Clair
Née à Kinshasa, la première humoriste noire de France fait, depuis quatre ans, s’esclaffer tout Paris avec un one-woman show ravageur.
« Je suis une femme ronde, métisse et belge. Autrement dit, je cumule tous les handicaps pour réussir en France ! », s’amuse Clair, première humoriste noire à se produire sur scène au pays de Coluche. De son one-woman show simplement intitulé C’est Clair (qu’elle présente jusqu’au 31 août au Théâtre de Dix-Heures, à Paris), elle dit qu’il est « engageant » – et non point « engagé ».
« Je ne milite pas pour une cause, mais j’ai des choses à dire. Et juste envie de faire réfléchir sur des questions qui me préoccupent », explique-t-elle. Sur scène, elle fustige avec un humour ravageur une concierge raciste ou une voyante un peu malhonnête sur les bords, qui se mue à l’occasion en hôtesse de téléphone rose et en horloge parlante.
Entre deux railleries sur la gent masculine, elle n’hésite pas à tacler le politiquement correct qui préfère évoquer les problèmes non des « Noirs » mais des… « personnes à forte pigmentation ». Elle campe enfin une clocharde qui « vivait dans un 100 m2 avant de vivre sans mètre carré » et une jeune de banlieue qui s’extasie à la lecture d’un extraordinaire roman de science-fiction intitulé La Déclaration des droits de l’homme.
Sur scène, Clair se dépense sans compter et ne résiste pas à l’envie de se moquer d’elle-même. Elle s’attife par exemple d’une minirobe de cuir enfilée par-dessus un cycliste sur lequel s’accroche un porte-jarretelles pas franchement distingué. Le tout assorti de genouillères, de bas noirs et de chaussures aux semelles ultracompensées !
Elle joue de son physique avec malice. « Je suis tout en rondeurs. Cela me permet de faire passer certaines choses plus facilement », commente-t-elle. Pour elle, le rire est une arme d’autodéfense.
Clair – Marianne de son vrai prénom (elle ne souhaite pas divulguer son nom de famille) – a grandi à Liège, la « capitale » de la Belgique francophone. « Cela n’a pas toujours été facile, reconnaît-elle. Mais j’ai constamment utilisé la dérision pour désamorcer les situations délicates et anticiper les remarques ou les réactions racistes de mes interlocuteurs. »
Née à Kinshasa, dans l’ex-Zaïre, en 1970, d’un père belge et d’une mère rwandaise, elle n’a jamais vécu en Afrique. À peine avait-elle vu le jour que ses parents s’envolaient pour la Belgique… Un jour, à l’âge de 12 ans, elle surprend son père hilare devant la télévision. À l’écran, l’humoriste Marc Herman raconte des histoires drôles. « Ce fut une véritable découverte, se souvient-elle. J’ai réalisé que j’avais envie de faire rire les autres. » Ni une ni deux, la petite Clair s’essaie au genre et monte ses propres numéros. Elle fait le tour des concours locaux, puis nationaux, qu’elle remporte haut la main. Une vocation est née.
Reste à convaincre son père de la laisser faire carrière. Pour le tranquilliser, elle commence des études et décroche – avec mention, s’il vous plaît – un diplôme de l’école des beaux-arts de Liège. Mais elle n’oublie pas ses rêves de petite fille : faire s’esclaffer ceux qu’elle aime. À la fin de son cursus universitaire, son baluchon sur l’épaule, elle part pour Paris. C’est là, pense-t-elle, que sa carrière pourra décoller.
Le pari est osé, mais se révèle payant. Elle décroche quelques petits rôles, se produit dans des cafés-théâtres, des cabarets, et finit par faire les premières parties d’humoristes en vogue : Roland Magdane, Sim et même Jean-Marie Bigard, qui, en 2004, remplit le Stade de France avec son spectacle Des animaux et des hommes…
En 2001, Clair frappe à la porte de Pascal Légitimus, l’ancien des Inconnus, le trio comique qui connut son heure de gloire au début des années 1990. Elle lui demande de la produire ; il vient voir son spectacle et, emballé, accepte aussitôt.
Nouvelle Whoopi Goldberg
Légitimus travaille à la mise en scène de son one-woman show et l’aide à construire ses personnages, en particulier celui qu’elle affectionne le plus : la clocharde. « C’est le personnage le plus difficile à jouer. Il ne faut tomber ni dans la caricature ni dans le misérabilisme. Ça demande un vrai travail de comédienne. Sans Pascal, je n’y serais pas arrivée. C’est simple, Légitimus aujourd’hui, c’est mon mentor », s’exclame-t-elle.
C’est Clair tourne depuis 2004, s’enrichit au fil des représentations et fait salle comble. Les médias s’enthousiasment et la comparent à Whoopi Goldberg, l’actrice noire américaine aux multiples récompenses (Grammy Award, Golden Globe, Oscar…). La comparaison est un peu facile mais ne déplaît pas à l’intéressée. « J’ai été une fan de la première heure. J’étais impressionnée par son dynamisme et son charisme. Whoopi a été l’un de mes modèles. »
Sur les traces de son idole, Clair, bien que métisse, craint d’être cataloguée comme « la Noire qui fait rire ». Elle juge pourtant « anormal qu’il y ait si peu de comédiennes ou d’humoristes noires en France ». Mais Clair préfère regarder devant elle : « Si vraiment je suis une nouvelle Whoopi Goldberg, alors qu’on m’écrive des rôles à la hauteur ! »
La demoiselle n’a peur de rien et possède plus d’une corde à son arc. On l’a vue faire une apparition dans Commissaire Valence, la série policière du sulfureux Bernard Tapie. Elle y incarnait le lieutenant Martine.
« Tapie est venu me voir au théâtre [au côté de Roland Giraud dans la pièce à succès Impair et Père, au théâtre de La Michodière, NDLR]. Le lendemain, il m’a appelée et m’a dit : Je vous ai trouvée tellement mauvaise que j’ai envie que vous jouiez dans Commissaire Valence. Sur le coup, je ne l’ai pas trop bien pris, mais l’expérience s’est révélée formidable. Avec Tapie, les dialogues changent sans arrêt jusqu’au tournage. Ça a été une très bonne école. »
Jamais à court d’idées, Clair enchaîne les projets. En ce moment, parallèlement à son spectacle, elle anime sur NRJ 12, une chaîne gratuite de la télévision numérique terrestre (TNT), Douze coeurs, un jeu de speed-dating astrologique pour jeunes adultes.
Trois cent trente représentations
Car l’humoriste aime vivre à 100 à l’heure : pas question de musarder dans une chaise longue. Elle préfère consacrer ses quelques – rares – vacances à écrire des scénarios et à lire ceux qu’on lui propose. Et s’il lui reste encore un peu de temps, elle dessine des affiches comme celle du festival de jazz de Montauban ou celle du spectacle des Pestes, ses amies. Ces jours-ci, elle travaille à la mise en scène du prochain spectacle de Warren Zavatta, le petit-fils d’Achille, le célèbre clown.
En un an, Clair aura donné 330 représentations de son one-woman show ! Et elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Son rêve ? Une tournée dans les pays francophones, avant de s’attaquer aux États-Unis et – pourquoi pas ? – de rencontrer Whoopi Goldberg…
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