Vers la fin du monopole des compagnies européennes
Quoiqu’en position de force sur les liaisons avec l’Afrique, Air France-KLM, British Airways et Lufthansa doivent à présent compter avec la montée en puissance de groupes venus du Golfe.
Voyager par les airs en Afrique coûte cher. Dominé par les compagnies internationales, le marché continental souffre de l’absence de concurrents africains de taille suffisante pour offrir des tarifs plus compétitifs. Sur un vol aller-retour Paris-New York, Air France facture ses services 17 centimes d’euros par kilomètre selon nos calculs. Le chiffre s’envole à 40 centimes par kilomètre pour les passagers à destination de Brazzaville (voir notre comparatif p. 62). Pour Cheikh Tidiane Camara, président du conseil de surveillance du cabinet Ectar, « ces écarts sont avant tout dus aux dépenses de carburant, aux assurances et à la maintenance des avions. Elles sont plus élevées en Afrique. » Ce n’est qu’une partie de l’explication. Sur le Maghreb, la concurrence est plus forte et les prix d’Air France s’alignent. Sauf lorsque la compagnie est la seule à proposer des vols directs. Sur un aller-retour Paris-Nouakchott, Air France est 25 % plus cher qu’Air Sénégal International, dont l’appareil transite par Dakar. La différence atteint 45 % pour un billet Paris-Libreville-Paris par rapport à ce que propose Royal Air Maroc avec une escale.
70 % des passagers préfèrent les grandes compagnies
Pourtant, la majorité des voyageurs préfère encore emprunter les avions des transporteurs internationaux. Selon Cheikh Tidiane Camara, ils emportent chaque année 70 % des passagers qui vont en Afrique ou en partent. En tête, les compagnies européennes, et pour cause : plus de la moitié du trafic international lié à l’Afrique vient d’Europe. Opérant dans 28 pays du continent, le groupe franco-néerlandais Air France-KLM est le plus offensif. Suivent British Airways, Lufthansa, Brussels Airlines, présents sur treize États, puis Tap, Swiss et Iberia, qui desservent chacune sept pays. Des transporteurs qui profitent des liens privilégiés qu’entretiennent les pays africains avec leurs anciennes puissances coloniales. Leur domination est également facilitée par la faiblesse, à quelques exceptions près, des compagnies locales. Leurs tarifs sont plus élevés, on l’a vu, et la ponctualité ainsi que la qualité du service ne sont pas toujours au rendez-vous. Plus handicapant encore, le manque d’ouverture des espaces aériens sur le continent restreint le choix des destinations proposées. A contrario, les majors internationales peuvent se targuer de relier leurs clients au monde entier.
En Afrique comme ailleurs, les grandes alliances commerciales qui regroupent les leaders du marché procurent des atouts considérables à leurs membres. Le plus important est sans doute l’augmentation des dessertes grâce à la généralisation du partage de code. Au sein de l’association One World, cette pratique permet par exemple à American Airlines (AA), qui n’opère pas de vol vers l’Afrique, de vendre sous sa propre marque une place sur un avion de British Airways (BA) au départ de Londres. Ainsi la première élargit son catalogue et la seconde bénéficie d’un réseau commercial complémentaire au sien, ce qui lui permet d’améliorer le taux de remplissage de ses avions. Même en mutualisant leurs moyens, les compagnies régionales comme Air Ivoire et Air Burkina ne sont pas en mesure de rivaliser.
Depuis dix ans, la croissance africaine est plus forte
Avec 59 millions de passagers transportés l’année dernière, l’Afrique ne représente que 3 % du trafic aérien mondial. Une situation qui illustre le retard pris par le continent sur le plan économique même si, depuis dix ans, le marché africain affiche une croissance annuelle du trafic supérieure à la moyenne mondiale : 8 % en 2007 contre 7,4 % pour le reste du monde, selon les données de l’Association internationale du transport aérien (Iata). Si la très forte hausse du pétrole a un impact négatif sur le remplissage des avions en 2008, les perspectives à moyen terme restent positives. Parmi les destinations les plus prisées : l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc, l’Algérie, le Kenya, la Tunisie et l’Éthiopie (voir infographie ci-dessus).
