Un rapport accablant

Selon la commission spéciale du Congrès américain, le FBI et la CIA ont gravement failli à leurs missions premières.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Il faut d’abord rendre hommage à la démocratie américaine. Peu de nations, voire aucune, acceptent comme elle d’enquêter sur leurs dysfonctionnements, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en cause le coeur de l’appareil d’État, à savoir la police et les services secrets. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple de la France, où la notion de « secret défense » est brandie à tout propos et permet d’empêcher aussitôt la moindre investigation d’importance : nombre de juges ont dû freiner leurs tâches, soudain arrêtés par la « raison d’État ». La « vieille Europe », qui se targue tant de son long passé démocratique et de sa moralité politique, a donc encore, sur ce plan, bien des leçons à prendre de la « jeune Amérique ». C’est dire si le rapport du Congrès (Sénat et Chambre des représentants) sur les failles des services de renseignements à propos du drame du 11 septembre 2001 est, par son existence même, une bonne chose pour la vitalité démocratique de ce pays.
Il est de bon ton de considérer que les travaux des sénateurs et des députés n’apportent pas d’éléments nouveaux. Surtout, ils ne permettent pas de trancher la question de savoir si le 11 septembre aurait pu être évité. Il n’empêche qu’ils sont accablants pour les deux organismes chargés de veiller à la sécurité des États-Unis, le FBI et la CIA. L’un et l’autre ont accumulé des dizaines d’indices, de présomptions et d’informations sans en tirer pour autant conséquences, conclusions et décisions d’action. Ils ont été à ce point négligents que des affirmations précises de leurs agents n’ont pas été prises en considération. À s’en tenir à un seul exemple, un rapport « de terrain » du FBI demandait une enquête sur la présence d’élèves, issus du Moyen-Orient, dans des écoles de pilotage américaines et établissait le lien avec Oussama Ben Laden. Quant à la CIA, elle avait mesuré, dès 1999, la dangerosité de deux futurs terroristes – ceux de l’avion qui s’est écrasé sur l’immeuble du Pentagone -, mais ne s’en était pas émue outre mesure.
Ces révélations et ces confirmations illustrent un premier travers de la démocratie américaine : la présence en son sein d’organismes qui se révèlent des États dans l’État. Que ce soit pour des raisons de rivalité entre eux, par bureaucratie ou par volonté de mener leur propre jeu politique, ceux-ci n’assurent plus totalement leurs missions premières. Leur attitude est d’autant plus perverse qu’on ne sait pas, au fond, si on doit les taxer d’incompétence ou de machiavélisme. Ainsi, en ce qui concerne la présence d’armes de destruction massive en Irak, les services de renseignements en ont-ils, pour le moins, amplifié la menace après avoir été eux-mêmes intoxiqués, ou afin de complaire aux faucons de Washington, ou encore pour démontrer leur utilité ? Il importe peu ici d’apporter une réponse. Mais, dans toutes les hypothèses, ces faits traduisent l’importance considérable et nuisible de ces agences. Au point qu’elles ne paraissent plus toujours réellement sous le contrôle de l’autorité politique, celle-ci d’ailleurs se refusant jusqu’à présent à sanctionner leurs fautes.
L’autre malaise à la lecture de ce rapport tient en un paradoxe. Car, alors que la commission spéciale prouvait, par son enquête, la réalité exemplaire de la démocratie américaine, la Maison Blanche se refusait à collaborer. Elle traduisait, elle, son peu de goût pour la transparence. Pendant des mois, l’administration Bush, intransigeante, a tenté d’empêcher la divulgation d’informations. Pis, elle a refusé de communiquer les rapports fournis par la CIA au président, peu soucieuse, sans nul doute, d’être accusée à son tour de négligences et d’aveuglement. Pis encore, elle a imposé la censure sur une trentaine de pages du rapport parlementaire concernant le rôle de l’Arabie saoudite dans le drame du 11 septembre, voire les relais que Riyad pouvait avoir dans le pouvoir américain.
En fait, on est là au coeur de l’ambiguïté de Bush et du fondement de son pouvoir. Il pourrait à bon droit se targuer d’avoir mis à bas, en Irak, une dictature, et une des plus féroces qui soit. Il pourrait, sans qu’on lui en fasse reproche, placer son action sous le sceau de la morale et le signe de la démocratie. Il pourrait même revendiquer l’idéologie d’une Amérique secourant le monde, quitte à être dominatrice, et partisane du libéralisme en tous les domaines. Il pourrait… Il pourrait… Mais il devrait alors abandonner le manichéisme, qui ne le gêne pas, et le mensonge, qui ne le gêne guère. Car cet homme, même s’il en est entouré, n’est pas un idéologue. Il est seulement un politicien.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires