La grande réconciliation ?
Lors de sa visite officielle à Ouagadougou, fin juillet, Laurent Gbagbo s’est expliqué sans détour avec Blaise Compaoré. Entre les deux ex-amis depuis longtemps brouillés, l’heure est à l’apaisement.
Pour la première fois depuis son accession à la présidence ivoirienne, Laurent Gbagbo s’est rendu du 27 au 29 juillet en visite officielle au Burkina. Afin de donner un retentissement maximal à l’événement, il n’a pas fait dans la dentelle. Pas moins de six ministres (Plan et Développement ; Affaires étrangères ; Infrastructures économiques ; Économie et Finances ; Intégration africaine et Nouvelles Technologies de l’information et de la communication) l’accompagnaient à Ouagadougou. Trois jours n’ont pas été de trop pour tenter de surmonter les malentendus qui l’ont un moment opposé à son hôte, le numéro un burkinabè, Blaise Compaoré.
En dépit des apparences et des fastes de cette visite – Gbagbo et Compaoré ont d’abord décompressé à Ziniaré, le village natal de ce dernier, puis visité des sculptures de granit de Laongo et multiplié les gestes de complicité sous l’ÂÂil des caméras -, les deux hommes n’ont pas fait l’économie d’une franche explication. Pourquoi Gbagbo, si empressé à se rendre dans la capitale du Burkina quand il était dans l’opposition, a-t-il pris depuis ses distances ?
« Tous ceux qui tentaient des coups d’État contre moi se retrouvaient après à Ouaga. Mes opposants y étaient reçus avec tous les honneurs. Je ne pouvais comprendre ça de la part d’un vieil ami comme vous », a-t-il fait savoir à son hôte. Réplique de celui-ci : « Je n’y peux rien, Ouagadougou est devenu par la force des choses le refuge de tous les opposants qui ont du mal à vivre dans leur pays. Mais aucune tentative de déstabilisation d’un État voisin n’est jamais partie d’ici. Il y a, moi aussi, une chose que je ne comprends pas : pourquoi avoir attendu huit ans pour faire votre première visite officielle dans cette ville où vous aviez naguère vos habitudes ? » Ambiance.
Questions qui fâchent
Longtemps très proches, les deux hommes avaient fini par basculer dans une franche hostilité. « Blaise m’a beaucoup aidé, y compris financièrement, lorsque j’étais dans l’opposition, confiait Gbagbo, en septembre 2007, dans une interview à J.A. [ÂÂ] Ce qui s’est passé en septembre 2002 nous a brouillés. Mais nos relations se sont aujourd’hui normalisées. » Confirmation de Compaoré, toujours dans J.A. (7 octobre 2007) : « Je crois que, quand Gbagbo est arrivé au pouvoir, des personnes mal intentionnées lui ont affirmé que [ÂÂ] nous lui préférions Alassane Ouattara. »
Après les vieilles questions qui fâchent, les deux hommes ont abordé l’actualité brûlante. Concernant le remaniement ministériel envisagé par Gbagbo, Compaoré, par ailleurs médiateur dans la crise ivoirienne, s’est d’abord montré réservé : pourquoi fragiliser le processus de paix par des désaccords sur la composition du futur gouvernement ? Mais Gbagbo a insisté :
« Mettez-vous à ma place. Les décisions prises en Conseil des ministres se retrouvent dans les minutes qui suivent sur la place publique. Plutôt que de faire avancer les dossiers de l’État, certains ministres ne songent qu’à appliquer les instructions de leur parti.
– Dans ce cas, allez-y. Mais je vous demande de respecter dans le partage des postes l’équilibre qui prévaut depuis l’accord de Marcoussis. »
Les deux hommes ont aussi longuement débattu de l’opposition ivoirienne. Et d’abord de l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, chef du Rassemblement des républicains (RDR). Convaincu que ce dernier sera l’arbitre de la présidentielle du 30 novembre, Gbagbo s’efforce de l’inciter à se retirer du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), de l’éloigner de son allié, l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié, et – pourquoi pas ? – de le rallier à sa cause. Il a expliqué à Compaoré, dont Ouattara est proche, que ce dernier a tout intérêt à aller avec lui, plutôt qu’avec Bédié, l’homme « qui a forgé le concept d’ivoirité pour le combattre ». Non sans ajouter : « J’accepte votre neutralité de médiateur dans la gestion de la sortie de crise. Mais, pour l’élection, je demande le soutien du vieil ami devenu un collègue que vous êtes. » Que va faire le président burkinabè ?
Seule certitude : ces trois jours de visite ont contribué à détendre leurs relations. S’ils se sont beaucoup vus ces derniers mois et s’ils se parlent au téléphone au moins trois fois par semaine, ils n’avaient pas passé autant de temps ensemble depuis longtemps. Arrivés le 30 juillet à Bouaké, pour prendre part au premier anniversaire de la « Flamme de la paix », ils se sont enfermés avec le Premier ministre Guillaume Soro dans le salon d’honneur de l’aéroport. Ce dernier a été frappé par la bonne humeur qui a présidé à l’entretien. Mais il faudrait une bonne dose d’angélisme pour penser que tout va désormais pour le mieux. Car Gbagbo continue à se poser des questions sur l’étroitesse des liens de Compaoré avec Ouattara, mais aussi avec Soro. Compaoré, de son côté, se demande si le fin politique qu’est Gbagbo n’agit pas davantage par calcul que par désir sincère de normalisation. Un soupçon d’autant plus légitime que l’Ivoirien a besoin du Burkinabè. Si bien qu’en février dernier il a confié une mission à Boureïma Badini, le représentant du « facilitateur » à Abidjan : « Je vous demande de travailler au renforcement des liens entre la Côte d’Ivoire et le Burkina. L’axe Abidjan-Ouagadougou doit être à l’Afrique de l’Ouest ce qu’est l’axe Paris-Berlin à l’Union européenne. J’ai commencé à préparer une importante visite officielle chez vous. »
Émissaire multicarte
Mais c’est surtout avec Désiré Tagro, son ministre de l’Intérieur devenu son émissaire multicarte, qu’il a concocté le programme de la visite. En dépit de la sourde réticence de Compaoré, qui en a voulu à Tagro d’avoir un moment tenté de retarder l’application de l’accord de Ouagadougou, Gbagbo a insisté pour maintenir le premier flic ivoirien comme relais entre les palais de Cocody et de Kosyam. Tagro a d’ailleurs débarqué à Ouaga dès le 25 juillet, pour procéder aux derniers réglages avant l’arrivée de son patron. Son interface, côté burkinabè, est Djibrill Bassolé, le ministre des Affaires étrangères (voir « Profil » p. 27). C’est ce dernier qui, au lendemain de la rencontre entre Compaoré et Gbagbo lors du sommet de l’Union africaine (Charm el-Cheikh, 30 juin-1er juillet), est allé à Abidjan pour remettre l’invitation officielle à se rendre à Ouaga.
Gbagbo est revenu de son déplacement convaincu d’avoir gagné la sympathie des 4 millions de Burkinabè établis dans son pays (beaucoup sont naturalisés). Et il a invité son alter ego à se rendre à son tour en visite officielle à Abidjan. Ce voyage pourrait avoir lieu à la fin du mois d’octobre, quelques jours avant l’ouverture officielle de la campagne présidentielleÂÂ
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