Le MLC sans Bemba
Les cadres du Mouvement de libération du Congo font bloc derrière leur président, incarcéré à La Haye. S’il n’est pas question, pour l’heure, de le remplacer, le choix d’un nouveau leader se posera tôt ou tard. Certains s’y préparent déjà.
Arrestation, le 24 mai dernier à Bruxelles, de son président et fondateur, Jean-Pierre Bemba ; assassinat, le 6 juillet, du vice-président de l’assemblée provinciale de Kinshasa, Daniel Boteti : les coups durs s’abattent sur le Mouvement de libération du Congo (MLC). Jusqu’à quand tiendra le premier parti d’opposition de la République démocratique du Congo (RDC), dont l’avenir politique de son chef semble fortement compromis ?
Pour l’heure, le MLC fait front. À l’unisson. Ou presque. À l’annonce de l’assassinat de Daniel Boteti, il a vivement réagi. Déplorant les agressions d’élus de l’opposition qui se sont multipliées au cours des derniers mois, notamment à Macampagne, un quartier de la capitale contrôlé par la Garde républicaine, il a exigé l’arrestation des auteurs des crimes et la délocalisation des éléments de la Garde dans le quartier. Il a aussi décidé de suspendre immédiatement sa participation aux travaux de l’Assemblée nationale, du Sénat et de l’assemblée provinciale de Kinshasa. Il aura fallu attendre le 16 juillet pour que ses élus reprennent leur participation aux séances. Le procès des présumés coupables est ouvert. On attend le verdict.
Même attente à propos du sort fait au chairman du MLC. Jean-Pierre Bemba a été transféré, le 3 juillet, à la Cour pénale internationale de La Haye en vue de son inculpation dans le cadre de l’enquête sur les crimes commis sur des civils centrafricains par ses troupes. En 2002-2003, celles-ci étaient intervenues en République centrafricaine à l’appel du président Ange-Félix Patassé pour mater la rébellion dirigée par le général Bozizé.
Évidemment, le MLC s’indigne de cette arrestation, fustigeant une justice à deux vitesses. « Les troupes de Bemba ne sont pas les seules à avoir commis des viols et des exactions en RCA. Il y avait aussi des soldats tchadiens et de l’armée régulière centrafricaine. Pourquoi a-t-on arrêté seulement Bemba ? » s’interroge François Mwamba, secrétaire général du MLC. « Bemba n’a ni planifié ni ordonné les tueries », poursuit ce dernier, qui rappelle également que les coupables ont été jugés et condamnés à l’époque par les tribunaux de Gbadolite. Bemba ne se serait, en outre, jamais soustrait à une interrogation, quel que soit le tribunal. Ce qui est inadmissible, selon Mwamba, c’est la façon dont il a été arrêté, « comme un vulgaire bandit ».
Soutien très relatif
Si les cadres du MLC, soutenus par leurs militants et sympathisants, font corps pour protester contre l’injustice faite à leur leader, la solidarité ne semble pas jouer aussi fortement pour ce qui est d’un éventuel remplacement de Bemba. Pour l’heure, pas question de songer à trouver un successeur à ce dernier, considéré comme simplement « empêché ». « Il n’y a pas vacance du pouvoir, assure Mwamba. Ce qui importe pour le moment, c’est le fond du dossier à la CPI. Pas la succession. » Du coup, c’est le secrétaire général qui continuera à assurer l’intérim du sénateur Bemba, absent du pays depuis avril 2007, comme le prévoient les statuts du parti adoptés par le conseil des représentants le 29 février 2006.
Il faudra attendre le 4 novembre prochain, lorsque le procureur de la CPI examinera le dossier, pour y voir un peu plus clair. Ce n’est que lorsqu’il sera établi sans ambiguïté que le chairman ne peut plus assumer son mandat que le conseil des représentants sera convoqué. Et un nouveau président, élu. En attendant qu’une condamnation mette Bemba en situation « d’empêchement définitif », le chairman restera le président du MLC, une fonction à laquelle il a été élu pour cinq ans lors du conseil des représentants tenu fin janvier-début février 2006.
