Sale temps pour les ex-despotes

Avec la Cour pénale internationale et les tribunaux spéciaux, les anciens dictateurs ont du mal à s’offrir une retraite paisible.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Quand j’ai demandé à un diplomate saoudien il y a quelques années s’il était possible d’extrader ou de poursuivre l’ancien dictateur ougandais Idi Amin Dada, il m’a répondu que l’« hospitalité bédouine » signifiait que dès lors qu’on accueille quelqu’un sous sa tente, on ne peut pas l’en chasser. En fait, la coutume des Bédouins n’exige l’hospitalité que pour trois jours. Mais c’est le genre de comportement aveugle qui justifie le vieil adage : « Tue une personne et tu iras en prison, tues-en vingt et on t’enverra dans un asile de fous, tues-en dix mille et on t’invitera à une conférence sur la paix. »
Idi Amin fait partie du club de plus en plus réduit d’anciens tyrans vivant tranquillement en exil. On y trouve le successeur – il est tout aussi violent que lui – d’Amin, Milton Obote, aujourd’hui installé en Zambie. Jean-Claude Duvalier d’Haïti, alias Baby Doc, se cache en France. Mengistu Haïlé Mariam, dont la campagne de « terreur rouge » en Éthiopie a visé des dizaines de milliers d’opposants politiques, jouit actuellement de la protection du président Robert Mugabe au Zimbabwe. Alfredo Stroessner du Paraguay, qui a usé de la torture pour se maintenir trente-cinq ans durant au pouvoir, passe sa retraite au Brésil.
Le régime d’Idi Amin a été responsable de meurtres à grande échelle, de torture et de l’exil en masse de la communauté asiatique d’Ouganda. Lorsque Amin est chassé du pouvoir en 1979, il finit par trouver refuge en Arabie saoudite, où, depuis, il vit paisiblement d’une pension saoudienne. Si le règne d’Amin était l’exemple même de la folie et de la tyrannie, son exil confortable s’est révélé tout autant symptomatique de la facilité à trouver une terre d’accueil hospitalière dont les anciens dictateurs ont pendant longtemps bénéficié.
Les temps changent cependant. La récente mise en place de la Cour pénale internationale (CPI) et des tribunaux spéciaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie ont montré la nouvelle détermination de la communauté internationale à punir les crimes les plus odieux. Malgré l’opposition résolue des États-Unis, quatre-vingt-onze pays ont ratifié le traité de la CPI, et le procureur Moreno Campo a déjà annoncé que le premier dossier qui sera probablement examiné par la Cour sera celui des crimes commis en République démocratique du Congo.
Les tribunaux nationaux ont aussi donné la preuve d’une volonté croissante de juger des individus qui ont commis des crimes à l’étranger. L’arrestation du général chilien Augusto Pinochet à Londres en 1998 sur requête d’un juge espagnol a envoyé un message clair aux tyrans leur signifiant qu’ils ne pourront plus échapper facilement à la justice. En juin, le Mexique a extradé le célèbre officier argentin Ricardo Miguel Cavallo vers l’Espagne pour qu’il réponde des accusations de torture et de « disparitions » pendant la « sale guerre » en Argentine entre 1976 et 1983. La justice semble aussi rattraper l’ancien dictateur tchadien Hissein Habré. Ce dernier, qui vit en exil au Sénégal, a été inculpé il y a trois ans, mais les tribunaux sénégalais ont finalement estimé qu’ils n’étaient pas compétents pour le juger. Les victimes cherchent maintenant à le faire extrader vers la Belgique. L’an passé, un juge belge est allé mener l’enquête au Tchad et le gouvernement actuel a formellement levé l’immunité du dictateur Habré.
Pour un ancien tyran, il est de nos jours difficile de trouver un lieu d’exil. Le tristement célèbre espion péruvien Vladimir Montesinos, actuellement traduit en justice dans son pays, a été surpris il y a deux ans de se voir refuser un asile même au Panama, le havre de paix traditionnel des despotes à la retraite. Le patron de Montesinos, l’ancien président Alberto Fujimori, s’accroche à sa citoyenneté japonaise, qu’il vient de redécouvrir, pour échapper à une extradition vers le Pérou. Le président libérien Charles Taylor, actuellement en très difficulté, qui a été inculpé par un tribunal spécial de l’ONU pour la Sierra Leone, pourrait s’abriter pour un temps au Nigeria, mais il ne sera pas indéfiniment protégé. Et si on localise un jour Saddam Hussein, il est certain qu’il ne jouira pas d’une retraite paisible.
Il serait regrettable qu’Idi Amin passe de vie à trépas sous sa « tente » sans avoir répondu de ses crimes devant un tribunal. Mais le monde est une tente de plus en plus petite. Un jour, les Idi Amin de ce monde n’auront plus aucun endroit où se cacher.

*Reed Brody est conseiller spécial auprès de l’organisation américaine de défense des droits de l’homme Human Rights Watch.

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