Pendant la crise, la vie continue

Durement touchés par le conflit ivoirien et par la sécheresse, les Burkinabè s’efforcent de faire face au quotidien. Loin des querelles politiciennes qui déchirent l’opposition.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 6 minutes.

Atmosphère plutôt tendue au pays des Hommes intègres. Si les Burkinabè n’ont rien perdu de leur convivialité, leur patience n’en est pas moins mise à rude épreuve. Les indicateurs de développement ne sont pas vraiment au vert, et la population voit son niveau de vie globalement régresser. La crise en Côte d’Ivoire a frappé de plein fouet le Faso, qui s’est retrouvé dans une situation si terrible que l’on en vient à se demander comment il a fait pour ne pas s’effondrer. En septembre et octobre 2002, très peu d’aliments périssables habituellement importés parvenaient jusqu’aux marchés de Ouagadougou. Sur ce point, les choses sont aujourd’hui rentrées dans l’ordre, grâce aux accords signés par le gouvernement avec le Togo et le Ghana, qui disposent, comme Abidjan, de ces ports faisant cruellement défaut au Burkina.
En revanche, l’afflux de réfugiés a posé plus de problèmes. Aux 315 000 rapatriés officiels pris en charge par les autorités, qui tentent de les réinsérer dans leurs villages d’origine, il convient d’ajouter un certain nombre de « clandestins ». Ces retours ont entraîné une forte hausse du nombre d’inactifs et une augmentation de l’insécurité… Comme si cela ne suffisait pas, deux autres calamités sont venues s’abattre sur le pays. La pénurie d’eau, d’abord, qui a asséché les barrages d’avril à juin, au point que des délestages ont dû être mis en place. Dans certains quartiers, l’eau n’était disponible qu’entre 4 heures et 5 heures du matin. Dans d’autres, plus riches, les habitants avaient le privilège d’en disposer dans la journée, mais là aussi pour de courts laps de temps. Seconde calamité : l’incendie, le 27 mai, de Rood Wooko, le marché central de la capitale. Pour le circonscrire, il a fallu faire appel à des entreprises privées qui, elles, disposaient de citernes d’eau en réserve. Depuis, sur ordre du maire de la ville, Simon Compaoré, Rood Wooko est fermé, et les rues proches interdites à tout passage. Les marchands qui disposaient légalement d’un emplacement et des milliers de vendeurs de fruits, de légumes ou d’objets divers ont dû trouver un coin de trottoir où s’installer.
Mais le Burkinabè a l’habitude des coups durs. Dans ce pays enclavé, rien n’a jamais été facile. De l’approvisionnement en eau à celui en essence pour les milliers de deux-roues sillonnant les routes, toutes les difficultés sont surmontées par les habitants, qui montrent une fois de plus leur sens de la débrouillardise. Et puis ils peuvent toujours compter sur l’aide des organisations non gouvernementales, très présentes, et de la coopération décentralisée, qui considèrent le Burkina comme un élève modèle investissant à bon escient l’intégralité des sommes qui lui sont versées. Toutefois, même si la campagne 2003-2004 s’annonce bonne – l’agriculture constitue le premier secteur d’activité du pays -, cette année ne devrait pas être meilleure que celle qui vient de s’écouler. Bien au contraire. Le contrecoup de la crise ivoirienne se fera encore plus sentir que ses effets directs. Absence de revenus fiscaux depuis le 19 septembre 2002 et croissance en chute libre n’augurent rien de bon. Les mesures adoptées par le gouvernement, qui est parvenu à la fois à gérer le retour des réfugiés et à réorganiser des flux commerciaux auparavant réalisés, pour 60 % à 70 % d’entre eux, avec la Côte d’Ivoire, auront au moins eu le mérite de limiter les dégâts. Le pays ne pourra néanmoins pas atteindre en 2004 le niveau de croissance espéré (plus de 6 %).
