Un jardin extraordinaire

Selon les experts du Fonds monétaire international, c’est l’agriculture qui offre les meilleures perspectives de croissance.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Les Burkinabè n’ont nul besoin de consulter les statistiques internationales sur leur pays
pour savoir que la vie y est particulièrement difficile. L’ économie reste, en dépit des efforts du gouvernement et de l’aide internationale, particulièrement vulnérable. La
filière coton, principale source de revenus pour les populations et le gouvernement (elle a fourni 56 % des recettes d’exportations sur l’ensemble des cinq dernières années), vit des heures difficiles malgré une production record de 400 000 tonnes pour la campagne
2002-2003. À tel point que le président Blaise Compaoré, d’ordinaire discret, a été conduit à se faire l’écho des frustrations des producteurs subsahariens de fibre blanche au siège genevois de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 10 juin dernier (voir pp. 58-59). Pour améliorer le rendement moyen, actuellement de 1,1 t à l’hectare, les autorités misent sur les biotechnologies.
Mais le salut de l’économie ne peut venir, selon le rapport annuel du Fonds monétaire international (FMI) publié le 30 juin dernier, que de « la diversification des sources de la croissance ». Tout le monde est d’accord sur ce point. Reste que cela est plus facile à dire qu’à faire. Comment diversifier l’agriculture et, au-delà, développer l’industrie manufacturière et les services dans un pays handicapé par une géographie ingrate et des conditions climatiques qui obligent à avoir recours à des avions « perceurs de nuages » pour provoquer des pluies artificielles. Où trouver les ressources nécessaires aux investissements dans les infrastructures de base alors que les recettes fiscales se sont affaissées depuis 2002, conséquence de la crise chez le voisin ivoirien et de la faiblesse structurelle des services administratifs ? Comment investir en même temps dans l’éducation, la santé et la lutte contre la pauvreté, toutes choses dont ce pays classé au 173e rang sur 175 au palmarès du développement humain élaboré par le Programme des nations unies pour le développement (Pnud), juste devant le Niger et la Sierra Leone a un besoin urgent ? Le FMI félicite les autorités de Ouagadougou pour les efforts de redressement entrepris depuis la première Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC) en 1993, mais la route qui conduit à la prospérité semble encore semée d’embûches.
Le taux de croissance s’est établi à 4,6 % en 2002, un point de moins que prévu, en partie à cause de la fermeture de la frontière avec la Côte d’Ivoire. La hausse des prix a atteint 3,9 %, contre 1 % seulement en 2001, répercussion de la hausse des coûts de transport pour les produits importés qui transitaient traditionnellement par le port d’Abidjan. C’est cependant cette année que l’impact négatif de la crise ivoirienne se fera le plus sentir : les experts du FMI prévoient une croissance de 2,6 % en 2003 et un taux d’inflation autour de 4,5 %. Et encore, dans l’hypothèse où les voies de transport
et les circuits commerciaux seraient rapidement restaurés. La réouverture de la frontière, déjà reportée à trois reprises, ne devait pas intervenir avant la mi-août. Si tout se passe bien, l’économie du Faso devrait retrouver une croissance de 4 % en 2004, ce
qui restera insuffisant pour améliorer sensiblement les indicateurs sociaux. En 1998, une
enquête du Pnud sur la situation des ménages fixait à 45 % la part de la population burkinabè (estimée à 11,8 millions) vivant en dessous du seuil local de pauvreté, à
savoir disposant d’un revenu inférieur à 0,34 dollar par jour. Le taux brut de scolarisation dans l’enseignement primaire ne dépasse pas 44 %, contre 78 % en moyenne pour l’Afrique subsaharienne.
