Jemil Ould Mansour, ou l’impossible reconversion
Espérant jouer un rôle croissant sur la scène politique nationale, le leader du RNRD, principal parti « islamiste » mauritanien, tempère son discours depuis quelques mois. En vain… pour l’instant.
À 44 ans, Jemil Ould Mansour n’est pas le barbu en turban qui conspue l’Occident et refuse de s’adresser aux femmes non voilées. Au contraire, le président et fondateur du Rassemblement national pour le renouveau et la démocratie (RNRD), premier parti de la mouvance islamiste autorisé en Mauritanie le 3 août 2007, cultive une apparence de modernité. Dans ses bureaux du centre de Nouakchott, son accueil se veut chaleureux et spontané : avant même la première question, il vous récite un couplet sur la place, bien sûr « importante », accordée aux femmes par le RNRD. D’ailleurs, celles-ci y ont droit à leur propre congrèsÂÂ Il n’oublie pas non plus de sourire, éclate volontiers de rire et, derrière de fines lunettes qui lui donnent un air intellectuel, son regard perçant ne quitte pas vos yeux.
Pourtant, c’est bien lui, ce tribun perçu comme le porte-parole des islamistes par nombre d’intellectuels mauritaniens ; ce – très – proche de Moktar el-Hacen Ould Dedew, un imam prompt à la fatwa qui partage sa vie entre Nouakchott et Djeddah ; cet animal traqué par le régime de Maaouiya Ould Taya (1984-2005), si souvent emprisonné qu’il en a oublié le nombre de ses séjours derrière les barreaux ; cet exilé en Belgique (2003-2004) qui s’est, enfin, toujours vu interdire la création d’un parti, jugé comme la porte ouverte à l’extrémisme religieux.
Mais aujourd’hui, l’ancien leader de l’Organisation estudiantine – et clandestine – islamique s’est adouci. Il n’appelle plus à la grève générale des professeurs. Il a pris aussi ses distances avec les Frères musulmans, dont il a été un sympathisant à l’époque où il était élève au lycée arabe de Nouakchott. Il ne se révolte plus non plus contre le régime en place dans des diatribes diffusées sur la chaîne Al-Jazira.
Parti à « référentiel islamique »
Un an après que son parti a été autorisé, dans un esprit de concorde nationale, par le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Jemil Ould Mansour tient à tout prix à gagner un statut d’« homme fréquentable ». Ce père de sept enfants issu d’une famille modeste cherche à se normaliser, espérant jouer un rôle croissant sur la scène politique nationale. En décembre dernier, des attentats perpétrés par de jeunes djihadistes, qui ont coûté la vie à quatre touristes français et en ont blessé un cinquième, l’ont obligé à redoubler d’efforts pour se démarquer de l’extrémisme religieux. Alors il insiste : son parti est « à référentiel islamique », il n’est pas islamiste.
Dans sa bouche, cela signifie que les valeurs défendues par sa formation proviennent de l’islam, une religion « qui donne des réponses générales et globales aux questions concernant l’organisation de la vie publique », sans être pour autant contraires à la démocratie. Il prône le strict respect des devoirs religieux et se dit contre le recours à la violence. Il assure encourager la participation des femmes à la vie politique, appelle au partage des richesses et à la lutte contre la corruption. Mais il n’est pas hostile à l’application des sanctions prescrites par la charia, à condition qu’elles viennent après un jugement par un tribunal.
Entrée au gouvernement
Ce discours, le professeur Ould Mansour – formé à l’Institut supérieur des études islamiques de Nouakchott puis à la faculté de Fès – le déroule avec clarté, précision et pédagogie. Néanmoins, ses dissertations improvisées sont si loin de l’obscurantisme de certains adhérents enturbannés du RNRD (qui prétend compter 40 000 membres) que beaucoup, dans les salons de Nouakchott, les jugent démagogiques. Comme si cet homme sympathique, jeune et charismatique était une vitrine trompeuse. « C’est du marketing, avertit un journaliste réputé. Il veut utiliser la démocratie comme escalier pour arriver au pouvoir. Une fois qu’il l’aura, il révélera ce qu’il est : un islamiste. »
Prophétie ? Jemil Ould Mansour espérait pouvoir répondre, mais l’occasion s’est dérobée. Le 11 mai dernier, deux de ses hommes, Mohamed Ould Seyidi et Habib Ould Heimdeit, sont entrés au gouvernement. Dans une démarche d’ouverture vers l’opposition, le chef de l’État s’était tourné vers le RNRD, qui, apprécié au sein de la jeunesse urbaine et fort de cinq sièges à l’Assemblée nationale, était censé donner quelque assise populaire au régime. À la présidence, on pensait aussi que sa participation aux affaires serait le moyen de dresser un rempart contre l’islamisme. Mais le courroux de la majorité présidentielle, jalouse de son pouvoir, a finalement eu raison de leur présence à l’exécutif : dans le troisième gouvernement de « Sidi », dont la composition a été annoncée le 15 juillet, les hommes de « Jemil » n’ont pas été reconduits.
Pour permettre à ses affidés de devenir ministres, Jemil Ould Mansour avait pourtant renoncé à un principe qu’il avait toujours présenté comme une condition sine qua non à l’entrée de son parti au gouvernementÂÂ mais qui n’a jamais été à l’ordre du jour de Sidi Ould Cheikh Abdallahi : la rupture des relations diplomatiques avec Israël. Pour obtenir la respectabilité, le fils du peuple était prêt à y mettre le prix.
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