Chaque compagnie a sa stratégie pour tirer parti de cette croissance. Afin d’attirer les professionnels du secteur pétrolier, Air France a par exemple créé des lignes qui relient directement Paris aux sites de production comme Malabo, en Guinée équatoriale, ou Pointe-Noire, au Congo. Bien avant son mariage avec la compagnie française, KLM est devenu en 1996 le premier actionnaire de Kenya Airways. Avec 17 pays desservis à partir de Nairobi, l’allié kényan a permis au transporteur néerlandais, grâce au partage de code, de renforcer sa présence sur le continent. Un accord maintenu après la naissance d’Air France-KLM, même si le groupe français n’a pas pour plan de marche systématique d’investir dans les transporteurs régionaux. Il a notamment refusé de prendre des participations dans Cameroon Airlines, comme dans Air Gabon, mais aussi dans les compagnies qui leur succéderont. Toujours actionnaire d’Air Ivoire, le géant français laisse entendre qu’il pourrait vendre ses parts.
Deux africaines dans le groupement Star Alliance
Un désengagement à l’opposé de la ligne de conduite de Brussels Airlines. Après s’être intéressé, sans succès, aux pavillons du Cameroun et du Gabon, le transporteur belge est devenu copropriétaire de la compagnie AirDC, dont l’exploitation permettra aux passagers en provenance d’Europe de bénéficier de vols intérieurs au Congo et en Afrique centrale. Brussels Airlines est par ailleurs allié commercial d’Ethiopian Airlines, ce qui lui permet de desservir l’Afrique de l’Est via les accords de partage de code. De son côté, British Airways a choisi la solution de la franchise pour développer sa présence en Afrique australe. En 2007, elle a renouvelé pour onze ans son contrat avec la compagnie sud-africaine Comair, qui exploite en son nom 9 lignes nationales et régionales. Quant à Lufthansa, c’est par le biais du groupement Star Alliance que la compagnie allemande élargit son audience. En 2006, le concurrent de Sky Team (dont Air France-KLM est associé) et One World (British Airways, IberiaÂÂÂ) a accueilli South African Airways parmi ses membres. Depuis le 11 juillet dernier, Egyptair est la seconde compagnie africaine partenaire de Star Alliance.
Progressivement, de nouvelles venues desservent le marché africain ; les majors européennes voient arriver de nouvelles rivales. En 2006, Delta Airlines est devenue la première compagnie américaine à voler directement vers l’Afrique. Depuis le mois de juin, elle dessert Le Caire, son sixième point de chute sur le continent. En Algérie, c’est China Eastern Airlines qui prévoit l’ouverture fin août d’une ligne Shanghai-Paris-Alger. Mais la progression la plus spectaculaire vient du Moyen-Orient. « La montée en puissance des compagnies du Golfe illustre le déplacement des échanges commerciaux vers l’est », estime Cheikh Tidiane Camara, qui souligne l’intérêt grandissant des investisseurs arabes pour l’Afrique. Ainsi, la compagnie émiratie Ethihad a inauguré cette année une desserte quotidienne de Johannesburg. Emirates assure quant à elle trois liaisons quotidiennes vers l’Afrique du Sud et des lignes vers la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Si ces nouveaux poids lourds peuvent proposer de réelles alternatives tarifaires aux européennes, il n’est pas certain qu’ils aient l’intention d’aider les compagnies locales à se développer. En Algérie, en Afrique du Sud, en Tunisie, le pillage des pilotes a commencé. Plusieurs dizaines ont déjà quitté les flottes nationales, séduits par les salaires que leur proposaient les compagnies du Moyen-Orient.
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