Les coûts prohibitifs des facteurs de production eau, énergie, télécommunications et transports constituent le premier obstacle structurel à la diversification de l’économie
de ce pays enclavé. Un développement de l’industrie et des exportations non traditionnelles, pour sortir de la dangereuse dépendance à l’égard du coton, ne peut se concrétiser dans ces conditions. Il y a bien sûr le problème de l’approvisionnement en eau, un cauchemar pour les populations et un boulet pour l’économie. Tous les espoirs reposent sur la mise en service en 2006 du grand barrage de Ziga (voir p. 57), au nordest
de Ouagadougou, qui nécessite un investissement de 150 milliards de F CFA (228,7 millions d’euros). D’ici là, l’Office national de l’eau et de l’assainissement (Onea) espère avoir modernisé ses installations vétustes et amélioré la distribution d’eau dans le pays.
Pour l’énergie, l’espoir est aussi de mise : après Bobo-Dioulasso (deuxième ville du pays), reliée au réseau électrique ouest-africain en 2001, ce sera au tour de la capitale d’être connectée en 2005. Le coût de l’électricité pour les industriels au Burkina (0,2345 dollar par kilowatt actuellement) devrait être ramené au niveau ivoirien (0,0554 dollar), soit une baisse de plus de 75 % sur leur facture énergétique. La société nationale de distribution électrique (Sonabel) est par ailleurs sur la liste des entreprises publiques dont la privatisation traîne en longueur, de l’avis du FMI, au même titre que l’opérateur téléphonique Onatel et la société de distribution de produits pétroliers, Sonabhy. Si ces opérations réduisent les coûts des facteurs de production
et se traduisent, comme on l’espère, par une hausse de la compétitivité globale de l’économie, le Burkina pourrait progressivement sortir de la monoculture du coton.
Comme pour bien montrer qu’on peut faire pousser autre chose sur les terres de l’ancienne Haute-Volta, la Société de promotion des filières agricoles (Soprofa), créée en juillet
2001 et établie à Bobo-Dioulasso, s’est lancée dans le soutien à la production et à la commercialisation de soja, de sésame, de tomates, de mangues… Il est vrai que les goûteuses mangues proposées sur les étals des marchés ouagalais pourraient sans mal se frayer un chemin jusqu’en Europe. La Soprofa, détenue à 75 % par le groupe privé helvétique L’Aiglon (dirigé par le Malien Cheikna Kagnassi) et à 25 % par l’État burkinabè, a annoncé des achats d’une valeur de 17 milliards de F CFA pour la campagne
agricole en cours. Selon le FMI, c’est l’agriculture qui offre le plus de perspectives
pour la croissance du pays. Les quatre cinquièmes de la population vivent en zone rurale et le potentiel d’accroissement de la productivité est considérable.
Mais, pour améliorer directement les conditions de vie des Burkinabè, les investissements publics dans les domaines de la santé et de l’éducation sont impératifs. Or l’administration connaît de réels problèmes d’efficacité : « Les différents ministères
ont une capacité d’absorption de ressources limitée », estime Malick Sawadogo, économiste de l’agence de coopération helvétique à Ouagadougou la Suisse est l’un des huit
bailleurs apportant au gouvernement une aide budgétaire non affectée. Le Burkina a pu bénéficier de l’initiative de réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). L’ardoise effacée s’est élevée à 7,1 milliards de F CFA en 2000, 26,5 milliards en 2001 et 20,8 milliards en 2002. Mais les dépenses n’ont que peu suivi : rien en 2000, seulement 6,6 milliards de F CFA en 2001, avant d’atteindre 28,2 milliards en 2002. Au total, le FMI estime que 41 % seulement des fonds PPTE ont été effectivement
dépensés dans des projets de lutte contre la pauvreté. Raisons invoquées : le déficit de ressources humaines dans les administrations pour gérer des procédures complexes, et la difficulté d’exécuter les projets dans des zones rurales où les infrastructures de base sont par définition inexistantes. Les conditions climatiques rendent difficile la
construction d’écoles et de pistes rurales dans certaines provinces reculées, repoussant d’autant les décaissements. À Ouaga 2000, la nouvelle excroissance de la capitale, ardemment désirée par le président Compaoré, les travaux de construction d’un grand hôtel et d’un centre commercial, avec l’appoint financier de la Libye, avancent un peu plus vite.

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