Loin des yeux, près du coeur

Publié le 4 août 2008 Lecture : 2 minutes.

On est en plein mois d’août, c’est les grandes vacances et les Marocains ne sont pas là. Ils sont où, me demandez-vous ? Eh bien, ils sont au pays, en train de faire le mac à Nador ou El Jadida, sur le boulevard, au volant d’une Mercedes datant des débuts de Marlène Dietrich ou d’une BMW de quatorzième main. ?Mais ici, à Amsterdam, il n’y a plus de Marocains. On dirait un film de science-fiction, vous savez, le genre où un cataclysme a détruit le monde et où le dernier survivant (toujours un Américain) erre dans les rues désertes d’une ville (toujours New York). C’est l’effet que ça m’a fait, hier : je suis allé traîner mes sandales du côté du marché Dappermarkt, le seul endroit en Hollande où l’on peut acheter les authentiques brosses Tazi un classique du design marocain – ainsi que du ghassoul et de l’huile d’argan brute, sponsorisée par personne. D’habitude on se croirait à Tanger ou à Derb Ghallef, alors qu’on est en plein centre d’une capitale d’Europe. Mais hier, rien : le Dappermarkt était pratiquement vide, la plupart des échoppes étaient fermées, et seuls quelques rares Blancs déambulaient, l’air perdu, essayant de humer des effluves disparus. Quant aux couleurs habituelles, les rouges et les verts mélangés en dépit du bon sens, les jaunes, noirs et orange des fichus et des voiles, les blancs des hajjs et des hajjas, toutes ces couleurs qui amènent immanquablement l’adjectif « bigarré » dans la description paresseuse, eh bien : rien ! Tout cela avait disparu, emporté par la grande vague de la migration saisonnière vers le sud. Ne restait que l’anthracite du bitume, le blanc fade des façades et le gris métallique du ciel. L’ennui suintait de partout. De quoi songer à en finir en se jetant à l’eau : elle est là, tout près, c’est l’onde sombre, un peu glauque, des canaux silencieux. Une collègue me disait hier, tout étonnée :
– Je me suis promenée hier à Osdorp [un des quartiers turco-marocains de la ville]. Eh bien, ça m’a fait tout drôle, il n’y avait aucun de tes compatriotes, pas un seul sale gosse pour essayer de soulever subrepticement un coin de ma jupe, aucun moustachu égrillard pour siffler en ma direction, nul barbu furieux pour m’intimer l’ordre de porter des vêtements plus décents ou de quitter le quartier. Ni thé à la menthe ni rahat loukoum. C’est bien simple : on se serait cru dans un village de la Hollande profonde. Quelle tristesse.
Elle aspira une gorgée de café avant de m’asséner cette perle :
– On les aime bien, au fond, les Marocains. Surtout quand ils ne sont pas là.

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