C’est bien tout un équilibre, qui se mettait lentement en place, que le conflit ivoirien est venu bouleverser. Même le paysage politique avait pris, après les législatives de juin 2002, un chemin qu’on ne lui connaissait pas. On recensa peu de fraudes lors de ce scrutin et, surtout, le Parlement avait bien failli basculer, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir) n’obtenant que 57 sièges contre 54 pour l’opposition, il est vrai particulièrement éparpillée (on recense 70 partis, dont 12 représentés à l’Assemblée). Malgré cela, un débat pluraliste digne de ce nom paraissait à même de s’installer.
Mais, depuis un semestre, un vent de folie souffle dans les rangs de l’Assemblée nationale burkinabè, et les partis d’opposition semblent atteints d’une maladie contagieuse provoquant leur implosion ou leur dissolution. Parallèlement, le CDP poursuit son chemin. Aucune lutte intestine, mais une entente cordiale quasi parfaite, le tout chapeauté par le chef de l’État, Blaise Compaoré. Tous les cadres de son parti, fidèles parmi les fidèles, occupent aujourd’hui des postes stratégiques, afin de gérer au mieux les difficultés des mois à venir : Simon Compaoré, maire de Ouagadougou, a été reconduit à la présidence de l’Association des maires du Burkina le 24 juin dernier ; Roch Marc Kaboré, ancien Premier ministre, tient les rênes de l’Assemblée nationale ; Kadré Désiré Ouédraogo, également ancien Premier ministre, est ambassadeur à Bruxelles, « capitale » de l’Europe ; enfin, Juliette Bonkougou, présidente du Conseil économique et social, femme de tête en pleine ascension et très appréciée de la population, a été nommée ambassadrice au Canada, pays fidèle dans son aide au développement. Pour parfaire ce climat de confiance, il n’existe, au sein du CDP, aucune tentative de remise en cause du leadership de Compaoré en vue de l’élection présidentielle de 2005.
Il ne devrait pas non plus trouver de challenger d’envergure dans les partis d’opposition. Les plus influents sont actuellement victimes de « putschs », et l’échéance présidentielle semble désormais trop proche pour leur permettre d’être prêts. Ainsi Hermann Yaméogo s’est-il vu destitué de son poste de président de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA). Cette formation, la première de l’opposition au Parlement (17 sièges), est née en 1998 de la fusion de deux partis souhaitant renforcer leur visibilité lors des différents scrutins. Mais Hermann Yaméogo, leader historique de l’ADF, et Gilbert Ouédraogo, fils du fondateur du RDA, n’ont toujours pas réussi à accorder leurs violons. La plus grande divergence date de janvier 2003. Hermann Yaméogo désapprouve alors publiquement la façon dont Blaise Compaoré gère la crise en Côte d’Ivoire. Pour tous, y compris pour l’opposition, Yaméogo aurait mieux fait de s’abstenir de toute critique sur cette question qui appelait l’unité nationale. Au fil des mois, la tension monte au sein de l’ADF/RDA. Gilbert Ouédraogo convoque un congrès extraordinaire du parti, les 28 et 29 juin. Yaméogo est écarté et Ouédraogo élu nouveau président.
Le vaincu conteste ce congrès auquel il n’a pas participé, arguant que « celui-ci était illégal puisque seul le président du parti peut convoquer un congrès extraordinaire ». Quoi qu’il en soit, l’affaire est close le 9 juillet, lorsque Gilbert Ouédraogo obtient la validation de sa nomination par le ministère de l’Administration territoriale. Yaméogo décide finalement de créer un nouveau mouvement : l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD), reconnue officiellement le 17 juillet. Cet événement, qui n’est pas le premier du genre dans la carrière de Yaméogo, fleure bon l’approche de la présidentielle. Les mêmes mésaventures sont arrivées à d’autres ténors de l’opposition. Lorsqu’il s’agit de se mettre en ligne pour briguer la magistrature suprême, nombreuses sont les têtes à sortir du rang.
Si ces bisbilles n’aident pas l’opposition à redorer son image auprès des électeurs, ceux-ci ont, de toute façon, bien d’autres préoccupations que l’approche d’échéances électorales. Pour l’heure, ils s’efforcent de tenir la barre en attendant des jours plus cléments. Une nouvelle occasion de prouver que, même dans l’adversité, les Burkinabè ne baissent pas les bras si facilement.

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