez-vous instaurer une république islamique au Liban ?
Notre idéologie, c’est l’islam. Notre projet politique, c’est d’être partie intégrante de la société et des institutions politiques libanaises. Mais nous n’avons jamais envisagé d’instaurer une république islamique, parce que nous savons que c’est impossible, tout simplement. Nous souhaitons un État libanais débarrassé du confessionnalisme, mais où toutes les confessions soient néanmoins respectées. Cela signifie, par exemple, que les recrutements dans l’administration doivent se faire sur la base de la compétence professionnelle, non de la religion. En même temps, il faut garantir que toutes les confessions soient équitablement représentées aux plus hauts niveaux de l’État : président de la République, président du Parlement, Premier ministre En la matière, nous sommes pour l’application pleine et entière des accords de Taëf [du nom de la ville saoudienne où, en octobre 1989, fut signé un document d’« entente nationale » qui mit fin à la guerre du Liban, NDLR].
Êtes-vous favorable à l’application de la charia ?
Nous essayons évidemment, autant que faire se peut, de rapprocher les lois de la République de la charia. Mais la charia intégrale ne sera jamais la loi de la République libanaise, parce que celle-ci régit également la vie des chrétiens et d’autres communautés qui ne reconnaissent pas la charia comme leur loi
Y a-t-il des tendances, des courants, au sein du Hezbollah ?
Non, pas de courants ni de tendances figés. Simplement, le cas échéant, des divergences entre ses membres sur telle ou telle question ponctuelle. Mais, en général, les décisions sont prises à une très large majorité. Le débat démocratique est essentiel au fonctionnement du parti : même pendant la guerre, nous n’avons jamais cessé de nous réunir, souvent, et de débattre, beaucoup.
Le Hezbollah est souvent présenté en Occident comme la marionnette de l’Iran
Mais l’Iran, ce n’est quand même pas le diable ! C’est un pays chiite, où il existe des marjahs, des guides spirituels. Nous avons des liens avec ces marjahs, voilà tout. Pour en revenir au financement, il y a au Liban beaucoup d’argent en provenance du Vatican, de France, des États-Unis, d’Arabie saoudite, d’Égypte ou d’ailleurs. Pourquoi mettre en cause le seul argent iranien ?
Quant à la souveraineté nationale, je vous rappelle que, lors des élections de 2005, nous avons conclu une alliance avec Walid Joumblatt, Samir Geagea et Saad Hariri, c’est-à-dire les ennemis de la Syrie. Alors, je vous retourne la question : donnez-moi un seul exemple d’une décision du Hezbollah qui ait privilégié les intérêts de l’Iran au détriment de ceux du Liban.
On a prétendu, par exemple, que l’enlèvement des deux soldats israéliens avait été téléguidé par Téhéran pour occulter la question du nucléaire iranien. Mais cette dernière n’a absolument pas été occultée ! Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est même réuni, pendant les combats, afin de prendre une décision contre l’Iran. Les membres du Hezbollah seraient donc de vulgaires agents de l’étranger et non les représentants d’une communauté libanaise à part entière ! C’est une présentation stupide – et humiliante pour nous – de nos liens avec l’Iran.
Au Liban, le Hezbollah est en position de force. Dans le monde arabe, son prestige est immense après ce qui est perçu comme une victoire historique sur Israël. Estimez-vous être suffisamment représenté dans les institutions et le jeu politique libanais ?
Nous ne tomberons pas dans le piège qui consisterait, arguant de notre victoire militaire, à réclamer une place plus importante. La sagesse nous conduit à respecter la pluralité de la société libanaise. Même les plus petites minorités doivent être représentées pour éviter de rompre le fragile équilibre confessionnel, garant de la paix sociale, qui prévaut dans le pays. Il nous arrive ainsi de ne pas présenter de candidats à certaines élections, afin de laisser la place à d’autres communautés.

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