L’Afrique est la grande perdante

Les négociations sur la libéralisation des échanges commerciaux ont échoué à Genève. L’Agriculture reste le principal point de blocage, alors que les États-Unis et l’Europe acceptaient une baisse de leurs subventions.  

Publié le 4 août 2008 Lecture : 4 minutes.

Pascal Lamy a perdu son pari. Le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a reconnu, le 29 juillet, l’échec de neuf jours de négociations « exténuantes » pour débloquer le cycle de Doha, lancé en 2001 afin d’accélérer le développement grâce à la libéralisation des échanges mondiaux. Huit jours plus tôt, une quarantaine de représentants des principaux pays commerciaux avaient ouvert des discussions pour parvenir à s’entendre sur les « modalités », les grandes lignes d’un accord mondial destiné à supprimer les subventions, à abaisser les droits de douane agricoles et industriels et à libéraliser les activités tertiaires (BTP, assurances, banques, tourisme, transports).
Les deux premiers jours à Genève, le jeu s’était focalisé sur quelques thèmes et quelques vedettes. Les pays développés estimaient qu’ils avaient suffisamment taillé dans leurs subventions et leurs droits de douane agricoles et demandaient aux pays en développement d’ouvrir leurs marchés industriels. Ceux-ci leur répondaient que l’agriculture des pays riches est encore trop protégée et souhaitaient conserver des protections douanières pour leurs jeunes industries. Ambiance !
Celso Amorim, ministre brésilien des Affaires étrangères, jouait le rôle de chef de file des pays émergents et de « méchant » de service. Il est allé jusqu’à comparer les arguments des Occidentaux sur leur « générosité » en matière agricole au propos de Goebbels, le propagandiste d’Hitler, qui conseillait de « répéter une erreur suffisamment souvent pour qu’elle devienne vérité »Â Susan Schwab, la représentante américaine au Commerce, mettait sur la table une nouvelle réduction du plafond des subventions à l’agriculture, soit 15 milliards de dollars par an, contre 17,5 proposés l’an dernier. La tension monte d’un cran, le 23 juillet, avec l’arrivée de Kamal Nath, le ministre indien du Commerce, qui campe d’emblée sur des positions tellement dures que Pascal Lamy décide de créer un G7 (UE, États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Australie, Japon) pour que ces « poids lourds » s’expliquent franchement. Mais dans la nuit du 23 au 24 juillet, la séance du G7 est si catastrophique que des délégations envisagent de quitter Genève. En cause, la volonté des pays émergents de protéger des pans entiers de leurs industries, comme l’automobile ou la chimie.

L’Inde refuse « par principe »
Pascal Lamy prend alors le taureau par les cornes et joue son va-tout. Il présente « son » projet, qui réduit encore les subventions agricoles américaines (14,5 milliards de dollars), abaisse les droits de douane européens de 80 % et prévoit en matière industrielle de nouveaux assouplissements assortis d’exceptions en cas de péril commercial. Les pays en développement seraient ainsi autorisés à ouvrir moins fort et moins vite leurs frontières. C’est le déblocage miraculeux. Un accord sur la banane s’ébauche entre Africains, Européens et Latino-Américains. Un groupe spécial sur le coton est constitué. Les premières discussions sur les services avancent étonnamment vite, les Indiens acceptant le principe de la prise de contrôle de certaines de leurs sociétés par des capitaux occidentaux.
Les 28 et 29 juillet, c’est la désillusion et le blocage définitif entre Américains et Indiens. Comme les autres pays en développement, ceux-ci souhaitent se protéger d’un flux d’importations qui menaceraient les productions locales. Ils demandent de pouvoir déclencher des mécanismes de sauvegarde si les importations augmentent de 10 %, alors que la proposition de Pascal Lamy parle de 40 %. Susan Schwab refuse mordicus. « Par principe », dit-elle, car on ne peut revenir sur des baisses de droits de douane déjà décidées. Kamal Nath se butte, invoquant lui aussi un autre « principe », celui de pouvoir défendre le riz de ses « paysans pauvres » par une hausse des droits de douane. « C’est la première fois qu’une négociation commerciale internationale bute sur des principes », ironise une source de l’Union européenne qui a tenté en vain de jouer les bons offices. Un expert de l’OMC souligne, lui, l’hypocrisie des deux protagonistes. D’un côté, les États-Unis « visent en fait le marché chinois car ils ont peur de ne pas pouvoir vendre leurs récoltes de maïs et de soja, si le seuil de déclenchement de la sauvegarde est abaissé ». De l’autre, l’Inde « n’a aucun besoin de défendre son riz dont elle a, au contraire, interdit l’exportation durant plusieurs mois de 2008. Mais Delhi est entré en campagne électorale et est donc très sensible aux peurs paysannes. »

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Pas d’issue avant deux ans
Qualifiée par tous les protagonistes « d’échec collectif », de « recul » et même de « grave défaite », l’impasse de Genève aura des conséquences difficilement calculables. Les négociations de Doha ne pourront reprendre avant deux ans, c’est-à-dire après l’élection présidentielle américaine et les législatives indiennes. En attendant, les grands perdants de cette querelle entre « grands » sont les pays africains. Eux qui avaient légitimement bloqué les discussions de Cancún (voir chronologie) pour obtenir des engagements sur les subventions agricoles – source de distorsion du marché et de concurrence déloyale – ont tout à perdre si le statu quo devait perdurer. Mamadou Sanou, ministre du Commerce burkinabè et coordinateur du groupe Coton 4 (Mali, Bénin, Burkina, Tchad), se montre alarmiste et rappelle l’urgence d’aboutir à un compromis sur le coton car « dans très peu de temps, il n’y aura plus de filière cotonnière dans nos pays », conclut-il. Parallèlement, l’accord en gestation sur la banane est pour l’instant au point mort. Quant aux pays les moins avancés (PMA), dispensés d’ouvrir leurs fragiles économies, ils ne pourront pas exporter sans droit de douane dans les pays riches 97 % de leurs produits, comme le cycle de Doha le prévoyait. Enfin, on risque de voir fleurir les accords commerciaux bilatéraux. Il y a peu de chance que les pays pauvres soient gagnants, à l’image des Accords de partenariat économique (APE) actuellement en discussions avec l’Union européenne. Et c’est compter sans la probable montée du protectionnisme.

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