Alors, soutien inconditionnel au chef ? Des mauvaises langues prétendent que ce soutien est très relatif. « Qui, au MLC, a encouragé Bemba à revenir à Kin ? S’il était rentré au pays, il aurait échappé à l’arrestation. À croire que certains le préféraient dehors. Il faut dire que Bemba était devenu gênant à cause de sa violence et de sa dureté à l’égard de son entourage », confie un proche.
En tout cas, en dépit de ce qui est affirmé, la bataille pour la succession est bel et bien engagée. Ainsi, dès le lendemain de l’arrestation de Bemba, le gouverneur de l’Équateur, José Makila, quittait Mbandaka pour Kinshasa où, devant les élus MLC de sa province – d’où Bemba est originaire -, il revendiquait la légitimité de la présidence du Mouvement. Les critiques à l’encontre de Makila ont fusé, et son attitude a été jugée indécente.
Reste que le choix d’un nouveau leader, qui finira bien par se poser, n’est pas chose aisée. La revendication de Makila a remis au grand jour les divisions qui traversent le Mouvement. Des ressortissants de l’Équateur considèrent que la direction du Mouvement doit revenir à un membre de leur province, qui compte le plus d’élus MLC. Pas question pour les autres, notamment les originaires du Kasaï, de tribaliser le parti, traversé en outre par d’autres types de courants. « Il y a certes des regroupements par régions, mais aussi par affinités intellectuelles, par générations et en fonction des vagues d’adhésion », précise un membre du MLC. Il faudra donc tenir compte de toutes ces nuances.
Outre Makila, François Mwamba, 57 ans, figure parmi les principaux prétendants à la succession. Fidèle parmi les fidèles, il a le soutien du grand chef et gère les finances du parti au quotidien. Depuis l’arrestation de Bemba, il a toujours maintenu le contact avec lui et sa famille. Intellectuel reconnu et disposant d’un bon réseau relationnel – grâce, notamment, à l’association des anciens de l’Institut catholique des hautes études commerciales de Bruxelles dont il a été élève, comme Bemba -, cet ancien ministre de l’Économie et conseiller de Mobutu, également ex-ministre du Budget pendant la transition, a l’inconvénient de ne pas être un bon tribun. Contrairement à Bemba, dont le bagout a permis de séduire les foules, de l’Ouest du moins.
Recoller les morceaux
Mais Mwamba dispose de moyens financiers, indispensables pour mener campagne. Certes, ses origines kasaïennes – il est du même village qu’Étienne Tshisekedi, le président de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) – sont de nature à l’éloigner de certains Équatoriens. Mais elles peuvent jouer en faveur d’un élargissement de l’électorat du MLC, voire favoriser une alliance électorale avec l’UDPS, même si Tshisekedi et Mwamba se disputent le leadership du Kasaï-Oriental.
Le député Thomas Luhaka, un des membres fondateurs du Mouvement, peut-il fédérer les courants du MLC ? Qui sait ? Quant à Adam Bombole, député et président du MLC de Kinshasa, il s’est vu souffler le poste de gouverneur de la capitale par André Kimbuta. Un mauvais point pour lui.
De toute façon, le choix d’un nouveau leader devra être entériné par le chairman. Que décidera ce dernier ?
Pour certains Congolais, ces cadres ne font pas le poids face à Bemba. Ils ne donnent donc pas cher du Mouvement en l’absence de son président. « Le MLC est morcelé. Qui peut recoller les morceaux ? Sans Bemba, il n’a plus d’avenir », affirme un membre du camp présidentiel. Pas si sûr, rétorque cet homme d’affaires kinois. Aux prochaines élections, le MLC – tout comme d’ailleurs l’UDPS, qui devrait rejoindre le processus électoral après la tenue de son congrès en décembre prochain – pourrait créer la surprise. Tout dépendra de l’issue des négociations avec les Chinois à propos du mégacontrat d’exploitation minière qui fait couler beaucoup d’encre, de la signature d’un programme avec le Fonds monétaire international et de l’avancée des chantiers du président Kabila.
Pour l’heure, la population congolaise observe les uns et les autres. En 2011, c’est elle qui décidera.
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